Une journée et des poussières d’heure sous l’étoile du Nord
Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, il est allé à la cité des Arts de la rue pour une journée sous l'étoile du Nord.
Une journée et des poussières d’heure sous l’étoile du Nord
Le soleil printanier décline, je suis assis à une longue table avec trois dames âgées, les bancs sont un peu raides. Elles mangent des plats arabes confectionnés par celles de la Gare Franche : elles ne connaissent ni les plats ni les dames. D’ailleurs elles viennent du 5ème arrondissement de Marseille, au centre-ville et ne s’étaient jamais rendues dans cette Cité des Arts de la rue aux Aygalades, dans le 15ème arrondissement. Au cœur des quartiers nord dont elles connaissent la mauvaise réputation.
Mais voilà, elles sont venues avec les Petits Frères des Pauvres, cette association dont les bénévoles “assurent une présence auprès des personnes gravement malades (ou en fin de vie) à leur domicile ou à l’hôpital (unité de soins palliatifs)”. Ce samedi 21 avril est le jour d’Etoile du Nord, initiative de cinq lieux culturels du nord de la ville. “Cinq branches d’une même étoile”, annonce le programme, et les Petits Frères de Pauvres ont décidé de s’y associer. Mes trois compagnes ont donc assisté en début d’après-midi à un Match d’improvisation méditerranéen qui n’a pas souvent un public où les personnes âgées sont si nombreuses.
En tous cas elles semblaient ravies d’être là et de voter pour les acteurs amateurs qui, donc, improvisent. “Un débat politique” annonce, sifflet à la bouche, l’animateur en t-shirt rayé : les acteurs doivent utiliser trois mots “choisis par le public” : ce sera “sourire, âme, baiser”. Lors d’une autre scène, ces acteurs en compétition fictive n’auront jamais droit de dire “oui ou non” ou d’employer “un mot avec la lettre a”. Mes amies du soir ont beaucoup aimé ça, elles n’en connaissaient rien et m’interrogent sur ces arts de la rue, sur “quelles troupes font ça ?” et même sur le nom du lieu où elles sont en train de grignoter des “kefta de sardines de Louira”, ou un “tajine tunisien au poulet”. Pendant que nous dînons, Balepidermik de la compagnie Pernette se produit sous l’ombrière. Cinq danseurs sont présentés au public, cette fois assez jeune : la plupart des anciens sont rentrés chez eux.
Après un court et brillant solo du “Yéti de la danse contemporaine” ou de “Lucien et la danse des canards”, l’animateur convie le public à un “échauffement corporel” qu’il orchestre avec ses cinq danseurs. La piste se remplit et, miracle d’une pédagogie rythmée, les cent personnes sur la piste ondulent en musique, tournent la tête en rythme, lèvent tous ensemble le petit doigt ou agitent leurs pieds “pointe/talon, pointe/talon, pointe/talon…”. Avant de former deux cercles concentriques et, emportés par la musique, de proposer une chorégraphie parfaitement réussie dans laquelle tous sourient, couple énamouré, solitaire enchanté, maman avec bébé dans les bras sur Girls and boys de Prince que beaucoup chantent en même temps.
Cette journée d’Etoile du Nord, “de 14 heures à minuit”, offre bien des moments où – c’est une des forces des artistes de la rue- on ne sait plus trop qui est artiste et qui est public. Les trois danseur(seuse)s de Cirk Biz’art, trentenaires aux perruques changeantes, nuit tombée, feront aussi danser des dizaines de personnes en les emmenant des Blues Brothers au rap contemporain en passant par des postures à la John Travolta du Saturday Night Fever.
Bien sûr lors de cette très longue “fête pour tous les habitants de Marseille” on a bavardé, on s’est salué, on a acheté des produits du Marché retrouvé, proposés par des viticultrices ou des agriculteurs locaux. Des gamins, très nombreux, ont joué au foot, pendant que les parents entraient dans les Mercedes installées en cercle de l’Agence des Voyages Imaginaires dont les comédiens et les chanteurs ravissaient toujours autant que lors de leur prestation au Mucem le jour où MP 2018 entamait sa saison Quel Amour ! (MP 2018, qui labellisait aussi l’Etoile du Nord…).
On pouvait aussi être interrogé par d’étranges personnages habillés en noir qui vous demandaient ce que vous vouliez négocier et “qui n’a pas de prix”. Avant de vous accueillir au milieu de cageots de plastique noir où vos désirs pouvaient croiser ceux des autres. L’une, qui désirait “marcher sous l’eau” était prête à offrir ses “très beaux cheveux” (ils l’étaient réellement) ; un autre voulait “supprimer l’argent” et offrait “la révolution” ( ?). Je n’ai pas bien compris comment je pouvais gagner “une émotion forte avec mon amoureuse” même si j’étais prêt à renoncer à “ma passion l’écriture”. Mais les arts de la rue ne sont pas plus une science exacte qu’un théâtre facile.
Dans la nuit profonde nous avons ensuite longtemps marché avec la compagnie Artonik, dont les danseurs, éclairés par des projecteurs tenus bien haut par leurs complices, mêlaient leur amour des danses khmers à d’étranges projections graphiques représentant des dessins sur les façades de la Cité des Arts de la rue qui surplombe l’autoroute nord.
Il était tard dans la nuit, cette folle journée m’avait un peu fatigué et pas mal enchanté. J’ai repris mon scooter et suis redescendu au centre-ville…
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