Accusé de prise illégale d’intérêts, le sénateur Ravier joue sa carrière politique

Reportage
le 18 Avr 2024
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Devant le tribunal judiciaire de Marseille, l'élu Reconquête devait répondre de l'entrée de son fils, en 2015, dans les effectifs de sa mairie de secteur alors qu'il était à la tête des 13e et 14e arrondissements. Il lui est reproché d'être intervenu pour ce recrutement auprès de la mairie centrale.

Le sénateur et conseiller municipal Reconquête, lors d
Le sénateur et conseiller municipal Reconquête, lors d'une séance de conseil municipal à Marseille. (Photo Emilio Guzman)

Le sénateur et conseiller municipal Reconquête, lors d'une séance de conseil municipal à Marseille. (Photo Emilio Guzman)

Cinq ans d’inéligibilité. Autant dire une fin de carrière politique alors que l’ensemble de ses mandats arrivent à échéance en 2026. Voilà ce que risque le sénateur Reconquête et conseiller municipal de Marseille Stéphane Ravier à l’issue de son procès pour prise illégale d’intérêts ce 17 avril devant le tribunal judiciaire de la ville. Le vice-procureur Mathieu Vernaudon réclame aussi à son encontre un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende. Des réquisitions lourdes qui viennent dénoncer l’intervention présumée de Stéphane Ravier pour l’embauche de son fils en mairie des 13ᵉ et 14ᵉ arrondissements quand il la dirigeait.

Pendant longtemps, Stéphane Ravier a semblé assumer son rôle dans ce recrutement. À l’audience, l’assesseur qui dirige les débats, Adrien Fauchier-Delavigne, a pu longuement s’appuyer sur deux articles publiés par Marsactu. Le premier en octobre 2015 révélait cette embauche familiale passée inaperçue au cœur de l’été et que Stéphane Ravier commentait ainsi : “Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Je n’aurais pas dû lui donner le boulot. J’aurais dû dire non que parce que c’est le fils du maire, je ne devais pas lui donner un emploi ?” Le second, en janvier 2021, revenait sur le sujet, à la faveur du changement de majorité à la mairie de secteur. Stéphane Ravier déclarait alors : “J’ai bien compris qu’en embauchant mon fils, ça allait me retomber sur la gueule à un moment donné. Mais devais-je sacrifier l’emploi de mon fils ? J’ai pensé qu’il ne méritait pas la double peine.”

“Je conteste mes propos”

Mais à l’audience, tous ces propos n’ont plus de valeur, jure-t-il : “Cet article [de 2015, ndlr] précise que je réponds sur un ton agacé. On me pose les questions, on me presse, je réponds sous la forme de la bravade. C’est une déclaration faite par agacement, par provocation, cette déclaration n’a pas de sens administratif : les maires de secteur n’ont pas le pouvoir d’embaucher qui que ce soit. C’est Jean-Claude Gaudin qui a ce pouvoir.” Son avocat Julien Pinelli renchérit : “Ce n’est pas une audition devant des officiers de police judiciaire où vous sont signifiés au préalable vos droits.” “Je conteste mes propos”, résume l’élu d’extrême droite, souriant de son propre bon mot. Il faut dire que ceux-ci, pris au pied de la lettre, viennent caractériser clairement l’infraction, rappelle le vice-procureur Mathieu Vernaudon : “C’est peut-être une bravade, mais ces déclarations sont claires.”

Pour appuyer ses accusations, le magistrat peut aussi s’appuyer sur d’autres éléments colorant le dossier ou incriminant Stéphane Ravier. L’enquête a commencé par une alerte de l’agence française anticorruption qui a signalé au sein de la mairie de Marseille de multiples entorses à la probité et des embauches familiales, dont celle-ci. Les investigations ont permis de recueillir les déclarations de plusieurs fonctionnaires ayant eu connaissance du dossier.

Claude Bertrand confirme son intervention

Le témoignage-clé émane de Claude Bertrand, éternel directeur de cabinet du maire Les Républicains de 1995 à 2020, Jean-Claude Gaudin. Interrogé par les enquêteurs, il s’est souvenu de deux moments importants, dont l’intervention directe auprès de lui de Stéphane Ravier. “Il voulait prendre son fils comme vacataire. […] Il n’y avait pas de raison de ne pas le prendre parce qu’il s’appelait Ravier”, a-t-il expliqué. Au directeur des ressources humaines de la ville, il a répondu la même chose quand celui-ci s’est enquis d’une demande d’embauche venant de la mairie de secteur.

La procédure, si elle n’a pas de fondement légal, n’a pas pour autant tellement surpris : dans les mairies de secteurs, les emplois, qui ne sont pas des emplois de fonctionnaires, sont d’usage pourvus sur proposition des maires. Une fonctionnaire affectée aux ressources humaines s’est bien émue des multiples reconductions de contrats dont bénéficiait Thomas Ravier avant sa titularisation : “Si on nous fait des observations, voire pire, nous n’aurons rien à faire valoir.” Mais on lui a bien vite demandé de ne pas en faire cas.

Le fils dédouane le père

Stéphane Ravier continue à démentir tout rôle. S’il admet avoir échangé avec Claude Bertrand, c’était, dit-il, pour “savoir comment devait faire [son] fils pour postuler”. Poursuivi pour recel, Thomas Ravier jure quant à lui avoir postulé “au boulevard des dames”. Mais quand l’assesseure Margaux Kennedy lui demande pourquoi à cet endroit, c’est son père qui lui souffle : “la DRH de la Ville”. Le jeune homme jure y avoir trouvé “la dernière porte” ouverte pour mettre fin à plusieurs années de chômage. A-t-il signé son premier contrat et ses reconductions grâce au piston paternel ? “Jamais de la vie”, jure-t-il, se rappelant à la barre d’un entretien d’embauche qu’il y a un an, face aux policiers, il avait oublié.

Pourtant, d’autres témoignages venus de la mairie de secteur, deux anciens directeurs généraux et une ex-directrice de cabinet, ont affirmé que Stéphane Ravier avait bien demandé que soit assuré le suivi du parcours professionnel de sa progéniture. L’élu assure quant à lui que c’est par “vengeance” ou pour “se couvrir eux-mêmes” qu’ils ont choisi de ne pas dire la vérité.

Du côté de l’accusation, Mathieu Vernaudon ne souscrit pas à cette défense. Pour lui, il faut analyser le dossier comme celui d’un père qui, pour remettre le pied à l’étrier à un fils mal embarqué, aurait fait tomber toute barrière éthique. Alors, il solennise l’affaire et estime qu’elle est “de nature à alimenter la défiance des citoyens envers les institutions et les élus”. Il s’agit aussi de mettre le holà aux embauches par copinage : “ce jugement doit conduire à dire qu’il n’y a rien de normal à obtenir un emploi public grâce à une intervention privée.” Si la décision attendue pour le 29 mai va dans le sens des réquisitions, nul doute que l’avertissement trouvera des oreilles attentives.

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Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    Monsieur Ravier, vous souvenez-vous de votre mot d’accueil à la nouvelle Maire de Marseille en 2000, en forme de citation ? Moi oui. vous aviez déclaré : “On peut tout faire avec une baïonnette, sauf s’asseoir dessus !”
    Eh bien cher dictateur nord-phocéen, on dirait que cela commence fortement à vous picoter quelque part…

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    • mrmiolito mrmiolito

      erratum, en 2020 évidemment… désolé : les spasmes de rire.

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  2. RML RML

    Le pire dans l’histoire, c’est la situation du fils, en pâture publique. Il doit être bien mauvais pour que son père, homme politique de réseau, n ait pu le placer nulle part dans le privé, et qu’il ait dû recourir au public…
    Ça en dit long sur ses compétences,et par extension, ça interroge sur les compétences de certains fonctionnaires et sur leur recrutements

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Le slogan historique du parti fachoïde auquel a appartenu naguère le dictateur nord-phocéen était “tête haute et mains propres”. Mais finalement, l’extrême-droite a montré plus de compétences pour piquer dans la caisse que pour produire des idées crédibles et argumentées.

    Rappelons en passant que ce M. Ravier n’est sénateur que parce qu’un certain nombre de “grands” électeurs de la droite traditionnelle ont cru intelligent de voter pour lui. J’espère qu’ils assument publiquement leur choix.

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  4. Patafanari Patafanari

    La plupart des gens que je connais qui travaillent à la mairie y sont rentrés, à divers degrés, par piston ( recommandation). Mais sans doute ai-je des mauvaises fréquentations.

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  5. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Ne pas mépriser l’adversaire…Ce n’est pas un ennemi ?
    Quand tu tombes, tu ne ris pas forcement. Qu’un passant tombe, tu ris …et tu vas le relever !

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  6. Richard Mouren Richard Mouren

    Le nombre d’affaires judiciaires qui sortent dans ces pseudo-mairies est impressionnant. Qu’on nous en débarrasse enfin de ces machins qui coûtent un pognon de dingue et qui n’ont aucune utilité démocratique.

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    • Alceste. Alceste.

      Richard , qui n’ont aucune utilité tout simplement.

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