Voyages en Alcazarie : au kiosque de presse

Billet de blog
le 23 Oct 2017
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Image : Ben 8
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José Rose est sociologue et écrivain. C’est aussi un usager de l’Alcazar. Des mois durant, il s’est rendu dans la grande bibliothèque de Belsunce comme on se rend dans un pays lointain soudain si familier. Cette exploration est devenue un livre qui vient de paraître. Sur l’Agora de Marsactu, il publie en feuilleton des premiers épisodes de ce voyage.

Dès le premier jour, j’avais été intrigué par le manège des impatients devant les portes closes et leurs tentatives de faufilage. Ce matin, je décide d’entrer parmi les premiers pour éclaircir l’affaire. Dans la longue ligne droite du hall, un homme en casaque à carreaux écossais a déjà pris une longueur d’avance. S’accroche à lui, un concurrent en blouson râpé, casquette défraîchie et longs cheveux gras. Mais voici qu’arrive du diable vauvert une petite dame en casaque blanche et fichu rouge. On dirait qu’elle galope. Elle va être disqualifiée. Mais elle reprend son trot pour dépasser bientôt un homme en gilet de chasseur déchiré qui a dû chuter sur l’obstacle précédent. Un autre, casaque verte et pantalons de velours à mi-mollets, porte son attaque. Mais elle accélère à nouveau et dépasse maintenant un costume gris avec fin liseré officiel sur le revers du col. Les autres, barbe jaunie près des lèvres, souffle court, lunettes aux branches scotchées, sont débordés. C’est la course disent les passants qui s’écartent. D’un ultime coup de reins, la casaque blanche et rouge franchit la ligne en tête et se précipite aussitôt vers… les écrans. Ouf ! Les ordinateurs sont disponibles. Elle va pouvoir, comme chaque jour sans doute, aller sur Internet en libre accès. Je m’approche d’elle et note qu’elle consulte un catalogue de produits électroménagers.

Derrière elle, les présentoirs de presse sont déjà allégés de la plupart des journaux du jour. Il va falloir se rabattre sur ceux de la veille ou sur la presse étrangère, car il y en a ici pour tous les caractères : latin, arabe, cyrillique, hébraïque. Et les fauteuils bleus, bulles ovoïdes faisant salon « comme chez soi », sont très confortables. Les têtes disparaissent derrière les journaux et les pantalons trop courts laissent parfois voir des chaussettes dépareillées. Pour parfaire la description, on pourrait surajouter une bande-son avec cliquetis de claviers et frôlement de feuilles sur fond de silence assourdi. Homme élimé en chemise à carreaux déchirée sur l’épaule, gilet de chasseur marron en piètre état, pantalon de velours à mi-mollet et chevelure rasta, homme bien mis avec costume gris souris et fin liseré officiel sur le revers du col : la diversité est de mise dans ce lieu de presse ouvert sur le monde.

Je croise même mon ancien voisin de square qui a longtemps vécu sous une bâche transparente qu’il repliait chaque matin avec soin et sa compagne avant de s’installer sur un banc pour écouter les informations sur une petite radio posée contre l’oreille puis de ramasser les objets délaissés par les négligents à domicile fixe et de partir chercher pitance et occupation. Lui aussi voyage en Alcazarie ! Je reconnais son geste de main droite lissant sa barbe et son autre main tremblotante, mais sa doudoune jaune est nouvelle, sans être neuve pour autant. Comme moi, il cherche un journal du jour en marmonnant de dépit. Tiens, je le croyais muet.

“Ce que je reproche aux journaux, c’est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles” écrit Marcel Proust dans Du côté de chez Swann (citation à vérifier tout de même, car ce “c’est de nous faire faire” n’est ni fait ni à faire).

Ce deuxième épisode du Voyage en Alcazarie est tiré de l’ouvrage Scènes de vie en bibliothèque -Voyage en Alcazarie, paru aux éditions de l’Harmattan et disponible en librairie et sur le site des éditions.

 © Editions l’Harmattan.

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