Wladyslaw Znorko disparu, la Gare Franche veut exister sans lui
Wladyslaw Znorko disparu, la Gare Franche veut exister sans lui
Privée de son maître, chahutée par le mistral sur les hauteurs du quinzième arrondissement, la Gare Franche a de loin l'allure d'un bateau ivre. Pourtant, en décidant d'y ancrer son théâtre des curiosités le Cosmos Kolej – le chemin de fer du cosmos – le metteur en scène Wladyslaw Znorko est parvenu à en faire l'amer des habitants du Plan d'Aou et de Saint Antoine. Ce point de repère initialement maritime dont il parlait si bien dans sa Boucherie Chevaline. [cf vidéo]
Znorko est mort brutalement, une nuit de mars dernier. Lui parti, l'avenir de la Gare Franche s'est soudain obscurci. Pour le moment, la troupe orpheline navigue à vue, malgré le soutien affirmé des tutelles (collectivités et Drac). Le Cosmos Kolej que Wladyslaw Znorko avait fondé en 1981 à Lyon avant de venir s'ancrer à Marseille vingt ans plus tard ne créera plus de spectacles. Mais l'équipe restera à la Gare Franche et poursuivra son action d'accueil d'artistes en résidence, continuera de cultiver ses jardins partagés avec les habitants du quartier.
Avant cela, un dernier hommage artistique programmé du 10 au 12 octobre se prépare. Deux pièces seront représentées au public, Le Traité des Mannequins, l'un des premiers spectacles du metteur en scène inspiré de l'oeuvre de Bruno Schultz et Boucherie Chevaline, une partition qui relate le parcours déambulatoire d'un enfant dans la ville. Certains de ses dessins seront affichés ainsi que des lettres, des installations plastiques, les photographies des spectacles du Cosmos Kolej prises par David Anémian, une série de courts-métrage intitulée Les Films de mon jardin. Enfin, deux comédiens liront Zoologie des faubourgs, un recueil de textes de Wladyslaw Znorko qui paraîtra en octobre 2013 aux éditions l'Age d'Homme.
En pyjama
C'est en revenant de l'enterrement de Znorko que l'idée d'un hommage a germé, tandis que les Cosmonautes, réunis autour d'une large table se passaient la vodka de mains en mains. Irina Vavilova, une comédienne a élevé une voix teintée d'un fort accent russe pour s'exclamer : "Il faut que l'on remonte le Traité des Mannequins!". L'équipe du Cosmos Kolej, rassemblée autour de la coordinatrice et compagne de l'artiste Catherine Verrier a ensuite baptisé son hommage "Tuvawoir Znorko !" ce que justifie le comédien lyonnais Philippe Vincenot : "Il prononçait toujours cette phrase "Tu vas voir" avec ses sourcils haussés qui lui donnaient une expression particulière. ça voulait dire qu'il envisageait un truc qui allait améliorer la scène…" L'homme n'était pas à court d'excentricités. "Un soir il est sorti de la loge et est arrivé sur la scène en pyjama devant les spectateurs, et leur a dit "et que ceux qui ronflent ne réveillent pas les autres".
La Gare Franche, cette bâtisse du 16ème siècle que Wladyslaw Znorko appelait "la maison qui penche" reste d'ailleurs empreinte de Znorko, cet original à l'humour bien marqué. "Les habitants ont compris très vite que Wlad allait proposer un truc décalé et bizarre", raconte Catherine Verrier. Dehors, un cimetière de chaises empilées à côté d'une baraque snack "le bar du pont" et d'un poulailler dont il avait organisé en grande pompe l'inauguration suscite l'interrogation. Autrefois, un panneau désormais déraciné indiquait "pour ce spectacle, les places sont numérotées".
Quand il arrive en 2001, découvrant l'Usine attenante à la maison en ruine, Il la transforme en scène de spectacle. "Il a été charmé par la lumière et le silence". Il a fallu ensuite conquérir les habitants, habitués à l'ancien résident, un vieux monsieur barricadé avec son fusil, lassé des cambriolages à répétition. "Ils nous demandaient si c'était nous qui habitions dans le château, dans la forêt. Je me suis dis que ça devait être ça, la Gare Franche…" Maintenant le jardin sert de lieu de passage aux habitants qui s'arrêtent parfois pour boire un café avec les artistes. "Du coup, dépeint une cosmonaute, les gens d'ici viennent au spectacle voir tel artiste avec qui ils avaient échangé, davantage que pour la pièce elle-même".
Drôle d'oiseau
Les souvenirs émus s'additionnent pour dessiner le portrait d'un drôle d'oiseau. Philippe Vincenot reste intarissable : "Il travaillait avec une précision cinématographique. Un jour il a tourné mon visage pour qu'il se retrouve juste dans un rai de lumière alors que les chances pour que cela se reproduise étaient quasi nulle. Il voyait les choses en train de se faire et les percevait moins comme un aboutissement. Plus il assistait aux représentations plus il riait, ému aux larmes parfois, car tous les jours il portait un regard neuf sur les spectacles. C'était quelqu'un d'éminemment enfantin mais il plutôt un enfant sérieux. Il a toujours travaillé avec cette manière libre, inventive, fidèle à la perception de ce qu'il vivait. Il s'emparait du réel pour le revisiter, pour changer les points de vue."
C'est souvent au bout de deux ou trois heures de discours poétique, de pensées envolées et de rêveries qu'il s'écriait : "On y va ?". Et il aimait cela, la spontanéité, à en croire le comédien : "une fois, nous avions joué à Barcelone et je n'avais pu arriver que quelques minutes avant le spectacle, le temps d'enfiler un costume. Mais Wlad était ravi parce que j'arrivais avec les images de Barcelone qui avaient défilé tout l'après-midi dans ma tête". Le Cosmos Kolej avait un capitaine. "L'enfant sérieux" qui distillait des accents de l'Est dans chacune de ses oeuvres est parti trop tôt, mettant fin à des années d'effervescence créatrice.
Voici un extrait de ses écrits sur "la maison qui penche":
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