La vie au pied des torchères

Reportage
le 31 Oct 2020
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À l'est de l'étang de Berre, des riverains s'inquiètent des impressionnants épisodes de torchages, causant d'immenses panaches de fumée, sur le site pétrochimique de Lyondellbasell. Dans le même temps, les élus des communes alentours envisagent une action en justice et ont interpellé le gouvernement.

Le torchage de Lyondellbasell du 23 octobre vu depuis le jardin d
Le torchage de Lyondellbasell du 23 octobre vu depuis le jardin d'Eliane et Christian Jurado à Velaux. DR.

Le torchage de Lyondellbasell du 23 octobre vu depuis le jardin d'Eliane et Christian Jurado à Velaux. DR.

Une intense lumière dans la nuit noire a ravivé les inquiétudes des voisins du site pétrochimique de Berre. Sur les réseaux sociaux, ils partagent leur indignation à grand renforts de photos, raillant une visibilité “comme en plein jour” sur l’autoroute A7 ou commentant ironiquement : “Et non ce n’est pas un coucher de soleil”.

Un impressionnant épisode de torchage qui s’est déroulé dans la nuit du vendredi 23 au samedi 24 octobre. La torchère, impressionnante flamme, permet de brûler des gaz pour la mise en sécurité d’une installation de l’entreprise américaine Lyondellbasell. L’unité industrielle produit des composants dérivés du pétrole pour des matières plastiques. Celle-ci a ensuite été arrêtée quelques jours. À son redémarrage mercredi 28 octobre, le panache de fumée, noir à son sommet, a de nouveau nourri les commentaires. Contactée, la firme n’a pas fait suite à nos demandes de précisions.

“Le droit de respirer un air qui ne nuise pas à la santé”

Les riverains craignent pour leur santé à cause de la potentielle nocivité des substances relâchées dans l’atmosphère, et dénonce les nuisances sonores, olfactives et visuelles. Déjà, début septembre, un autre épisode de torchage avait créé de l’agitation et relancé la signature d’une pétition en ligne du collectif LibAirTé, rappelant au préfet le principe de “droit à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé”, inscrit dans la loi depuis 1996. Plus de 12 000 personnes ont signé le texte à ce jour. Depuis la fin de l’été, huit maires de l’Est de l’étang de Berre alertent également sur la pollution atmosphérique et le déficit d’information.

Atmosud, l’association régionale agréée pour mesurer la qualité de l’air, a observé début septembre et début octobre des niveaux élevés de particules fines et de composés organiques volatiles, dont du benzène, du butadiène et du toluène. Des substances potentiellement cancérigènes, mutagènes, reprotoxique et neurotoxiques. Par temps de mistral, les polluants plus ou moins dilués dans l’air ont été retrouvés sur les stations d’Atmosud de Berre, Marignane, Vitrolles et Longchamp à Marseille. Des pollutions “pouvant être en lien avec le fonctionnement actuel du site pétrochimique de Berre”, note Atmosud. Depuis 2015, le préfet a pris plusieurs arrêtés d’urgence concernant les installations de Lyondellbasell, les mêmes que celles mises en cause aujourd’hui.

Avec son mari Christian, Éliane Jurado est à l’origine du collectif LibAirTé qui rassemble quelques 500 personnes sur un groupe Facebook. “Produire, proposer des emplois, je suis d’accord. Mais il faut que les usines protègent la santé des gens et que l’État leur impose de le faire. À 72 ans, je me bats au moins pour que mes petits-enfants puissent avoir le droit à la santé”, défend-elle. Le couple de retraités habite une maison dans la pinède à l’Est de la torchère, dans la commune de Velaux. Ils ont toujours vécu sur les rives de l’Étang de Berre, d’abord à Marignane, où Christian a notamment travaillé à l’aéroport. De chez eux, on ne voit pas la torchère mais ce dernier assure que les nuisances sont bien présentes ici. “On subit aussi la pollution sonore, lorsque la torche se met en route les vibrations sont importantes”, décrit-il.

Éliane et Christian Jurado, animateurs du collectif LibAirTé. Photo : Pierre Isnard-Dupuy.

“Vous n’êtes rien du tout, vous n’avez pas droit à l’information”

Éliane dit avoir acquis une conscience écologique il y a trente ans alors qu’elle devait gérer un incident en tant qu’institutrice à Velaux : “Un jour on a été confinés. La mairie nous a demandé de garder les élèves en classe et de leur laver les visages et les mains, c’était très stressant.” Elle ne se souvient pas avoir eu accès à une information de la part des pouvoirs publics à propos de l’origine et de la nature du désordre. “Dans ces cas-là, vous n’êtes rien du tout, vous n’avez pas droit à l’information. Un pompier m’a dit que l’on avait peut-être respiré du benzène. À partir de ce jour, on n’a pas cessé demander qu’il y ait des mesures de la pollution”, se souvient l’enseignante retraitée.

Christian Jurado a mis au point un capteur pour les particules fines avec des éléments achetés sur internet. Photo : Pierre Isnard-Dupuy.

La commune de Velaux ne dispose toujours pas de capteur installé par Atmosud. Christian Jurado a construit le sien, qu’il a installé sur un rebord de fenêtre à l’extérieur, à partir d’éléments achetés sur internet pour quelques dizaines d’euros. Il incite ses contacts à bricoler de même et partage ses données de particules fines observées sur les réseaux. Les Jurado aimeraient que les pouvoirs publics imposent des mesures plus précises prenant en compte la diversité de polluants et qu’une enquête épidémiologique soit menée. Au delà des spectaculaires torchages, ils s’inquiètent d’une pollution de fond issue de l’ensemble de la zone industrielle de Berre et Rognac. Les principaux responsables leur paraissent être LyondellBasell et l’incinérateur de déchets industriels dangereux Solamat.

Dans les rues de Berre, les passants ne partagent pas les mêmes préoccupations. À la veille de l’annonce présidentielle d’un reconfinement, ils ne sont pas beaucoup à frayer dans les rues. La plupart rappelle l’importance du site prétrochimique pour les emplois. “La pollution ? Ça fait longtemps que ça dure. De toute façon, tout part sur Rognac et Vitrolles”, assure par exemple un ouvrier qui travaille dans le forage, venu ce jour là pêcher au bord de l’étang.

Les industriels du pourtour de l’étang de Berre ont mis en place cette année un site et un compte Twitter intitulés “Allo industrie“. Pour nos interlocuteurs inquiets de la pollution, c’est un écran de fumée. “Ce sont des contre-feux, du blabla. Après il n’y a rien du tout de concret”, fustige Éliane Jurado.

Entrée du site pétrochimique de Berre. Photo : Pierre Isnard-Dupuy.

La ministre de la transition écologique interpellée par le sénateur

Récemment passé du fauteuil de maire de Rognac à un siège de sénateur (LR), Stéphane Le Rudulier a adressé une lettre ce jeudi 29 octobre à la ministre de la transition écologique pour lui demander d’agir. “Après de nombreuses réunions sur site, dans les communes environnantes, force est de constater l’échec, jusqu’à présent, des tentatives de médiation successives qui auraient pu permettre d’instaurer les bases d’une cohabitation assainie entre la société pétrochimique et les riverains”, écrit-il avant de solliciter “la haute bienveillance” de la ministre afin qu’elle intervienne. Le sénateur évoque également une action judiciaire que les communes de Ventabren, Velaux, La Fare-les-Oliviers, Vitrolles, Coudoux, Marignane, Gignac-la-Nerthe et Rognac préparent actuellement.

Rencontré juste avant l’élection sénatoriale, Stéphane Le Rudulier affichait son inquiétude quant à ce dossier. “Le constat est clair. Il y a une recrudescence des incidents sur le site pétrochimique. Cette répétition nous amène à penser qu’il y a une problématique sur la maintenance préventive”, affirmait-il. Pour l’élu, le recours à la justice vise à faire “bouger les lignes” en l’absence de “volonté d’un dialogue constructif”, de la part de l’industriel.

“On s’inquiète aussi pour la santé des salariés, précise Eric Passet, l’avocat des maires de ces communes. On étudie la possibilité d’introduire un référé au tribunal judiciaire sur le fondement du préjudice écologique. Un référé parce que ça va vite. Le but, dans un premier temps, serait de contraindre l’industriel à nous financer sur tous les toits des écoles des capteurs d’air. Un fois que l’on aura analysé l’air on pourra aller plus loin.”

Lors d’une réunion publique en septembre, selon La Provence, Éric Mesié, le directeur de l’usine de Lyondellbasell avait assuré que les impressionnants torchages “ne devraient plus jamais arriver dans les prochaines années”. Celui d’octobre a encore un peu plus entamé la confiance des riverains et des élus.

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Commentaires

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  1. Jacques89 Jacques89

    Peut-être faudrait-il alerter J.M. Zulesi (LREM) ou P. Darhéville (PC). Pour l’heure, ils ne défendent que les poissons ( https://youtu.be/RjN9QMbPLx0 ). Un jour, peut-être, défendront-ils les riverains ? Un de leur projet : rouvrir le tunnel du Rôve. Le risque que le Mistral ne s’y engouffre et ramène à l’Estaque ces nuages nauséabonds pourrait-il les motiver ? Peu de chances ! Vaut mieux s’attaquer à un « service public » qu’à une multinationale. Y a moins de risque que Le Maire (ou les syndicats) vienne jouer les arbitres.

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    • Alceste. Alceste.

      Surtout que ces multinationales alimentent des comités d’entreprises gérés souvent par la CGT.

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