Devant la justice, Gérard Gallas, marchand de sommeil aux 100 taudis

Décryptage
le 13 Nov 2023
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Ce lundi s'ouvre le procès de Gérard Gallas, multipropriétaire de taudis. Cet ancien policier est accusé d'avoir soumis des personnes vulnérables à des conditions indignes d'hébergement. Sa spécialité : la division d'appartements en logements plus que réduits.

La courée du 85, boulevard Viala, à la Cabucelle.  (Photo : BG)
La courée du 85, boulevard Viala, à la Cabucelle. (Photo : BG)

La courée du 85, boulevard Viala, à la Cabucelle. (Photo : BG)

Lors de ses nombreuses auditions, Gérard Gallas a du mal à faire l’inventaire précis de l’étendue de ses biens. Le Monde en a dénombré 112 en révélant son renvoi, ce lundi 13 novembre, devant le tribunal correctionnel. Nous en avons décompté 92 en plongeant dans le dossier de l’enquête préliminaire. “Une centaine“, répond-il à la louche aux policiers, en garde à vue.

Il est question d’appartements, mais le terme de taudis est le plus adéquat au vu des nombreuses planches photographiques qui jalonnent le dossier. Nuisibles à quatre ou six pattes, moisissures qui rongent les murs, infiltrations d’eau, absence de fenêtres, voire de portes qui ferment, risque d’incendie ou d’effondrements…

Marchand de sommeil en mode industriel

Gérard Gallas, ex-policier, a le profil de ce qu’on appelle communément un “marchand de sommeil” en mode quasi industriel, même s’il conteste fortement l’appellation, lorsque les enquêteurs lui en donnent la définition. Les taudis dont Gérard Gallas faisait commerce ont accueilli des centaines de personnes, l’immense majorité d’entre elles dans une situation évidente de vulnérabilité : sans emploi, sans-papiers, en demande d’asile. Il est poursuivi pour les avoir soumis à des conditions d’habitat indigne, ce que les nombreux procès-verbaux rédigés par les services municipaux qui accompagnaient la police dans les perquisitions attestent sans nul doute. Il encourt pour cela jusqu’à cinq ans de prison et 150 000 euros d’amende, ainsi que la confiscation de ses biens.

Mais si Gérard Gallas a tant de mal à se souvenir du nombre exact de biens mis en location, c’est qu’il avait la fâcheuse tendance de les multiplier. D’abord, en procédant à des achats réguliers, toujours dans les quartiers où se concentre l’habitat dégradé : la Cabucelle, la Belle-de-Mai, les Borels. Ensuite, en divisant les biens acquis en des logements de plus en plus petits. Au 179, boulevard Salengro, il a ainsi transformé les six appartements d’un immeuble de ville en 21 appartements, dont certains aménagés avec de fragiles cloisons, sous les combles. Boulevard de la Martine, ce sont les caves qui avaient vocation à devenir un lieu de vie.

La division d’appartements en mode de gestion

Un incendie survenu en janvier 2021 dans cette petite maison en cours de rénovation amène les autorités à s’interroger sur les conditions de vie d’un locataire, Rédouane B., présent sur les lieux. Il dit avoir obtenu ce logement vétuste par un certain Faissoili Aliani, poursuivi pour les mêmes chefs de prévention. Avant d’atterrir à Notre-Dame Limite, il s’était vu proposer un appartement de six mètres carrés, aménagés sous les combles à Salengro. Il a refusé ce taudis avant de tomber dans un autre, où l’électricité était vétuste ou absente, les rats et cafards, nombreux.

L’incendie amène les enquêteurs à dérouler le fil sinistre d’un patrimoine entièrement construit sur le profit des plus vulnérables. Aliani était connu dans toute la ville pour permettre aux plus nécessiteux de trouver un toit, même précaire, même indigne.

Sur PV, les locataires disent avoir entendu parler de lui “par le bouche-à-oreille“, “au marché aux puces” des Crottes, “dans la communauté comorienne“. Cet auto-entrepreneur en maçonnerie a connu Gérard Gallas boulevard Salengro où il était locataire, quand l’ancien policier en a fait l’acquisition. Petit à petit, il est devenu l’homme à tout faire, puis l’homme de confiance du propriétaire effectif. Ils se vouvoient, se croisent rarement, s’appellent souvent.

La belle villa à Carry de l’ancien policier

Aliani ne s’est sans doute jamais rendu à Carry-le-Rouet où Gérard Gallas habite dans une belle villa. Les enquêteurs notent le caractère luxueux des prestations de cette résidence où il vit avec sa compagne et domicilie les très nombreuses sociétés civiles immobilières (SCI) dont ils sont les associés exclusifs. Il y a, un temps, installé une société de communication qui devait créer et gérer des sites de voyance. Il fallait bien occuper sa retraite, lui qui a quitté la police en 2015, après y avoir accompli une carrière sans accroc. Il a conclu celle-ci à la brigade de nuit du centre de rétention administrative, où sont placés les étrangers en attente d’expulsion.

Cela le rend sensible à l’hébergement des personnes sans-papier et aux risques pénaux qu’il entraîne. Et ne l’empêche pas d’avoir été soupçonné en 2017 d’avoir contribué à du travail dissimulé d’étrangers sans droit ni titre sur les nombreux chantiers qu’il entreprenait.

Aliani, le collecteur de loyers

En audition, il se défend mordicus d’avoir hébergé des personnes sans titre de séjour à la Cabucelle, à la Belle-de-Mai ou aux Crottes. Pourtant, ils sont légion. C’est d’ailleurs un des caractères de la vulnérabilité dont il a tant abusé. Systématiquement, en auditions, Gérard Gallas se retranche derrière Aliani, son comparse. Si les travaux ne sont pas faits, c’est de sa responsabilité. Si des personnes sans-papier sont hébergées, c’est de son fait. S’il n’y a pas de baux, c’est encore lui. Il soupçonne même son homme de main de lui avoir soustrait une partie du produit des locations. Aliani balaie l’accusation.

Tout comme il évacue celles qui le décrivent comme un homme violent. Néanmoins, celui qu’on appelle Ali, boulevard Viala, à la Cabucelle, n’hésite pas à frapper en cas de retard de loyer, à jeter les affaires à la rue, à casser des portes ou des vitres pour rendre les appartements invivables. Face aux policiers, il se défend avec véhémence de toute violence. Interrogée, sa concubine tombe des nues : “Ce n’est pas lui. Il sait se contrôler”. Elle avoue ne rien savoir de ses activités. À l’inverse, un amoncellement d’auditions de locataires décrit les mêmes scènes ultra-violentes, impliquant “un homme noir“, “Ali“, “Aliani“.

Atmosphère de violences

En défense, Aliani dit avoir lui-même failli mourir boulevard Viala, après une agression de la part de locataires. Pour les mêmes raisons, Gérard Gallas ne se déplace plus sur place. En revanche, l’argent circule. Le propriétaire fournit d’ailleurs un terminal de carte bleue à son complice pour qu’il puisse encaisser les loyers des nombreux demandeurs d’asile d’Afrique sub-saharienne qui n’ont comme moyen de paiement que la carte fournie par l’office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) afin qu’ils s’acquittent de leur loyer. Celui-ci représente la plus grande part de leurs 400 euros d’allocations mensuelles. De quoi constituer un patrimoine évalué par les enquêteurs à 3,5 millions d’euros, pour Gérard Gallas.

Les enquêteurs notent des virements entre les deux prévenus, en paiement des loyers mensuels, entre 150 et 400 euros pour des superficies ridicules. En audition, Gérard Gallas déclare ne pas connaître la réglementation : il ignore qu’il faille retrancher de la superficie la salle de bains, la cuisine et les couloirs. De quoi mettre hors la loi de nombreux gourbis qu’il a sciemment redécoupés. “Tout était refait à neuf”, se défend-il en fournissant un très grand nombre de factures pour des fournitures achetées au titre de ses diverses SCI.

Il présente également des copies de baux contresignés par les locataires qui décrivent des locaux “entièrement rénovés”. Nul doute qu’il produira devant le tribunal ces pièces pour protester de sa bonne foi. Joint par Marsactu, son avocat Frédéric Sanchez ne veut pas faire de commentaire avant ce lundi, où il entend “démonter les éléments de ce dossier” durant une longue semaine de procès. Il aura face à lui, en parties civiles, d’anciens locataires.

Tant d’autres ne sont plus là. Comme ce vieil Algérien, né en 1935. Au moment des auditions, il vivait depuis 1985 au 87, boulevard Viala. Aux policiers, il réclame de ce “propriétaire qui profite des gens” qu’il équipe l’appartement de 30 mètres carrés qu’il occupe pour 450 euros. Ses demandes : “une douche, de l’eau chaude et du chauffage“.

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Commentaires

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  1. Christian Christian

    Et pendant les 26 ans de règne de M. Jean-Claude Gaudin, il y avait aussi des marchands de sommeil parmi les élus de sa majorité.
    Ce n’est pas une rumeur : ils ont été alpagués par la Justice.

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    • EmiRom EmiRom

      Alpagués est peut-être un bien grand mot. A ma connaissance ils ne dorment pas en prison, et n’ont pas été démissionné de leur poste d’élu.

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  2. petitvelo petitvelo

    Un des aspects du manque de logements

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