De jour comme de nuit, le tapage sans limites de l’aéroport de Marignane

Décryptage
le 21 Nov 2023
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Marseille-Provence est l’un des aéroports français avec la réglementation la moins exigeante en matière de réduction des nuisances sonores. Alors que l'État doit faire des annonces à ce sujet ce mardi, Marsactu fait le tour des points noirs qui expliquent que beaucoup de riverains se disent à bout.

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L'aéroport de Marseille Provence, l'un des moins réglementaires de France, lance une étude d'impact pour réduire les nuisances sonores (Photo : Dion Hinchcliffe, wikimedia CC)

L'aéroport de Marseille Provence, l'un des moins réglementaires de France, lance une étude d'impact pour réduire les nuisances sonores (Photo : Dion Hinchcliffe, wikimedia CC)

“En même pas un an, c’est devenu le défilé au-dessus de nos têtes, comme une énorme tondeuse à gazon ! Et encore, la tondeuse, quand les avions passent, on ne l’entend plus…” Fred Vincent a emménagé aux Pennes-Mirabeau en 2021, quelques mois avant la reprise du trafic aérien, post-covid. À vol d’oiseau, l’aéroport de Marseille-Provence (AMP) est à huit kilomètres de son domicile. “Je savais bien que j’entendrais les avions, mais je ne pensais pas que ma qualité de vie serait autant atteinte.”

Au départ, Fred Vincent pensait exagérer. Avant de se rendre compte que d’autres riverains subissaient les mêmes nuisances sonores, très différentes du trafic d’avant Covid selon eux. Dans les différentes communes touchées par ces nuisances – Les Pennes-Mirabeau, Gignac, Saint-Victoret, Le Rove, Vitrolles, et les 15ᵉ et 16ᵉ arrondissements de Marseille – Jean Reynaud, le président du collectif Bien vivre aux Pennes-Mirabeau (BVPM), estime qu’ils sont aujourd’hui 1 500 riverains à être mobilisés pour obtenir des restrictions dans le trafic aérien. Tous constatent une intensification, de jour comme de nuit, du nombre de vols  etcertains récents propriétaires confient avoir la sensation d’avoir été abusés lors de l’achat de leur propriété. Pourtant, l’aéroport assure que le nombre de vols est en baisse constante depuis 2012, avec “des avions plus gros et mieux remplis”. Une tendance qui ne peut cependant se vérifier puisque l’aéroport n’a toujours pas communiqué ses chiffres depuis février 2022.

Ce mardi 21 novembre, les riverains seront représentés par l’ancien pilote Jean-Jacques Bonneru à la Commission consultative de l’environnement, une concertation qui se tient à l’aéroport, réunissant les professionnels du secteur et les collectivités locales, pour échanger autour des problématiques vécues par les riverains. Ils espèrent que cette concertation aboutira, tel que le résume Fred Vincent, “à une gestion plus réfléchie et plus partagée des nuisances sonores afin de gêner le moins de personnes possibles”.

Une réglementation très, très légère

L’aéroport de Marignane est-il plus bruyant que la plupart des autres aéroports français ? Pour Gilles Leblanc, président de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa), instance administrative indépendante qui contrôle les nuisances liées aux aéroports, “ce problème de bruit persiste parce que Marseille-Provence est l’un des aéroports les moins exigeants en matière de réglementation“, explique-t-il.

La nuit, il n’y a pas de limitation du nombre de vols à Marignane. Seuls les avions extrêmement bruyants sont interdits entre 22 heures et 6 heures.

Concernant les vols de nuit par exemple, il n’existe ni couvre-feu comme celui imposé à Nantes ou à Orly où aucun avion ne vole entre 22 heures et six heures, ni plafonnement de leur nombre. La seule contrainte visant les vols nocturnes concerne une demande de restriction de bruit émis par les appareils. Les avions sont classés selon leur performance acoustique. Plus le seuil est bas et plus l’avion est perçu comme bruyant. “À Marignane, seuls les avions qui ont une marge acoustique inférieure à huit EpndB [unité de mesure du bruit perçu, ndlr], ne peuvent pas voler, et cette mesure ne s’applique qu’entre 22 heures et six heures. Alors que la plupart des aéroports ont un seuil d’interdiction fixé à 13 EpndB la nuit”, détaille le président de l’Acnusa.

En journée, en revanche, les restrictions acoustiques qui s’appliquent sont celles du seuil réglementaire minimum fixé par la réglementation européenne. Selon Gilles Leblanc, les compagnies aériennes peuvent donc affecter leurs avions les plus anciens et les plus bruyants à Marignane.

En juin 2022, l’autorité de contrôle publiait un communiqué pour alerter quant à l’augmentation des vols de nuit observée à l’aéroport Marseille-Provence lors de la reprise de l’activité suite à la période Covid. Un phénomène qui se prolonge en 2023 : les compagnies low cost ont tenté, à Marseille comme ailleurs, de planifier le maximum de vols par journée, estime l’Acnusa. Des compagnies, qui, selon Gilles Leblanc, peuvent ensuite être tentées de dévier des vols reportés ou très en retard en horaires de nuit vers Marseille, “lorsque l’aéroport de la destination initiale applique des restrictions”. Marignane n’appliquant pas de plafonnement des vols de nuit, impossible de savoir à quelle fréquence cela se produit.

Questionné à ce sujet, la porte-parole d’AMP explique ne pas avoir la main sur le programme des compagnies aériennes, mais que l’aéroport applique une politique volontariste “afin de convaincre les compagnies d’être plus respectueuses à ce sujet”. Au-delà, les restrictions liées aux horaires et aux normes environnementales doivent être prises par arrêté ministériel.

Un plan d’action sans objectifs

Un fait révèle l’absence de ligne directrice sur le sujet du bruit à Marignane : le plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE), réalisé par la direction de sécurité de l’aviation civile Sud-Est, établi pour la période 2020-2024 ne fixe ni objectif ni résultats. Il documente les nuisances existantes, mais ne pose aucune contrainte de réduction de ces nuisances. Gilles Leblanc se montre critique envers ce “document qui ressemble à un catalogue de bonnes intentions, mais qui ne répond en aucun cas à ce que prévoit la réglementation européenne”.

Aujourd’hui, on ne sait toujours pas comment l’aéroport parviendra à réduire ces nuisances.

Gilles Leblanc, président de l’Acnusa

L’expert rappelle que le plan précédent faisait état d’un million de personnes aux alentours de Marignane pouvant être l’objet d’une gêne sonore dépassant le seuil réglementaire de 65 décibels, au moins une fois par jour. Une partie d’entre eux, 37 000 personnes, sont exposées à plus de vingt-cinq événements de ce type au quotidien, comme l’est Fred Vincent. “Aujourd’hui, on ne sait toujours pas comment l’aéroport parviendra à réduire ces nuisances”, constate Gilles Leblanc.

Le plan a pourtant été validé par la préfecture des Bouches-du-Rhône, le 18 juillet 2023, soit seulement quelques mois avant son échéance. La légalité de cette décision préfectorale est remis en cause par le maire de Gignac-la-Nerthe, Christian Amiraty, qui a déposé un recours gracieux le 18 septembre auprès du tribunal administratif. Pour la mairie, ce plan ne permet pas de tenir les objectifs de prévention et de réduction des nuisances.

“La consultation publique qui a été mise en œuvre deux ans après le renouvellement du PPBE peut également être contestée”, complète l’avocat de la mairie, Johan Baillargeon. Seuls quatre habitants des Pennes-Mirabeau et cinq de Gignac ont participé à la consultation publique, sur les 342 contributions enregistrées. “L’information n’a pas suffisamment circulé dans les communes les plus concernées”, dénonce Jean Reynaud, le président de l’association pennoise.

L’obsolescence du plan d’exposition au bruit

Autre plan qui suscite des critiques, le plan d’exposition au bruit (PEB), qui établit les différentes zones urbaines à protéger autour de l’aéroport : sa version actuelle date de 2006 et n’est donc plus du tout en phase avec le trafic aérien actuel. La loi précise pourtant qu’il doit être réévalué tous les cinq ans. Une remise à niveau d’ampleur se profile donc avec un impact direct sur les zones d’habitation. “La révision inquiète, et à juste titre. Ça fera sans aucun doute l’actualité politique et sociale localement. Mais en même temps, il faut bien retracer la réalité”, pointe Gilles Leblanc.

Fred Vincent a déménagé aux Pennes-Mirabeau parce qu’il n’en pouvait plus de vivre près d’une route fort bruyante. “J’étais soulagé quand le notaire m’a montré que j’étais en dehors des zones définies par le plan d’exposition”, se souvient-il, déçu. Cécile Martinez, est, elle aussi, propriétaire dans la même commune depuis peu. Elle estime que les nuisances sont fortes au moins “quatre à cinq jours par semaine”. Au moment de l’achat, elle s’est vu présenter ce plan vieux de dix-sept ans. Elle affirme qu’elle et son mari n’auraient jamais acheté “en connaissance de cause”.

Vers une future régulation

Sollicité par Marsactu, l’aéroport a souhaité attendre l’issue de la commission de ce mardi pour communiquer plus en détails à ce sujet. Lors de la réunion, menée par les services de l’État, la question de l’optimisation des trajectoires aériennes doit notamment être abordée.

En amont de cette rencontre, la préfecture présentera à la presse l’étude d’impact qu’elle vient tout juste de lancer. En raison de cette conférence, la préfecture n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais elle indique dans un communiqué reconnaître que le sujet des nuisances “est une préoccupation majeure des riverains” et indique que des “pistes d’amélioration sont sans cesse recherchées” pour les réduire. “Le préfet a ainsi mandaté la Direction de l’aviation civile Sud-Est” afin de mener une étude d’impact. “Le calendrier et les principales phases” seront présentés ce mardi, précise le communiqué. Au terme de l’étude, l’État devra pouvoir fixer des restrictions plus adaptées. “Il était temps”, souffle Gilles Leblanc, tout en estimant que tout ce processus prendra au minimum deux ans.

Actualisation le 27 novembre à 17 h : ajout de plusieurs précisions suite à des remarques émanant de l’aéroport Marseille-Provence et modification d’une erreur : il n’y a pas de couvre-feu à l’aéroport de Nice, mais il y en a dans ceux de Nantes ou d’Orly.

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Commentaires

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  1. tj13 tj13

    Donc, sur la base de personnes qui viennent s’installer près d’un aéroport et qui sont ensuite surprises que les avions ont des moteurs, il vaut mieux fermer l’aéroport ? Pour ce qui est de Marseille comme point d’arrivée des avions déviés suite a des retards, j’ai il y a 3 semaine vécu l’inverse. Avion pour Marseille dévié sur Nice car Marignane ne dispose pas d’éclairage des pistes de secours (sic!). Retour sur Marseille a 1h30, avec plus de 2h de retards. Donc a minima, cela marche dans les 2 sens.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    Notre aéroport est le moins exigeant (pardon, un des moins), en matière de réduction des nuisances, comme c’est étonnant ! Qui pourrait exiger une réglementation plus contraignante, de fait plus conforme ? Les elus locaux, les collectivités territoriales. Mais faire respecter les règles par des acteurs économiques, ici, c’est non. Et tant pis pour les citoyens résidents.

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  3. Alceste. Alceste.

    Tj 13, votre réflexion est pleine de bon sens. C’est comme les gens qui construisent, avec la complicité des maires,en zone inondable et qui une fois les pieds dans l’eau se mettent à couiner.

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  4. Patafanari Patafanari

    C’est Marseille. Ici les avions font même des roues arrières et des burns. Ailleurs certains ne supportent plus le chant du coq, l’odeur des cochons ou la sonnerie des cloches de l’église.

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