Des salariés du Père Blaize dénoncent l’envers du décor de l’herboristerie
La célèbre pharmacie bicentenaire du centre-ville de Marseille est connue pour ses plantes médicinales en tous genres. Moins pour les conditions de travail de ses salariés. Culture du chiffre, locaux vétustes, présence de souris dans les stocks : plusieurs d'entre eux ont décidé de prendre la parole.
La pharmacie et herboristerie est installée dans le centre-ville depuis deux siècles. (Photo : BG)
“Je suis parti il y a plusieurs mois, mais je suis encore traumatisé”, “je suis toujours stressé”, “j’ai fait une dépression”, “j’en fais des cauchemars”… Le malaise couve depuis des mois, mais aujourd’hui, ils ne veulent plus retenir leur désarroi. Plusieurs employés et anciens employés du Père Blaize ont décidé de raconter l’envers du décor de la célèbre herboristerie, située dans le quartier de Noailles à Marseille. Une institution où se pressent depuis deux siècles les adeptes du soin par les plantes. “Ce n’est plus possible, pour les clients, pour nous”, disent en substance ces derniers, sous couvert d’anonymat. Après plusieurs alertes individuelles à leur direction, ils ont envoyé, la semaine dernière, un courrier collectif à cette hiérarchie qui, expliquent-ils, ne les écoute pas. Et se sont confiés à Marsactu.
Ils représentent quasiment un tiers de l’effectif total, et tous rapportent la même chose : l’officine à la réputation historique dans le domaine de la phytothérapie est devenue une entreprise qui broie certains de ses salariés et risque de mettre en danger ses clients. “L’hygiène, la sécurité et les conditions de travail sont déplorables et se dégradent chaque jour toujours un peu plus”, écrivent-ils dans cette lettre que nous avons pu consulter. Ce lundi soir, un comité social et économique extraordinaire, instance où le personnel est représenté, est prévue à ce sujet. “C’est un coup de massue, je suis extrêmement surpris”, réagit le gérant, Cyril Coulard auprès de Marsactu.
Les salariés rencontrés par Marsactu, eux, décrivent une arrière-boutique inquiétante. Outre le sous-effectif constant, le manque de personnel qualifié, la pression pour vendre des produits en gélule – plus rentables – plutôt que des plantes et les locaux inadaptés, c’est un problème bien plus petit en taille, mais aux conséquences potentiellement bien plus graves, qui a poussé une partie du personnel à prendre la parole : les locaux sont, racontent-ils, images à l’appui, infestés de souris. “Aujourd’hui, je ne peux plus exercer mon métier en adéquation avec mes valeurs, raconte ainsi Louise*. Cela fait longtemps que ça dure, mais là, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.”
Des rongeurs dans les stocks de plantes
“Si ça se trouve, j’ai vendu des produits contaminés, peut-être que j’ai laissé des bébés boire des tisanes avec des crottes de souris dedans alors qu’on sait qu’il y a un risque bactérien, et que les déjections de souris peuvent être toxiques”, s’inquiète encore la jeune femme. Marsactu a pu consulter plusieurs messages envoyés dans un groupe Whatsapp intitulé “plantes jetées”. Interne au Père Blaize, celui-ci a pour objet de recenser les plantes contaminées par la présence des souris. “Mardi 18 janvier : 1 kilo de lichen carragaheen” ; “Mercredi 25 janvier : environ 100 grammes de gentiane” ; “mardi 21 février : deux fines herbes mangées”…
Parallèlement, d’autres messages, postés dans un autre groupe également interne à l’officine, attestent de la présence de ces nuisibles, photos à l’appui (voir ci-dessous). Dans ses réponses au personnel, la direction affirme prendre le problème au sérieux. En missionnant par exemple une société de nettoyage pour une journée, en obstruant les orifices par lesquels les petites bêtes peuvent se faufiler mais aussi… en amenant sur place un chat. De quoi hérisser le poil des salariés rencontrés par Marsactu. “Ça dit la légèreté avec laquelle la direction prend le problème. Ce qu’il faut, c’est une vraie dératisation”, réagit l’un d’eux.
Le problème des souris ne se règle pas en 48 heures. Nous maitrisons les mesures mises en place, pas la survenue du problème.
Cyril Coulard, gérant
Contacté, Cyril Coulard, le gérant de l’herboristerie a reçu Marsactu dans son officine. Il assure que le problème est aujourd’hui “complétement éradiqué”. “Nous avons eu une infestation pendant le mois de décembre et une réaction immédiate. Nous avons stoppé les ventes et activé en plus du plan de contrôle déjà en cours un plan d’action.” Et Cyril Coulard de citer les pièges, le poison, la société de nettoyage… Le problème n’est-il pas allé au-delà du mois de décembre ? “Le problème des souris ne se règle pas en 48 heures. Nous maitrisons les mesures mises en place, pas la survenue du problème”, coupe-t-il. Selon un message dans le groupe Whatsapp cité plus haut, une souris a encore été aperçue fin avril. Les salariés ont contacté l’Agence régionale de santé à ce sujet le 11 mai.
Au sujet du risque sanitaire pour les clients, Cyril Coulard se veut rassurant. “Nous avons eu zéro retour de patients, nous n’avons donc pas délivré une plante contaminée. Quand les produits sont contaminés, c’est dans la nuit, on s’en rend compte directement le matin et les plantes ne sont pas vendues.”
Un tiers de l’effectif absent
Mais au-delà des risques de contamination des plantes par les souris, c’est tout un fonctionnement que dénoncent ces salariés et ex-salariés. Sur une trentaine d’employés, entre six et sept seraient en arrêt maladie, auquel s’ajoute une personne arrêtée pour accident au travail. Soit près d’un tiers de l’effectif. Des chiffres que confirme la responsable adjointe des ressources humaines de l’entreprise. “Nous sommes en sous-effectif constant. Il y a eu 14 départs en quatre ans. Et tout le monde part au bout du rouleau“, développent ceux qui se positionnent en lanceurs d’alerte.
Cinq membres de l’équipe actuelle ont également demandé des rendez-vous avec la médecine du travail entre décembre et aujourd’hui, qui se serait également rendue sur place. Cyril Coulard reconnait de son côté le manque de personnel, mais ce n’est qu’une mauvaise passe, assure-t-il. Il promet que “des embauches sont prévues”. Pour lui, comme pour sa responsable RH, le sous-effectif est justement dû ces arrêts maladies, dont certains sont, juge le patron “de complaisance”. Il ajoute : “J’ai déjà une énorme masse salariale, je dois aussi gérer mon entreprise.”
3 pharmaciens sur 30 salariés
Mais en plus du sous-effectif, les signataires du courrier entendent dénoncer un manque de qualification du personnel. “Les anciens qui savent les formules avec les plantes et qui partent à la retraite ne sont pas remplacés, ou par des gens qui ne connaissent pas le travail, des stagiaires ou des apprentis”, racontent-ils à Marsactu. L’herboristerie a bien le statut de pharmacie, mais ne compte que trois pharmaciennes dans ses rangs. “Dont une qui est en arrêt”, glisse-t-on. Des chiffres une fois de plus, confirmés par la direction. Si la législation impose la présence d’au moins un pharmacien ou préparateur en pharmacie sur place, cela n’est pas toujours le cas, affirment ces employés.
Du côté de la direction, on tente de temporiser : “Il arrive que des personnes diplômées en Algérie ou en Italie se retrouvent seules derrières le comptoir. Leurs diplômes ne sont pas reconnus en France mais elles sont compétentes.” À nouveau, Cyril Coulard dit être conscient de la situation, et prévoit des embauches en ce sens.
Pour les employés et ex-employés qui se sont confiés à Marsactu, les conditions de travail dégradées qu’ils vivent ou ont vécu résultent plutôt d’un manque d’investissement de la part de la direction, qu’ils lient à l’état des locaux. Problèmes d’infiltration, “tomettes qui volent, et ascenseur en panne”. Pour le gérant, de petits travaux ont été effectués et ce qui reste doit revenir à la charge de la propriétaire des lieux. Tous deux sont actuellement en litige sur ce point. La propriétaire, elle-même membre de la famille Blaize, a vendu le fond de commerce il y a onze ans à Cyril Coulard. Martine Bonnabel-Blaize cherche désormais à vendre les murs de l’officine, comme cela a été largement relayé dans la presse ces dernières semaines.
Contactée par Marsactu, elle n’a pas souhaité s’exprimer plus avant sur la situation actuelle de l’officine. “Le Père Blaize fait partie de mon univers car c’était une histoire familiale, mais cela fait 10 ans que j’ai vendu”, lâche-t-elle simplement avant d’évoquer ses projets qui touchent toujours à la phytothérapie mais se portent vers d’autres horizons. Loin de la rue qui porte son nom.
“Une forme d’économie extrême”
En filigrane, c’est la philosophie du patron de l’herboristerie qu’entendent dénoncer les employés et anciens employés rencontrés par Marsactu. “La direction montre une hostilité à toutes nos revendications. Elle est dans une forme d’économie extrême. Et en même temps, on a énormément de pression pour faire du chiffre d’affaires”, estiment-ils. “Avant je pouvais prendre le temps qu’il faut pour préparer une mixture à base de plantes en fonction des soucis des gens. Aujourd’hui, cela est inenvisageable”, détaille Marc*, un ancien, parti depuis, pour toutes ces raisons.
Le Père Blaize est devenu une boutique pour bobos. Il a perdu le lien avec le quartier.
Un salarié
“On nous pousse à vendre des boîtes de comprimés industriels. C’est plus rapide et ça rapporte plus”, ajoute une jeune femme toujours en poste. “Le Père Blaize est devenu une boutique pour bobos. Il a perdu le lien avec le quartier, qui est un quartier pauvre avec des personnes qui n’ont parfois pas d’autres choix que de se soigner avec des plantes, car cela coûte moins cher”, complète une autre, très agacée.
En contrepoint, Sandrine*, cheffe du pôle vente rencontrée sur place au côté de Cyril Coulard, préfère nuancer : “On ne peut pas prendre tout le temps que l’on veut, c’est vrai. Il y a beaucoup de monde, les gens nous font confiance. La direction est bienveillante. Après, c’est un commerce, on est là pour vendre, même si nous sommes là parce qu’on aime tous aider les gens.”
Le Père Blaize a-t-il perdu son âme ? Cyril Coulard balaie d’un revers de main cette idée. “Notre priorité est de proposer des solutions spécifiques et adaptées. Et ça le restera tant que je serai là.” Une vision qui s’oppose sans surprise à celle des salariés et ex-salariés qui ont décidé de briser le silence. “Si on a tenu jusqu’ici, c’est parce qu’on fait un travail-passion, et qu’ici, c’était un des derniers lieux où l’on pouvait l’exercer. Mais ce n’est plus le cas”, lâchent-ils.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés
Commentaires
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Ce n’est pas digne d’un docteur en pharmacie
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La médecine par les plantes, pourquoi pas, mais traiter le problème des congés maladie en se contentant d’affirmer qu’ils sont “de complaisance” ne sera pas un remède suffisant.
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J
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ça ne m’étonne pas, je n’y vais plus depuis des années, à l’époque j’avais demandé la provenance et le mode de culture des plantes ( bio ou pas) on avait pas su me répondre… j’avais trouvé cela très étrange pour une herboristerie
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Après la maison Empereur, c’est Blaize qui prend son aise avec les normes
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Concernant la capture d’écran de Whatsapp, n’aurait-il pas fallu flouter aussi le fond d’écran ?
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Surprenant, le “Nous avons eu zéro retour de patients, nous n’avons “donc” pas délivré une plante contaminée” …
Pas sûr que les patients soient tous en mesure de savoir qu’ils ont été contaminés. Ultra-léger, pour de la vente de produits pharmaceutiques.
ça sent la méthode Marketing plus que la méthode de professionnel de santé en effet.
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Cette officine a perdu son âme, le nouveau gérant plus motivé par le chiffre d’affaires que par passion de l’herboristerie, comme pour l’Empereur c’est devenu un commerce pour bobo et touristes.
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Papoum
Je suis en colère à la lecture de cet article.
Comment cette herboristerie de renom est-elle tombée aussi bas?
Cliente de cette herboristerie, je m’étais rendue compte d’un changement fréquent des employés., turn over inhabituel. Ce qui m’interpelle le plus, c’est le problème “hygiène”
Pour moi c’est intolérable dans une officine . Comment faire confiance?
Voilà comment on tue la poule aux oeufs d’Or.
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Ouin ouin ! C’est une boutique qui marche, et les gens doivent bosser, pas très marseillais, trop facile de se réfugier derrière le protection du client, qu’elles aillent bosser ailleurs.
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laver son linge sale en public…
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Vous êtes tout de même au courant que le patron est responsable de la sécurité et des conditions de travail de ses salariés ? Trop facile de faire un commentaire caricatural pour évacuer tout ce que ceux-ci ont à dire.
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Les crottes de souris du Père Blaize sont elles aromatisées aux herbes de Provence ?
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Vite que cette belle herboristerie retrouve la paix, que la direction prenne le chemin de la bienveillance et que les souris quittent le navire ! Ceci dit, quoique fanatique des plantes, je n’y vais guère. Je me soigne avec celles de la colline, les herbes que je cultive, l’argile, dans l’alimentation… Et figurez-vous, ça marche du tonnerre et en douceur. Pas besoin de sauge de Californie pour chasser les esprits chagrins ou venimeux, celle d’ici marche très bien, en tisane, en fumigation ou dans la ratatouille ! Mentions spéciales pour le thym, l’herbe magique de la Provence, et les délicieuses lavandes. J’ai le plus grand respect respect pour les soignants et les médecines, je pense toutefois que chacun est d’abord le médecin de lui-même.
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Je suis bien étonnée de cette remarque d’une employée :
Le Père Blaize est devenu une boutique pour bobos. Il a perdu le lien avec le quartier, qui est un quartier pauvre avec des personnes qui n’ont parfois pas d’autres choix que de se soigner avec des plantes, car cela coûte moins cher.
Si on achète 50 g de verveine, plante qui pousse comme du chiendent, oui, ce n’est pas cher. Autrement, je suis toujours ébahie d’entendre la caisse annoncer le montant des achats. Et : NON, ça ne coûte pas moins cher !
Et côté pharmacie, il vaut mieux prendre une petite camomille avant de payer ses achats, car là, ça douille carrément !
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