A la Solidarité, des livres et des chimères luttent contre le béton
A la Solidarité, des livres et des chimères luttent contre le béton
"C'est l'histoire d'une grand-mère maigre comme un clou qui enfilait des jupons. Elle les enfilait les uns sur les autres pour paraître plus grosse". Tandis que la conteuse Samia raconte son histoire devant un parterre d'enfants captivés, les bouches s'arrondissent de stupeur, libérant quelques onomatopées enthousiastes ou inquiètes. Pour trouver l'espace lecture de la Solidarité (14e), un chibani en costume élégant indique la voie. Il a fallu traverser des enfilades d'immeubles identifiés par de simples lettres, emprunter un passage exigu avant d'arriver au lieu dit. Bien que l'entrée, discrète et enclavée dans un coin de parking ne paie pas de mine, l'espace lecture semble faire partie du paysage familier des habitants du quartier.
La porte reste grande ouverte, nul besoin de sésame. En pénétrant plus avant, une singulière caverne d'Ali Baba apparaît : une vingtaine de livres en carton, bois, tissu, argile sont exposés à l'occasion des vingt ans des espaces lectures gérés par l'Acelem (Association culturelle d’espaces lecture et d’écriture en Méditerranée). Tous ont été fabriqués par les enfants. Cela fait près de 20 ans que l'Espace lecture de la Solidarité existe. Tout comme les six autres – la Savine, La Viste, le Plan d'Aou, Air-Bel, la Valbarelle et Saint-Mauront – il a été créé en vue d'offrir à un public des quartiers populaires un accès au livre, de dédramatiser le rapport à celui-ci et de lutter contre l'analphabétisme. Cela, notamment en proposant des activités ouvertes à tous comme la lecture de contes, des ateliers d'écriture et d'illustration, de calligraphie, la fabrication annuelle d'un livre-objet, ou encore l'organisation de temps à autre d'une visite culturelle en centre-ville et la rencontre avec des artistes en résidence.
E.C
Échapper au béton
Quelques étagères côtoyant des coins lecture proposent en outre des livres pour enfants et adultes mais aussi quelques bandes-dessinées et certains manuels de bricolage ou de cuisine, prêtés par la BDP (bibliothèque départementale de prêt des Bouches-du-Rhône). Tous les trois mois, le stock est renouvelé et l'inscription – 1 euro symbolique pour les moins de seize ans – est valable à vie. Le public lui, varie, entre les centres aérés, les écoles et les enfants simplement volontaires, dont la démarche est autonome. Salha, une maman, y emmène toute sa famille. "A la Solidarité nous sommes loin de tout, niveau culture, il n'y a rien. Venir ici est un moyen d'échapper au béton et aussi d'enseigner la lecture aux enfants de manière ludique. Un de mes enfants y vient pour la pratique de l'origami, un autre est passionné de dinosaures…" Une autre mère explique qu'elle se sent rassurée de savoir ses enfants ici plutôt que désoeuvrés dans la rue.
Ouassila Sahraoui et Youmix Zaidat, les deux animateurs de l'Acelem de la Solidarité oeuvrent d'arrache-pied depuis des années pour extirper des enfants le meilleur d'eux-mêmes. L'énergique Ouassila Sahraoui refuse catégoriquement "l'excuse" de la page blanche, facilement invoquée lors des ateliers d'écriture. "Tout le monde peut participer, je vois des enfants de CE2 plus pertinents que des grands. Chaque projet part d'un thème donné, d'un documentaire proposé par exemple sur les animaux et ensuite, l'imagination est libre. Puis nous leur apprenons le respect du livre". Cet après-midi, les enfants seront sollicités pour fabriquer des chimères, mais pour l'heure, la conteuse Marie Ricard raconte à grands renforts de gestes les histoires fabuleuses d'ivrognes, médusés devant la découverte de la lune.
Oreille attentive
Les espaces ne sont pas réservés aux enfants. "Les mères participent également, elles viennent boire le thé", reprend Salha. Elles peuvent aussi s'inscrire à des ateliers. "Il n'y a pas besoin de savoir écrire, explique Ouassila Sahraoui. Un jour, j'ai fait participer une femme analphabète à un atelier de calligraphie, et quand je lui est montré l'alphabet en lui disant qu'elle avait écrit des mots, elle a fondu en larmes". Un autre animateur venu en visite pour la journée raconte avoir animé des ateliers d'écriture pour adultes pendant des années en centre-ville. "En général les premières choses qui sortent ce sont les soucis, c'est une forme de thérapie."
Mais si les animateurs admettent prêter une "oreille attentive", à leur public, ils rappellent que les espaces lecture n'ont pas l'ambition de devenir des exutoires à un quotidien difficile. L'exigence envers les participants des ateliers n'est pas feinte. Ainsi, le rappeur MOH a écrit ses premiers textes, adolescent, penché au-dessus d'une table basse. L'écrivain Ridha Aati a également fait ses armes à l'espace lecture de la Solidarité. Le co-auteur de La cité du fada puis celui des Bienveillants y a écrit son premier roman collectif. D'un quartier à l'autre, les espaces lecture présentent chacun leur spécificité. A Air-Bel par exemple, les gens peuvent venir avec des curriculum vitae afin de trouver une aide et des conseils. En général, les adultes viennent surtout y lire la presse et s'informer.
Malgré tout, les enfants restent tout de même le public privilégié de ces espaces. Quant à Ouassila Sahraoui, elle raconte avec un sourire en coin que "pratiquement, certains gamins s'y sentent tellement bien qu'ils descendent dès le matin de leur immeuble en chemise de nuit". L'écrivain Ridha Aati a souligné récemment, que dans les quartiers nord, "on parle de violence, on stigmatise, mais c’est un miracle qu’il n’y ait pas plus de violence." Avant d'ajouter : "Ici, on a beaucoup brûlé. Mais bizarrement, l'espace lecture de la Solidarité a toujours été épargné".
Crédit : E.C
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BEL ARTICLE BEAU PROJET!!
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