Des cinéastes attaquent les aides de la région au cinéma

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le 1 Déc 2014
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Des cinéastes attaquent les aides de la région au cinéma
Des cinéastes attaquent les aides de la région au cinéma

Des cinéastes attaquent les aides de la région au cinéma

La semaine dernière, Marseille sortait le tapis rouge pour accueillir l'équipe de La French de Cédric Jimenez. Sans trop insister sur la référence mafieuse, il s'agissait de célébrer une nouvelle superproduction qui prend la ville pour cadre. Déjà, cet été, la Ville avait bloqué la Corniche pour laisser l'équipe y reconstituer l'assassinat du juge Michel. L'événement n'a rien d'original pour la deuxième ville de France en termes de tournages. Ni pour une région qui se classe au même rang à l'échelon national derrière la région parisienne. Il y a un an, l'institution régionale faisait paraître un rapport sur dix ans de sa politique (2003-2013). Celle-ci est adossée à un fonds doté d'un budget de 3,5 millions d'euros annuels (apports du Centre national de la cinématographie inclus) qui la place en 4e position après l'Île-de-France, Rhône-Alpes et Poitou-Charentes. 

Commandé à Idate, une société de consultants, ce rapport – ou audit selon les versions – vient éclairer la façon dont la politique régionale a évolué au fil des années pour accueillir 350 tournages en 2013. Or, pour l'Aarse, une association de professionnels du secteur installée dans la région, ces dix ans sont aussi ceux d'un tournant dans la façon dont la région aide ce secteur culturel. Jouant avec les mots, ces professionnels y voit même "un détournement de fond" car, détaillent-ils "le nécessaire soutien public à la création qui est l’esprit de l’investissement de la collectivité territoriale est détourné de son objet au nom d’un « soutien à l’emploi » dont l’efficacité reste à prouver et pour laquelle aucune politique alternative n’est même étudiée."

Leurs critiques s'appuient sur deux tendances fortes de la politique régionale : le soutien à l'industrie audiovisuelle et aux réseaux de production parisiens. En effet, le rapport Idate note que les fictions TV sont les plus aidées au regard du nombre de projets déposés entre 2005 et 2012. Ce "taux de sélectivité" des séries et téléfilms est de 38,6% en moyenne entre 2005 et 2012, loin devant les documentaires (26,8%) et les longs métrages (23,3%).

 

 

2012, année record pour les projets parisiens

Autre point de crispation, la provenance des projets qui ferait la part belle aux productions parisiennes. Sur ce point, le rapport Idate est plus nuancé que le point de vue des professionnels du cru même s'il reconnaît une quasi-égalité entre les gens de la capitale du Nord et celle du Sud. "Les projets portés par des acteurs de la région PACA sont les plus nombreux à la fois en nombre de dossiers déposés et en nombre de projets soutenus. Rappelons que certaines aides (à l’écriture) sont réservées aux porteurs régionaux. Pourtant, le nombre de projets déposés par des porteurs régionaux tend à diminuer sur 2011 et 2012 alors que 2012 est une année record pour le nombre de projets déposés par des porteurs parisiens", précise l'étude. Pour sa défense, le service cinéma de la région évoque une pénurie de créateurs : "Si des producteurs excellents existent sur place pour les documentaires, il y a une pénurie de producteurs en fiction, c'est pour cela que les réalisateurs sont obligés d'entrer dans les réseaux parisiens voire étrangers".

Ce n'est pas le seul point sur lequel l'Aarse porte sa réprobation, accusant la région de ne plus associer les cinéastes aux discussions : "On est dans quelque chose qui est de l'ordre d'un glissement sémantique fait sur plusieurs années. Nous sommes passés d'un soutien à la création à celui de l'industrie audiovisuelle", estime Jean-Christophe Victor, auteur-réalisateur et membre de l'Aarse, aux côtés de la cinéaste Aurélia Barbet et de Cyrielle Faure, jeune réalisatrice.

"La création marginalisée"

"Nous avons la sensation que la création est marginalisée, les auteurs ont moins accès aux aides à l'écriture" poursuit Jean-Christophe Victor. Il pointe notamment le fait que le préalable pour obtenir ces subventions qui servent à financer l'écriture d'un scénario est de devoir justifier de l'engagement d'un producteur. "Il faut aider les auteurs à écrire en toute liberté. Sinon, il s'agit d'une démarche de rationalité, qui vient du CNC, dans laquelle on soutient la production parce que cela fait marcher l'économie." Et de continuer ses doléances : "La région PACA est un terreau de création où des talents peuvent émerger. Mais si on continue comme cela, elle deviendra juste le réceptacle d'auteurs provenant d'autres régions. Veut-on mettre de l'argent pour obtenir une rentabilité immédiate ou plutôt au service de quelque chose de moins visible qui fait vivre un fond de création ? Il faut un équilibre entre le cinéma de divertissement et ce qui est à contre-courant, qui amène la réflexion et la capacité à penser la société."

Sur la question, la Région se défend vigoureusement, rappelant qu'elle reçoit des associations de professionnels chaque année : "Le service cinéma de la région est le seul champ culturel qui donne des aides à l'écriture aux auteurs directement, et ce pour tous les genres cinématographiques. En revanche, nous nous sommes aperçus que c'étaient un peu toujours les mêmes réalisateurs qui revenaient. On souhaite aider les jeunes talents et c'est justement pour cela que l'on apporte un soutien particulier aux premiers et deuxièmes longs métrages, également aux documentaires, qui sont de la pure création. Concernant la TV, nous avions 0% d'aboutissement sur les aides à l'écriture. Du coup, pour ce secteur et celui des courts-métrages, on préfère mettre en place un accompagnement plus efficace, en organisant des rencontres pour les jeunes auteurs avec des producteurs."

 

Légende : Slate Funding : aide destinée aux sociétés de production pour développer un catalogue de projets (3 à 5) destiné au marché européen et international.

Bourse de recherche : destinée à aider un auteur réalisateur qui souhaite fournir une nouvelle proposition (tous formats, tous genres) dans une œuvre déjà bien engagée. La bourse de recherche n’a pas pour objet d’aboutir à la production d’un film.

Aide au développement : destinée à accompagner l’élaboration d’une œuvre artistique.

Les téléfilms, une manne économique

L'Aarse déplore que le secteur télévisuel soit privilégié comme vecteur d'économie au dépend de la création, et accuse l'institution régionale d'orienter les financements dans le sens du vent.

Aujourd’hui, le secteur traditionnel du cinéma est absorbé par celui du divertissement, et ce mouvement s’est vu renforcé avec le passage au tout numérique, où le public est considéré comme un «consommateur actif» (sic) alors qu’il vise surtout à le déposséder de son rôle critique. Ce spectateur «connecté» qui, à coup de «like», participera à des communautés de produits autour d’une marque (un film ou un producteur, et parfois un auteur).

"Là encore, ce n'est pas exact, rétorque la Région. Par rapport aux sollicitations, très importantes, nous donnons peu aux téléfilms. Mais c'est vrai qu'en termes d'emploi pour les prestataires, les techniciens, les comédiens, c'est très important que nous les accueillions. Pour un euro investi, les retombées sont de 17 euros !"

Le cinéma, "un art et une industrie"

Au milieu de cette bataille rangée, certains professionnels apportent une réponse alternative. Ancienne conseillère régionale, Catherine Lecoq est toujours comédienne et déléguée CGT spectacle. Elle est sensible aux questions d'emploi tout en refusant d'opposer création et économie du cinéma : "Dans tous les cas il faut soutenir la création audiovisuelle, même s'il s'agit de films comme la French, qui font beaucoup d'audience – car c'est tant mieux ! De toute façon la création est facteur d'emploi, donc d'accord pour mettre davantage aux aides à l'écriture. Mais je ne crois pas que cela soit la tendance actuelle de la politique territoriale."

Une position médiane que souhaite conserver le directeur de l'Alhambra William Benedetto qui gère le dernier cinéma Art et essais de la ville : "Les aides à l'écriture se réfléchissent dans l'ambiguïté permanente qui fait que le cinéma est à la fois un art et une industrie. Il n'existe aucun dispositif qui permet au cinéma d'avancer en dehors de tout contexte d'industrie. C'est dommage mais en même temps quand il s'agit d'argent public, cela peut se comprendre. Le véritable problème à mon sens reste la dimension centralisée du pays, avec la plupart des sociétés de production situées à Paris." Sur ce point du moins, Aarse et Région Paca se rejoignent.

Pour illustrer cette centralisation, William Benedetto rappelle l'aventure du Centre méditerranéen de création cinématographique (CMCC) créé par René Allio à Vitrolles en 1979 pour soutenir la création et la promotion d'œuvres régionales finalement échouée quelques années plus tard. L'homme de cinéma rappelle la vocation universelle que le 7e art ne doit pas renier : "Il faut apporter une ouverture sur le monde et ne pas se replier uniquement sur des films d'ici, même s'il n'y a pas d'excès de films locaux et régionaux." Puis, prenant de la hauteur sur le débat : "L'essentiel reste que des cinéastes continuent de naître dans les salles obscures. Est-ce toujours le cas ? Rien ne vaut l'émotion d'un choc quand on découvre un film au cinéma".

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    Les gens du cinéma et de l’audiovisuel ne commentent pas ? Ils font profil bas, l’argent public lie les langues. En même temps il y a tellement de choses à dire.

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  2. Nespole Nespole

    Ce sont “les gens du cinéma et de l’audiovisuel” qui lancent le dialogue. Personne d’autre. Si “il y a tant de choses à dire” … Et bien dites le cher “anonyme” ? Commentez par exemple les réponses du service cinéma qui sont en contradiction avec leurs propres documents ! Les chiffres cités ne reposent que sur des approximations ou des prévisions et ne sont contrôlés par personne (lire les études en question). Quant à l’affirmations que “le nombre de projet soutenus est équivalent entre sociétés parisiennes et de PACA” c’est presque vrai… Mais si on compare le volume d’argent versé ce n’est plus vrai du tout : en 2013 2120.000€ versé à des sociétés parisiennes en aide à la production… Et la seule société de PACA qui reçoit une aide serait productrice… d’un Woody Allen ! (qui a surement besoin de cette aide pour faire son film !?)… Il y a peu de curiosité de la part de la journaliste à vérifier les faits. C’est dommage. Au lieu de perdre du temps à interroger le directeur d’un cinéma sur un sujet qu’il ne connaît pas, elle aurait pu lire les documents publiés par le service cinéma. La manne économique dont il est question ne se trouve pas confirmée par l’audit par exemple… Au contraire ! On peut aussi s’étonner du titre… C’est un peu comme de dire qu’une gazelle a attaqué un tigre ?! Si c’est vrai c’est quand même la gazelle qui se fera bouffer.

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  3. Nespole Nespole

    J’oubliais un détail : les fonds sont dits des “aides à la création”… Ils ne sont pas du tout destinés “à faire venir des tournages” contrairement à ce qui est écrit dans l’article (d’ailleurs le nombre de ceux se tournent dans la région en étant aidés est un pourcentage minime). Le premier atout des tournages dans le sud est la météo (source de grandes économies pour les prod.) Investir là dessus est simplement stupide (à Dunkerque ou Belfort, ça peut s’entendre. A Marseille, non).
    Quant à la qualité de ceux qui sont soutenus, ça confine à l’escroquerie. La politique économique de la région ne vise pas à subventionner les plus grosses entreprises… Sauf pour le cinéma !

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  4. paul paul

    Encore du sociale de l’assistanat

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