Dîner en tête-à-tête avec Picasso

Chronique
le 3 Avr 2018
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Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, il s'est rendu dans un dîner pas comme les autres, au milieu de l'exposition Picasso à la Vieille Charité. Une expérience de luxe, mais ouverte à tous.

Dîner en tête-à-tête avec Picasso
Dîner en tête-à-tête avec Picasso

Dîner en tête-à-tête avec Picasso

(C) Succession Picasso 2018

Ces petites boules noires posées sur ces grandes tables devant les Baigneurs de Picasso sont des cromesques de lapin noir, et sur chaque pierre sont posées des poutargues fraiches d’oursin, œuf confit. Ces tables sont dressées par les Grandes tables et les mets préparés par Emmanuel Perrodin, sous la coupole ovale de la chapelle de Pierre Puget au cœur de la Vieille Charité. Et pendant que, par plongées successives, dans ce « repas nocturne » nous dégustons –c’est absolument délicieux et tellement rare – des tortellinis à l’ortie, lait d’aulx et d’amandes, Clémentine Ménard nous lit le poème de Jacques Prévert La promenade de Picasso qui essaie de peindre… une pomme ! Le musée organise pour 70 inscrits des dîners Picasso et ils sont proprement extraordinaires. J’y allais par curiosité, j’ai été impressionné par l’originalité et surtout la force d’un de ces dîners.

À 19 heures nous sommes d’abord emmenés dans la salle Soleil noir de cette exposition Picasso de « cent peintures, sculptures, assemblages, dessins en dialogue avec des œuvres maîtresses des musées de Marseille » : la phrase est un peu mystérieuse, mais ce dîner au musée, précédé d’une visite d’une bonne heure dans cette salle, va en donner toute l’importance et la finesse aux convives du soir. Des gens, ayant les moyens de s’offrir ça… et tous enchantés. Ils le disaient, mais personne n’avait envie de raconter sa vie. Comme si, justement, ce soir là, ils étaient ailleurs. Pour être honnête, cela me paraissait de mauvais goût, justement de le leur demander.

Guillaume Theulière, co-organisateur de l’exposition, nous explique donc le sens de Soleil noir, nom de cette salle d’exposition : Picasso sort de l’époque sombre de la deuxième guerre mondiale, mais retrouve mer et soleil – qui reste parfois ombré. Et s’il peint sur ciment c’est que toiles et peintures sont chères : il utilise d’ailleurs des peintures industrielles pour travailler. C’est le cas de la Nature morte aux deux poulpes et deux seiches exposée juste à côté d’une étonnante et ravissante cruche crétoise. Murielle Garsson, conservatrice en chef du patrimoine, détaillant les formes et décorations de cette cruche, nous dit l’intérêt de cette pièce du musée de Marseille qu’elle adore. Unique, parfaitement conservée, elle date de 1500 ans aant Jésus Christ. Ornée de poulpes et d’éponges, et dont l’anse représente une tentacule, elle est d’une rare finesse. La conservatrice souligne que ce vase de cérémonie ne comporte aucune ligne droite. Et qu’on peut faire un rapprochement entre ses décorations et ce qui se développe lors de sa découverte par les archéologues anglais : l’éclosion du flower power, dans lequel on revient à une sorte de naturalisme « sans aucune ligne droite » – comme sur le vase.

Devant la Nature morte aux poulpes, Daniel Faget, historien spécialiste de la mer, nous parle alors de ces poulpes qu’il aime tant et qu’il connaît si bien. Il souligne l’intelligence, aujourd’hui reconnue, de cet animal menacé. Il explique ensuite les façons anciennes ou modernes de le pêcher; et les milles manières de le cuisiner qui délimitent des espaces maritimes et humains distincts. Il mêle ses connaissances scientifiques à ses souvenirs d’enfant du bord de mer.

Ces trois érudits de différentes matières entremêlent leurs savoirs pour nous, les dîneurs. Ils nous font regarder les toiles et les sculptures exposées de manière plus intelligente et surtout plus sensible. J’avais déjà parcouru l’exposition, mais n’avais pas compris ni même ressenti les œuvres de la même façon : je me suis senti, ce soir-là, presque érudit et surtout plus sensible encore au génie de Picasso.

Plein de componction, on regarde alors les autres objets exposés dans la pièce. Cette Tête de femme souriante qui date du 10 août 1943 et dont, grâce à nos savants, on perçoit mieux « l’ironie et l’anxiété ». On examine les dizaines de cartes postales reçues par le peintre et dont beaucoup l’ont fait voyager – sans qu’il se déplace sur le lieu concerné. Ou encore ce tanagra, une statuette de terre cuite « remarquable par sa grâce et sa finesse », comme on le dit toujours, de 1947…

Il est alors temps de gagner notre salle à manger, cette chapelle de Puget au cœur du musée. Nous allons déguster, avec les papilles, les yeux et les oreilles ces Tentacules puisque le « créateur d’oeuvres culinaires originales » Emmanuel Parrodin donne un titre à son repas. Qui relève en effet aussi d’une oeuvre d’art. Une œuvre d’art qu’on déguste au milieu des autres…

Dîner Picasso : sur réservation, 37 euros 50. Prochaines dates :  24 avril, 25 avril, 29 mai, 30 mai.

 

Commentaires

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  1. corsaire vert corsaire vert

    37,50 € ce n’est pas plus cher que n’importe quel banal restau à Marseille qui sert du poisson dont on ne connait pas l’origine …

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