Marseille : les maires binôme Rubirola-Payan venus dépoussiérer la démocratie française ?

Billet de blog
par kukulkan
le 7 Déc 2020
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Dans un système politique où domine la soif de pouvoir, le choix de Michèle Rubirola étonne et inquiète les journalistes. Pourtant, ce pas à contre-courant révèle la possibilité d’un système plus ouvert, plus participatif et moins autoritaire.

Michèle Rubirola fut élue Maire de Marseille le 4 juillet 2020 comme candidate du Printemps Marseillais, une liste citoyenne regroupant de nombreux partis politiques. Cette élection finale par les conseillers municipaux eut lieu après une semaine d’incertitudes liées au vote des nouveaux conseillers municipaux fraîchement élus, dont les forces progressistes étaient éparpillées entre les élu.e.s de Samia Ghali et ceux du Printemps Marseillais, et dont les possibilités d’alliances entre les autres forces minoritaires rendaient possible la mise en minorité du Printemps Marseillais, arrivé 1er avec plus de 66 500 voix, devant Les Républicains aux 53 400 voix, mais avec un nombre quasi égal de conseillers municipaux élus du fait du découpage en secteurs non proportionnels lié à la loi PLM. Dès l’accueil tonitruant par les militants à la sortie de la Mairie, sous les projecteurs des nombreux journalistes, la complicité entre Michèle Rubirola et Banoît Payan sautait aux yeux.

Dès les débats précédents l’élection et les candidatures officielles, la personne de Michèle Rubirola apparaissait comme un choix neutre et consensuel pour représenter le Printemps Marseillais, face aux figures des partis et plus clivantes que peuvent être Benoît Payant ou Jean-Marc Coppola. Son nom et son ambition sont apparus assez mystérieux aux yeux de beaucoup, et le restent encore aujourd’hui.

Près de deux mois après son élection, la nouvelle maire de Marseille laissait sa place à son premier adjoint Benoît Payan, afin de bénéficier d’une opération chirurgicale. L’aisance de Banoît Payan dans le rôle de maire, habitué des joutes verbales et du jeu politicien, et le silence de Michèle Rubirola pendant près d’un mois (de mi-septembre à mi-octobre), ont agité tous les fantasmes concernant les desseins de la nouvelle maire de Marseille.

Le 25 octobre, Michèle Rubirola accorde un entretien à Libération où elle affirme désirer mener son rôle de maire en binôme avec Benoît Payan :

“Je suis maire, j’assume les responsabilités et les obligations qui vont avec mais on travaille en binôme avec Benoît Payan et on travaille collectivement avec tous les adjoints. Les Marseillais ont voté pour une dynamique”

Ce nouveau mode de fonctionnement est souvent vu comme une faiblesse de la maire de Marseille, mais on devrait également le lier aux nouveaux modes de gouvernance qui émergent et sont toujours plus visibles dans notre système politique pourtant si peu démocratique en dehors des élections, comme les listes municipales participatives élues dans la Drôme, à Dieulefit ou à Saillans.

De nombreux travaux universitaires en science sociale et en science politique ont montré la pertinence de la démocratie participative, à travers les budgets participatifs notamment (un engagement en cours de concrétisation de la nouvelle majorité à Marseille) : en associant un plus grand nombre de personnes, d’âge, de classe sociale, de genre et d’origine différentes (par tirage au sort préférablement) les décisions touchant à l’utilisation du bien public sont plus rationnelles, efficaces, et économes, car elles sont le fruit de débats plus ouverts et moins biaisés que lorsque les décisionnaires sont issus du même milieu. La prise de décision collective demande un travail d’analyse plus important en amont, mais assure plus souvent une issue plus rationnelle et sérieuse. Elle est particulièrement adaptée lorsque des problèmes nouveaux se posent régulièrement, ce qui est le cas typique du rôle de maire. Les citoyens pourraient d’ailleurs exiger légitimement que les élus rendent compte et fassent preuve de plus de sérieux et de rigueur dans les décisions qu’ils rendent en leur nom, et pour lesquels ils sont spécialement payés par les impôts prélevés des citoyens.

Dans nos vies quotidiennes, il ne nous viendrait pas à l’idée d’élire un chef qui déciderait de tout pendant la durée de vacances en groupe. C’est d’une manière collégiale et partagée que les décisions se prennent le plus souvent, à l’inverse de ce qui nous est imposé dans notre système politique.

Les missions du maire regroupent de vastes missions sur des sujets aussi divers que la sécurité, l’urbanisme, le social ou l’économie. Dans la seconde ville de France, les sujets à traiter chaque semaines pourraient faire l’objet de listes à la Prévert. Même si de nombreux adjoints ont été nommés pour déléguer une partie du pouvoir municipal, la tâche est immense pour une personne, quelle qu’elle soit. Pourquoi une seule personne en charge des décisions ultimes vaudrait mieux qu’un binôme ?

En associant une deuxième personne au pouvoir qui lui a été conféré, Michèle Rubirola s’oblige à une double analyse des sujets et des choix à acter, et c’est une bonne nouvelle ! Ainsi, quand un maire unique n’aurait pas d’obstacle pour faire une annonce hâtive qui se révèlerait être fausse, un binôme qui s’attiendrait à respecter le partage du pouvoir aurait des chances bien plus élevées d’éviter, ou de modérer cette annonce.

Dans un article du 14 octobre 2020 Le Monde faisait part des incompréhensions face aux faibles ambitions de Michèle Rubirola : elle ne désire pas habiter le luxueux bureau du Maire de Marseille, elle n’hésite pas à déléguer son poste de maire pendant un mois pour cause de maladie. Est-elle digne de la mission pour laquelle elle a été élue ? Ces bruits et ces inquiétudes sont bien révélateurs du conservatisme en vigueur dans les institutions françaises, où le maire et le président jouissent des tous pouvoirs qu’ils font entériner par leurs élus affiliés, où les modes de scrutin assurent des majorités si vertigineuses que l’opposition n’est souvent que symbolique (un choix assumé de la 5ème République).

Un.e maire, un.e président.e, doit être ambitieux, crier son avidité de pouvoir, ne doit pas déléguer, peut bien accumuler les mandats (voir l’impressionnant cumul de Lionel Royer-Perreault), ne pas assumer de faiblesse : voici encore les opinions en vigueur chez certains (malgré les sondages récurrents qui démontrent la volonté très majoritaire des français pour plus de participation citoyenne). Le système politique actuel est fait pour pousser les personnes les plus avides de pouvoir à la tête de nos institutions, réduisant ainsi les chances d’intégrer les gens les plus altruistes et les plus humbles à l’Etat (quelle assurance, quelle confiance en soi, quelle sentiment de supériorité, et quelle soif de pouvoir faut-il posséder pour désirer être élu président de la République ?). Comment ne pas s’étonner ensuite des conflits d’intérêts , des incalculables cumuls des mandats, des scandales de corruption, ou des scandales sexuels surgissent si régulièrement dans la vie politique française ?

Le binôme formé par Michèle Rubirola et Benoît Payan est une belle leçon d’humanité et un bel exemple d’amitié de la part de Michèle Rubirola, ce n’est pas forcément un modèle absolu à répliquer partout, et il est une preuve qu’il est possible de faire de la politique autrement. Ce binôme repose actuellement simplement sur un partage bénévole de la maire qui garde légalement tout pouvoir car les institutions n’ont pas prévu ce type de représentation politique. Ce binôme reste bien évidemment à confirmer dans l’exercice du pouvoir, car les ambitions personnelles de l’un ou des différents d’idées pourraient bien avoir raison de cette union des destins.

Le binôme Rubirola-Payan permet de remettre en question nos institutions qui condamnent les citoyens à attribuer le pouvoir politique à un tout petit nombre (très peu représentatif du reste de la population) et de questionner l’aspect démocratique de notre système politique. Pour cela, nous devrions espérer que cette expérience, menée au plus haut niveau de la 2ème ville de France, soit fructueuse et fasse avancer la République Française vers une vraie démocratie.

Le nouveau binome à la tête de Marseille

 

 

 

Commentaires

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  1. Jacques89 Jacques89

    Voir dans le rapprochement de deux élus pour diriger une collectivité une tendance à démocratiser les décisions, est peut-être aller un peu vite en besogne.
    Si pour Macron le fait de chercher à limiter les passages devant les assemblées est indéniable, ce n’est pas pour autant qu’il souhaite décider seul. D’autant que le manque de compétences est flagrant dans un bon nombre de domaines. Il préfère probablement choisir ses « lobbies » pour le conseiller plutôt que de confier la décision à des institutions partisanes qui ont aussi les leurs. Le représentant n’est donc là que pour intégrer sa vision aux schémas proposés et le plus souvent proposer des solutions (amendements) qui le rapprochent de la tendance qui l’a mis là. Lorsque certains élus sortent des rangs (de la doctrine du parti) c’est qu’ils ont acquis certaines compétences qui leur permettent de mettre en évidence des contradictions avec la ligne officielle. On l’a vu récemment cher LR et LREM dans les lois dites de sécurité.

    La participation citoyenne dans la complexité des sujets qui pourraient lui être soumis a un gros avantage, c’est sa légitimité. Le problème, c’est qu’il ne peut pas y avoir de vote sans débat préalable et la facilité pour chacun sera de se rapprocher d’une tendance partisane pour suivre « le mouvement » sans réelle réflexion sur le bienfondé de la décision. Par contre, ce n’est que par le développement de ce type de contribution à la décision que la société peut évoluer dans l’intérêt qu’elle porte à la chose politique. En clair: y a du boulot!

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  2. Jacques89 Jacques89

    Finalement le binôme était un coup de Trafalgar ou une entourloupe; au choix.
    Déçu je suppose?

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  3. Electeur du 4-5 Electeur du 4-5

    Ce billet est intéressant sur le fond, il pose de bonnes questions.

    Sur le binôme en revanche, il n’est question que de Michèle Rubirola, ou presque.
    Le problème n’est pas elle, mais l’ambition dévorante de son alter, plus ego que alter.
    Héritier d’une longue tradition marseillaise qui remonte au delà de Gaudin, et qui a fini par passer l’électorat traditionnel.

    Le même binôme serait plus crédible, par exemple, s’il y avait alternance, par période de 9 mois par exemple au long du mandat.
    et pourquoi pas ?

    L’époque impose d’innover

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    • Electeur du 4-5 Electeur du 4-5

      ” …a fini par *lasser*….”

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