Le long processus de sauvetage du Parc Corot

Décryptage
le 14 Juin 2021
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En 2018, la métropole lançait le processus de mise en carence de la copropriété de Corot, étape indispensable au rachat des immeubles les plus dégradés. Ce processus entre enfin dans le concret avec une audience attendue dans les mois qui viennent.

Les premiers étages du bâtiment A ont été condamnés pour éviter les squats. (Photo: BG)
Les premiers étages du bâtiment A ont été condamnés pour éviter les squats. (Photo: BG)

Les premiers étages du bâtiment A ont été condamnés pour éviter les squats. (Photo: BG)

Année après année, le paysage ne change guère au Parc Corot. Les espaces publics y sont toujours jalonnés de dépôts de déchets inertes et d’encombrants : ici un canapé, là des tonnes de pneus. De l’un à l’autre, courent les rats. L’allée des garages, qui est aussi le chemin de l’école, ressemble à un champ de ruines. Évacué en 2018, le bâtiment A peint en jaune ocre est aujourd’hui muré sur plusieurs étages, en attendant la probable démolition.

Comme dans les films anticipant la fin du monde, un lierre les crayonne en vert. À quelques mètres, la tour C attend le même destin. Locataires ou squatteurs, les habitants s’y débattent encore dans le chaos du quotidien. En coulisses, l’État et la métropole s’affairent à offrir un nouvel avenir à ces lieux dans le cadre du plan national Initiatives copropriétés dont Marseille est une des cibles privilégiées.

En attendant la carence

Depuis 2016, un plan de sauvegarde est en préparation : les pouvoirs publics veulent raser les immeubles les plus préoccupants, découper la copropriété en plusieurs ensembles à taille humaine. Mis en œuvre sur cinq ans, il devrait être officiellement signé en fin d’année. Pour cela, il faut d’abord racheter là où les propriétaires ne sont plus en capacité d’agir, même sous la perfusion de subventions publiques.

En 2018, avant même l’évacuation du bâtiment A, le premier administrateur judiciaire de la copropriété, nommé face aux difficultés financières, avait entamé les démarches d’une déclaration de carence. Cette arme fatale de gestion des copropriétés est activée quand ce professionnel estime ne plus pouvoir conserver les bâtiments et assurer la sécurité et la pleine santé de ses habitants. Autant de cases cochées par la copro de Corot, sur l’état du bâti des deux immeubles de grande taille comme sur les moyens financiers dont dispose le syndicat des copropriétaires.

Le Parc Corot compte sept bâtiments.

Surtout elle doit permettre aux autorités publiques d’accélérer l’expropriation des immeubles pour prendre en main leur devenir. C’est par exemple la procédure en cours au bâtiment H du Parc Kallisté, sous la houlette de la société publique Marseille Habitat.

De six mois prévus… à trois ans d’attente

À l’époque, les autorités tablaient sur un délai de six mois entre saisine du tribunal, désignation des experts, remise des rapports et décision judiciaire. Le délai s’avère effectivement théorique : trois ans plus tard, la carence n’est toujours pas prononcée. Un délai qui permet à certains propriétaires de continuer de parier sur un redressement de leur immeuble.

“Ce sont des procédures toujours plus longues qu’on ne le croit, se défend Nicolas Deshayes, l’administrateur judiciaire d’AJA associés. Elle a été lancée par notre prédécesseur, mais nous nous sommes aperçus que la loi avait changé et qu’il fallait passer par la voie d’assignations, ce que nous avons fait en mars 2019“. Les experts désignés par le tribunal -dont Richard Carta, mis en examen dans l’affaire de la rue d’Aubagne – tardent à se rendre sur place. Ajoutez à cela quelques obstacles juridiques, une pandémie, trois confinements, des élections et le délai s’allonge encore.

Vers une audience en septembre

Cahin-caha, le processus judiciaire arrive à terme et l’administrateur judiciaire espère que l’ensemble des parties – copropriétaires et métropole – seront convoquées par le juge en septembre prochain. Mais sa décision de mise en carence du Parc Corot serait alors susceptible de recours et donc de nouveaux délais.

Les sommes dues par les copropriétaires représentent cinq années de recettes non encaissées.

L’administrateur judiciaire

Déjà communiqué aux protagonistes, l’avis des experts est sans appel sur l’état du bâti des deux immeubles et le vide abyssal des comptes : pour le bâtiment A, la dette des copropriétaires atteignait près d’un million, dont plus d’un demi-million pour les fournisseurs. En commentaire de son rapport annuel, l’administrateur note : “les sommes dues par les copropriétaires représentent cinq années de recettes non encaissées”. En regard, le coût des travaux envisagés pour assurer la santé et la sécurité des occupants s’élève à 2,3 millions. Impossible à assumer sans un portage des collectivités publiques.

La situation est similaire pour la tour C où les travaux sont estimés à 1,2 million. Et quel que soit le chèque mis sur la table, selon les experts, la configuration des cages d’escalier au regard du risque incendie rend impossible une réelle sécurisation des lieux.

Des travaux de sécurisation en cours

En parallèle du processus judiciaire, les différents acteurs ne sont pas restés inactifs. Le bâtiment C a connu d’importants travaux de mise en sécurité : les ascenseurs sont désormais fonctionnels même s’ils sont régulièrement à l’arrêt du fait du vandalisme. Fréquemment utilisé par les occupants pour passer d’un bâtiment à l’autre -malgré les interdictions- le toit a été équipé de gardes-corps et le dispositif d’évacuation des fumées remis à neuf.

“Ces travaux dont la réception est imminente représentent tout de même un investissement d’1,6 million d’euros sur l’ensemble de la copropriété, entièrement pris en charge par l’agence nationale d’amélioration de l’habitat et la métropole”, insiste Daniela Lopez, collaboratrice d’AJA sur les copropriétés. Ils sont destinés à améliorer la vie quotidienne des habitants en attendant le rachat total des lots.

L’intérieur du bâtiment A avant son évacuation en novembre 2018. (Photo BG)

Entre 15 000 et 25 000 euros l’appartement

De ce côté-là, les choses avancent également. En effet, la filiale Habitat social de la Caisse des dépôts a été chargée par la métropole d’une mission sur l’ensemble des bâtiments, dans un groupement qui comprend également Urbanis sur la partie relogement et Marseille Habitat pour la gestion locative. En attendant la procédure de carence, nous opérons à des rachats à l’amiable et, le cas échéant, à des préemptions“, explique Aurélien Souchet, de la CDC habitat. C’est-à-dire que la CDC récupère des logements mis en vente, en bénéficiant d’une priorité sur les autres acheteurs.

La caisse des dépôts a été chargée par la métropole de racheter ou de préempter les appartements de la copropriété.

Ces rachats en cours suscitent de nombreux commentaires au sein de la copro. Propriétaire de trois lots dans la tour C, Djara Sali affirme ainsi qu’on lui a proposé 22 000 euros pour un logement T4 qu’elle affirme “avoir acheté 70 000 euros”. “Et ils m’ont dit que si je n’acceptais pas à ce prix, ils me préempteraient”, insiste-t-elle, criant au chantage. D’autres propriétaires -notamment ceux dont les biens étaient largement amortis au fil du temps – ont accepté de vendre à prix cassé.

“Nous nous basons sur l’estimation des Domaines [le service d’évaluation immobilière de l’État, ndlr], rétorque Aurélien Souchet. Le prix est variable selon l’état du logement : disons que la fourchette se situe entre 15 000 et 25 000 euros. Et il faut tout de même souligner que certains copropriétaires ont acquis leurs biens en toute connaissance de cause à 15 000 euros.” Pour l’heure la CDC a acquis 70 logements au total dans l’ensemble de la copropriété, en se concentrant sur les plus en difficultés : le bâtiment A – une quarantaine de logements sur 96 – et la tour C – 15 sur 66.

Des rachats, de la vacance et des squats

Or, une autre critique récurrente des propriétaires est de dire que ce processus de rachat facilite l’arrivée de squatteurs, dans la mesure où les appartements restent vides. Un phénomène démenti par le concessionnaire qui ne nie pas pour autant la présence de squatteurs. “D’abord, il faut bien dire que le squat est chronique dans la copropriété : le taux est sensiblement le même qu’avant le lancement de la procédure de sauvegarde, poursuit Aurélien Souchet. Quand nous rachetons, nous mettons tout en œuvre pour éviter le squat, même si parfois cela ne suffit pas. Enfin nous rachetons aussi des lots qui sont squattés et dans ce cas nous mettons en œuvre les procédures d’expulsion comme les autres propriétaires.”

Une autre priorité du futur plan de sauvegarde que pilotera la CDC Habitat est le redressement des comptes de la copro. Le premier administrateur judiciaire n’avait pas mis son nez dans les comptes de la société, laissant fermés les dizaines de cartons récupérés auprès des anciens syndics professionnels. C’est donc son successeur, AJA associés, qui a péniblement épluché les comptes, mettant au jour une dette abyssale pour chaque immeuble, comme pour l’ensemble de la copropriété.

“Plus la copropriété est grande, plus le risque est grand, analyse Nicolas Deshayes. Sur une copro de 100 logements, il suffit que 20 % des propriétaires n’assument pas leurs charges pour qu’en quatre ans, la copro se retrouve dans l’impasse”. À Corot, la sortie de l’impasse ne fait que commencer.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Ça donne le vertige. Je vous trouve bien optimiste B.Gilles…
    Espérons que des acteurs compétents prennent enfin à bras le corps cette question des cités dégradées.
    Qu’ils aillent au bout des procédures, assainissent la situation, et que les habitants ne soient pas simplement “expulsés”. Ce serait déplacer le problème.

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  2. M M

    Carence prononcée par le juge judiciaire sur A et C ?

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