Au Frioul, des chercheurs veulent comprendre pourquoi les gabians se gavent de nos déchets

Reportage
le 3 Juin 2023
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Une colonie de gabians. Des poubelles qui débordent. Du plastique partout. Une équipe de chercheurs enquête sur les évolutions du comportement de l'emblématique oiseau marseillais, en interrogeant notamment son rapport à l'environnement citadin.

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L'équipe de recherche CNRS-Tour du Vallat, en quête de poussins goélands, protégés des attaques des parents par des branches. (Photo : E.d'A)

L'équipe de recherche CNRS-Tour du Vallat, en quête de poussins goélands, protégés des attaques des parents par des branches. (Photo : E.d'A)

Lourdement armés, Karen McCoy et son équipe accostent sur l’archipel des îles du Frioul. Leurs pieds à coulisse, cahiers et crayons s’entrechoquent contre le pique-nique dans leur sac à dos. Ils quittent le sentier. Après une longue marche de presque 25 minutes vers le cap de Croix, ils revêtent leur combinaison de combat. Chacun prend position, en silence. Chut. Ils tendent une embuscade. Coiffés de branches de bois mort pour contrer les attaques ennemies, les gabians visent toujours le point le plus haut, les soldats arpentent la plaine.

Près de cinq longues minutes plus tard, trois poussins gabians relativement détendus dans les bras, ils accourent. Esquintés par une si longue traque, ils sortent en vitesse leur puissante artillerie afin d’obtenir le plus d’informations possibles sur ces êtres lâches et vils, qui ont de surcroît l’audace de se blottir confortablement entre leurs jambes.

54,1 de tarse“, “tête-bec, 92,3“, “je vais prendre des plumes…“, “pas de parasite celui-là !“, “395 grammes… effectivement, pas gros“. L’équipe s’affaire. Directrice de recherche au CNRS, spécialiste en écologie évolutive, Karen McCoy s’approche : “On a remarqué un truc super intéressant. On retrouve de plus en plus de briquets, de petites ampoules, de fragments de plastique colorés ou brillants dans les nids. On pense que c’est utilisé comme cadeau du mâle à la femelle pendant la parade nuptiale“. Ainsi commence une chouette matinée de reportage avec une équipe de recherche qui traque les gabians.

Opportunistes goélands

Trois heures durant, l’équipe de scientifiques capturent les poussins d’une trentaine de nids qu’ils suivent depuis plusieurs mois, pour leur mesurer les pattes, le bec, les peser, inspecter leur plumage à la recherche de parasites, les baguer.

De gauche à droite, Anna-Carolina Hadden, Carole Leray, Charly Souc, Karen McCoy et Marjorie Bruley, prennent la pose avec les poussins. (Photo : E.d’A)

C’est la deuxième année consécutive que les membres de ce projet, appelé Ecodis et lancé en 2021, suivent une population de gabians à Marseille. Ils cherchent à savoir si l’évolution de l’environnement, due au changement climatique ou à la pollution, ont un impact sur le comportement du goéland leucophée, l’espèce présente à Marseille.

Selon eux, si la qualité ou la quantité de sa nourriture est altérée, autrement dit, si son environnement n’est plus propice à la survie de ses oisillons, le gabian pourrait se déplacer. Et il pourrait bien, d’après les premiers résultats de l’équipe de scientifiques, l’avoir déjà fait et se rapprocher de plus en plus des villes, ou du moins de ses habitants, pour se nourrir de ce qu’il trouve facilement par terre ou dans nos poubelles. Mais ce n’est pas que le poisson ne soit plus favorable aux goélands. C’est que nous leur proposons mieux.

Rendus dépendants à la nourriture humaine

À Marseille, les gabians sont omniprésents. Et pourtant personne n’avait jamais vraiment pris la peine de les étudier attentivement. Pourquoi une partie de leur population reste sédentaire tandis que d’autres migrent ? Aucune idée, répondent les chercheurs du CNRS. Pourquoi migrent-ils sur des distances très aléatoires ? Bonne question ! Sont-ils monogames, fidèles à leur partenaire d’une saison à l’autre ? On ne sait pas… Comment choisissent-ils leur proies ? Ce n’est pas encore très clair. “C’est très surprenant, cette espèce super présente sur laquelle on n’a pas de données“, s’étonne Karen McCoy. “On s’intéresse plus aux espèces en danger d’extinction… “, s’explique tant bien que mal Charly Souc, qui prépare une thèse de doctorat en écologie de la santé sur les gabians.

Ainsi, on les ignore. À tel point que leur population en France a atteint en toute quiétude son pic dans les années 80, racontent les chercheurs pendant leur expédition au Frioul. Envahis, on procède à des campagnes de réduction de leur population. Les oiseaux, menacés, migrent vers les villes pour survivre et font la connaissance des décharges à ciel ouvert.

Un beau jour des années 2010, l’immense décharge à ciel ouvert du département, Entressen, au cœur de la Crau, ferme. Alors que nous continuons de les ignorer, les gabians sont privés d’une source inépuisable de nourriture anthropique. Les chercheurs estiment que c’est à cette époque qu’ils se rapprochent des villes et modifient leur comportement.

84 % des gabians étudiés à Fos ont mangé du plastique

Des bolus, régurgitas de goélands trouvés dans un nid, contenant un fragment de plastique bleu. Photo : E.d’A

Avant le projet Ecodis, pour faire le lien entre nos déchets et le comportement des gabians, l’équipe avait suivi et étudié une population de goélands sur l’île de Carteau, dans le golfe de Fos, en 2020. Ils avaient trouvé que parmi les trente couples de goélands étudiés, 84 % avaient mangé au moins un bout de plastique.Souvent un morceau d’emballage“, précise Karen McCoy. Pour mesurer cela, aucun goéland n’a été sacrifié. Ils étudient les “bolus”, les régurgitas des gabians, sorte de boule de tout ce qu’ils ne digèrent pas.

Si on fournit ce dont l’animal a besoin, c’est normal qu’il profite.

Karen McCoy

La scientifique reconnaît un certain biais à l’étude, puisque si l’on trouve beaucoup de plastique dans un bolus mais peu de bolus, cela peut signifier que la plupart du temps l’oiseau ne régurgite rien parce qu’il mange sainement. Mais elle va plus loin. “C’est connu que les gabians mangent des plastiques, ce n’est pas très intéressant. Ce qu’on voulait tester, c’est est-ce que pendant qu’ils nourrissent des poussins, les parents changent d’alimentation. En fait, non. Il y avait toujours du plastique dans les bolus. Donc soit ils s’en foutent et résistent bien au plastique, parce qu’ils ont un énorme gosier qui leur permet de le recracher, soit ils ne sont pas assez malin pour discerner ce qui est du plastique de ce qui ne l’est pas, explique-t-elle. Carole Leray, de l’institut de recherche la Tour du Valat enchaîne : “On pense que c’est la première hypothèse. Les gabians sont très malins. Ils savent trouver la nourriture qu’ils veulent.”

Et effectivement. Dans les tubes digestifs des cadavres qu’ils trouvent lors de leur sortie terrain et qu’ils emportent pour analyse, ils ne trouvent quasiment aucun plastique. Si les gros fragments sont recrachés, pour les scientifiques, ça ne fait aucun doute, des quantités importantes de micro-plastiques doivent passer et peuvent altérer les tissus et toute la physiologie de l’animal. C’est encore un autre pan du projet, sur lequel se penchent Karen McCoy en partenariat avec la Tour du Valat et une unité de recherche de l’université Paul-Sabatier de Toulouse.

Les poubelles qui débordent mises en cause

De nombreux oiseaux marins sont porteurs de pathogènes et de parasites. S’il n’y a aucune preuve qu’ils peuvent nous les transmettre, pour Karen McCoy, c’est une possibilité.

Les goélands pourraient être de plus en plus nombreux, à terme, à délaisser la pêche au profit de nos poubelles, où la nourriture est plus facile d’accès. Avec ou sans emballage, qu’importe pour le gabian, qui peut en recracher la quasi-totalité. Les villes où les déchets sont le plus accessibles, jetés par terre, dans des poubelles qui ne ferment pas, qui débordent, seront les plus envahies. “C’est la gestion des déchets qui doit être rapidement prise en compte. On en jette vraiment beaucoup trop. Ça devient accessible à la faune sauvage. Si on fournit ce dont l’animal a besoin, c’est normal qu’il profite“, alerte Karen McCoy. Pendant que nous assistions à leur étude des poussins au Frioul, l’un d’eux a régurgité une Knacki entier sur la jambe de Charly Souc. C’est ce qu’était allé chercher son père ou sa mère sur le continent pour le nourrir.

L’arrivée massive des gabians en ville et leur promiscuité avec les hommes posent un autre problème. De nombreux oiseaux marins sont porteurs de pathogènes et de parasites.  Parmi eux, des tiques, inoffensives pour l’être humain d’après les études actuelles (sans données pour nos animaux de compagnie), mais surtout des bactéries résistantes aux antibiotiques, les BLSE. Elles parsèment leur tube digestif. S’il n’y a aucune preuve qu’ils peuvent nous les transmettre, pour Karen McCoy, c’est une possibilité. Les gabians se nourrissant de nos déchets, partagent une alimentation similaire à la nôtre. Ils pourraient alors entraîner leurs bactéries BLSE à résister à des agents pathogènes que nous rencontrons aussi et pourraient, s’ils nous les transmettent, par exemple par leur fiente, rendre nos antibiotiques inefficaces.

Lobbying anti-plastique

Mais l’étude n’en est qu’à ses débuts. L’heure est à la recherche et à la prévention. “Il y a du plastique partout. On est en train de travailler sur une étude comparative de la présence de plastique dans les populations de gabians sur tout le pourtour central de la Méditerranée. On travaille aussi avec des gestionnaires de réserves naturelles, ils attendent nos résultats pour communiquer dessus”, relate Karen McCoy, patiente. Le chemin de la recherche est long.

Et puis, bientôt, pendant que ses parasites de gabians et bolus de plastiques seront étudiés en laboratoire, elle partira en Islande pour étudier les tiques porteuses de la maladie de Lyme. À son retour, pour continuer d’étudier les nids à la prochaine saison de ponte des gabians, en mars prochain, près de cinq milliards de tonnes de nouveaux débris de plastiques auront rejoint l’océan mondial. Ils proviennent en majorité des déchets jetés en pleine nature et reversés à l’océan par les cours d’eau et les égouts.

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Commentaires

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  1. Pussaloreille Pussaloreille

    Sujet interessant mais bizarre, cet intertitre « lobbying anti-plastique »

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    • BLeD BLeD

      Oui, voilà un usage du mot lobbying très “malta-propos”. Comme si le combat écolo devait se rabaisser aux procédés manipulatoires des multinationales pollueuses. Pour ensuite les renvoyer dos-à-dos ? Ce serait faire comme Donald Trump mettant un signe d’égalité entre racistes et antiracistes… pour mieux légitimer le racisme : une opinion comme une autre.

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  2. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Intéressant, mais faut leur laisser le temps aux chercheurs pour qu’ils tirent les conclusions qu’ils veulent, mais le plastique c’est pas sympathique…!?!!

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