Le jardin de la Bricarde prospère à l’ombre des barres

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le 18 Août 2014
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Le jardin de la Bricarde prospère à l’ombre des barres
Le jardin de la Bricarde prospère à l’ombre des barres

Le jardin de la Bricarde prospère à l’ombre des barres

Au pied des bâtiments de la Bricarde, en contrebas d’un campement de gitans, les hauts tournesols du jardin présentent crânement leurs têtes dorées au soleil. Si le plus vieux jardin partagé des cités de Marseille compte deux hectares, il faut tout de même le chercher un instant. Posté devant les hautes broussailles à l’orée du jardin, confortablement installé sur un fauteuil de salon récupéré à la mode The Wire (série américaine de David Simon), un jeune homme interrompt son trafic de stupéfiant pour ouvrir la voie avec courtoisie jusqu’à “madame Fatma les mains vertes”, présentée comme la doyenne du quartier. Affairée devant sa parcelle de terre cultivée, elle s’arrête un instant, respire une branche de fenouil puis rejoint son amie Laatra. Celle-ci, vêtue de vêtements chatoyants, est occupée quelques mètres plus loin avec son propre potager.

Dans cette parenthèse verte au milieu du béton, légumes et fleurs poussent généreusement sur une terre fertile : menthe chocolat, tomates, melons, fraises, haricots verts, artichauts, courgettes, basilic, mais aussi roses, magnolia, figuier, pivoines, lavande, etc. Il ne reste plus rien de l’ancienne décharge sauvage que les habitants voulaient initialement transformer en parking, quatorze ans plus tôt environ. Ou plus exactement, presque rien : ce matin un habitant fortement alcoolisé et chassé de chez sa mère s’est installé avec détritus et objets en vrac que les femmes s’empressent de ramasser avant le retour de l’intrus.

“No man’s land”

Au départ, lorsque le lieu n’était que ronces et déchets, Kamel Dahchar, le directeur de la Régie de services nord littoral, part d’un constat affligeant : à la Bricarde, au-delà de la montée de la délinquance, il n’existe aucun lien entre les habitants. Une anecdote triste – bien que commune – le lui rappelle : une dame âgée décédée chez elle est découverte par l’odeur de son cadavre. Le directeur estime qu’il devient urgent d’agir, de recréer du lien entre les générations de toutes communautés. “Il y avait cet espace inutilisé, une sorte de no man’s land. Je ne voulais pas livrer un jardin clé en main, fait par un paysagiste. Celui-ci a été créé progressivement par les habitants, de bric et de broc, au fur et à mesure de leur investissement.” Le jardin prend forme, petit à petit. “Ainsi, lorsqu’un vieux banc est récupéré, poursuit Kamel Dahchar, un premier groupe s’en empare et propose de le remonter dans le jardin. Un deuxième se porte volontaire pour le fixer avec du ciment, un troisième le retape entièrement. Le mobilier a mis un an pour être fini, mais plusieurs générations d’habitants l’ont construit“.

Le lieu compte désormais un vieux container qui, transformé en entrepôt, abrite des outils : bêches, pelles, brouette, arrosoirs. Soutien important, la Ville de Marseille a donné de nombreux arbustes et plants, ainsi que le matériel de base. Elle a également réglé le problème de l’eau, allongeant une canalisation pour mettre fin aux prélèvements effectués en bas de la cité qui causaient le mécontentement d’habitants. Il a tout de même fallu s’accrocher pendant environ quatre ans, passer le rejet initial des habitants, supporter les actes de vandalisme parfois extérieurs à la cité et le départ d’animatrices, découragées et épuisées.

Dos à la mer

Après des débuts “catastrophiques” selon Kamel Dahchar, l’acceptation s’est finalement faite de manière progressive et laborieuse. Mais pour lui, c’est justement parce que les habitants se sont pleinement emparés du lieu que maintenant le jardin reste bien enraciné dans la terre “bricardienne”. Chacun, jeune ou vieux, a apporté sa pierre à l’édifice selon son envie, ses capacités. “Voyez ces bancs plantés dos à la mer. Quel paysagiste aurait laissé faire ça ? Ici, les habitants ont tenu à les installer de cette façon pour pouvoir surveiller les enfants. En plus, des bancs sont face à face pour favoriser les conversations” relève-t-il.

Contre vents et marées, celle qui a donné vie au projet mettant elle-même les mains dans la terre – seule puis avec les habitants – est Danielle Demonet, animatrice jardin pour la Régie de services. Parfois, elle accueille des élèves de primaire ou des jeunes en réinsertion professionnelle. Elle montre avec admiration des escaliers et des murs en pierre réalisés par des jeunes de la Maison de l’apprenti. “Les jeunes du quartiers nous respectent parce qu’ils sont nés et ont grandi avec le jardin. Certains y ont jardiné, ils sont respectueux ! Ils font leur trafic, mais le soir ils ramassent leurs déchets” raconte l’animatrice, tandis qu’un dealer encapuchonné jusqu’aux yeux, eux-mêmes dissimulés par des lunettes de soleil s’approche pour converser, souriant et gouailleur, mais soucieux de conserver l’anonymat. Illégalité oblige.

Pas d’attente

Aujourd’hui, aux côtés de Danielle Demonet, cinq personnes cultivent leurs parcelles, bien délimitées les unes des autres par des barrières de fabrication artisanale, avec des matériaux récupérés ici et là. Certains habitants s’essayent ponctuellement au jardinage, notamment des plus jeunes, pris de frénésie verte pendant quelques semaines avant de disparaître, la passion soudainement retombée. Les chapardeurs sont nombreux, opérant de simples prélèvements inoffensifs ou saccageant parfois les plants entiers. Selon l’animatrice, il n’y a pas d’attente pour obtenir un bout de terrain, l’espace ne manque pas. Contrairement au jardin des Néréides – Bosquet (11e) où 90 familles se partagent les parcelles. Ici ce sont surtout des femmes, présentes bien souvent dès 6 h 30 du matin pour arroser, comme Georgette, Fatma, ou encore Laatra. “Les gens arrivent avec les connaissances botaniques de leur pays d’origine s’amuse Danielle Demonet. La sauge, certains n’y touchent pas !”

Tandis que des matous étirent leur ventre au soleil le long d’un sentier de pierres bordé d’anciens barreaux de lits, les femmes préparent le thé à la menthe dans un coin spécialement aménagé pour la sieste, par l’une des chibanias. L’été, les barbecues et les pique-niques créent de la convivialité et juste devant l’entrée, une roulotte propose rafraîchissements et casse-dalles. Si le jardin a d’abord été mis en place pour créer du lien social dans le quartier, “avec la crise, explique Danielle Demonet, il a désormais pour vocation supplémentaire de permettre aux habitants de manger sainement. Les gens s’échangent leurs produits, même si cela ne suffit pas pour tout le quartier”. “Mémé Fatma” et son amie Laatra enchérissent sur un ton plaisantin : “On ne compte pas non plus faire du commerce avec nos légumes”. Puis elles se mettent à railler le mari “jaloux comme un jeune époux” qui a reproché ce matin à sa femme de ne pas l’avoir prévenu qu’elle s’en allait “cultiver son jardin”, comme chaque jour. A la Bricarde, les préceptes de Voltaire sont appliqués à la lettre, à l’ombre des figuiers et des saules pleureurs.

Crédit : E.C. Danielle Demonet, animatrice jardin, devant l’une des parcelles de la Bricarde.

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    cet article pue la démagogie!

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  2. nicole nicole

    Pauvre anonyme qui voit de la démagogie là où, à l’ombre du béton de La Bricarde, il y a de la joie à cultiver, à converser sur des bancs “dos à la mer”,à se régaler de belles couleurs et de bons légumes. Pour avoir travaillé comme sociologue de terrain dans plusieurs cités du nord de Marseille, je mesure combien ce jardin est un défi, réussi, au “laisser courir”, au découragement…Qu’est devenu le jardin de Frais-Vallon dont j’avais assisté à l’inauguration ? Pour une fois, je suis ravie de l’usage qui est fait de mes impôts locaux. Un grand bravo aux deux reportrices.

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  3. Marseillais indigné Marseillais indigné

    Je préfère oh combien que mes impôts locaux servent à créer du lien social, plutôt que d’être gaspillés pour financer le grand stade, l’ombriere Ou encore ce tramway qui fait double emploi avec le métro

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