Voyage en Alcazarie : l’impécunieux romantique

Billet de blog
le 4 Nov 2017
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image : Ben 8
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José Rose est sociologue et écrivain. C’est aussi un usager de l’Alcazar. Des mois durant, il s’est rendu dans la grande bibliothèque de Belsunce comme on se rend dans un pays lointain soudain si familier. Cette exploration est devenue un livre qui vient de paraître. Sur l’Agora de Marsactu, il publie en feuilleton des premiers épisodes de ce voyage.

Cheveux longs et gras, blouson bleu élimé, pantalon de velours vert épuisé, espadrilles fatiguées, mais visage enjoué. Je l’avais déjà repéré au kiosque et me demande même s’il ne feuilletait pas Les Echos. En observant ses compagnons de fortune improbable, j’avais même improvisé un couplet paraphrasant la chanson d’Allain Leprest : Au hall de presse, esse, esse / Y’a pleins d’idées, dées, dées / Et pas de zef, ef, ef/ SDF. Cet après-midi, notre homme se dirige vers le rayon des livres consacrés aux chanteurs. Je m’approche de lui tandis qu’il consulte avec ravissement un livre sur Joséphine Backer intitulé Une vie mise à nue. Il s’adresse à moi. “C’est pas beau ça ! Regardez comme elle est belle. Ah ! À l’époque, ils étaient pas vulgaires… Et il y avait quand même des talents : Yves Montand, Edith Piaf. Les chanteurs d’aujourd’hui sont tout petits à côté, vous ne trouvez pas ?”. Puis il me conseille un livre sur Petula Clark. “Vous allez pleurer tellement c’est beau. Et vous reviendrez demain pour connaître la suite. C’est le meilleur livre de la bibliothèque”. Fichtre ! Et il se met à chantonner “Que fais-tu là Petula ?”. Cette chanson, elle a fait dix fois le tour de la terre, précise-t-il.

Tandis qu’il rejoint le rayon Presse, je pars à la recherche du livre de Petula. Je trouve la référence, mais elle ne me conduit pas au livre. Je vais voir le bibliothécaire pour lui demander de m’aider. “Ah, Petula Clark ! Il y a un gars qui vient tous les jours pour le consulter et qui ne range jamais le livre à sa place. Il va falloir qu’on l’attrape. Si vous retrouvez aussi le livre sur Montand, vous nous le dites”. Et il interpelle son collègue en souriant : “Tu sais, c’est le gars qui dit que c’est le meilleur livre de la bibliothèque !”

Mais que vient donc bien chercher mon critique littéraire personnel, pas bélître pour un sou malgré les apparences, en s’imprégnant ainsi de ce livre ? Souhaite-t-il retrouver un visage aimé, s’identifier à une vie de rêve, raviver une période plus riante, déguster quelques bonbons de bonheur pour estomper l’âpreté de sa vie ? À moins qu’il n’ait trouvé le support pour se distinguer et engager la conversation avec les visiteurs de passage ? Tendre un livre comme on lance une ligne de pêche, le parer de toutes les qualités pour aviver la curiosité et attendre que le badaud morde : voilà une belle idée de rencontre possible avec les visiteurs. Elle ne coûte rien, consomme peu et peut produire beaucoup de satisfaction.

“Il croit qu’il faut imaginer le monde comme le rendez-vous des errants qui s’avancent sac au dos, des clochards célestes qui refusent d’admettre qu’il faut consommer toute la production et par conséquent travailler pour avoir le privilège de consommer, et d’acheter toute cette ferraille dont ils n’ont que faire” écrit Jacques Kerouac dans Clochards célestes.

Ce deuxième épisode du Voyage en Alcazarie est tiré de l’ouvrage Scènes de vie en bibliothèque -Voyage en Alcazarie, paru aux éditions de l’Harmattan et disponible en librairie et sur le site des éditions.

 © Editions l’Harmattan.

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