[40 ans de la marche pour l’égalité] Photos, tracts et affiches entrent au musée

Série
le 14 Oct 2023
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Ce dimanche 15 octobre, la marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983 célèbre ses 40 ans. À cette occasion, Marsactu consacre une série de trois articles à la mémoire de ce mouvement inédit, dont le parcours a débuté à Marseille. Premier épisode : des objets liés à la première étape de la marche vont être mis en lumière au musée d'histoire. Les marcheurs et militants locaux qui les ont sélectionnés nous en expliquent la valeur.

Zohra Boukenouche et Hanifa Taguelmint, du collectif Mémoire en marche, et Bernadette Matrat du réseau éducation sans frontières (RESF), sélectionnent des pièces pour l
Zohra Boukenouche et Hanifa Taguelmint, du collectif Mémoire en marche, et Bernadette Matrat du réseau éducation sans frontières (RESF), sélectionnent des pièces pour l'exposition "Là où il y a eu oppression, il y a eu résistance", célébrant les 40 ans de la marche pour l'égalité de 1983 au musée d'histoire de Marseille. (Photo Emilio Guzman)

Zohra Boukenouche et Hanifa Taguelmint, du collectif Mémoire en marche, et Bernadette Matrat du réseau éducation sans frontières (RESF), sélectionnent des pièces pour l'exposition "Là où il y a eu oppression, il y a eu résistance", célébrant les 40 ans de la marche pour l'égalité de 1983 au musée d'histoire de Marseille. (Photo Emilio Guzman)

“La marche de 83, c’est la fille de nos traumas et de la hogra, le mépris. Pour nous, c’est ça, cette marche.” Sur une longue table ovale marron, Hanifa Taguelmint vient de vider le contenu d’un tote bag célébrant la venue récente du pape à Marseille. La quinquagénaire, figure militante marseillaise depuis plus de 40 ans, en rit. Du sac, elle extirpe des journaux, des magazines, des tracts, des photos. À ses côtés, Zohra Boukenouche co-commissaire avec elle de l’exposition “Là où il y a eu oppression, il y a eu résistance”, qui s’ouvre ce dimanche 15 octobre au musée d’histoire de Marseille. Elle dispose des disques vinyles, des autocollants, un keffieh “tout taché à l’eau de javel”.

Cliché de Zahir Boudjellal brandi durant la marche de 1983. (Reproduction : Emilio Guzman)

Comme le reste des objets étalés dans les bureaux du musée, il date du début des années 80, du temps de l’organisation de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Sur la table, également : une grande photo de Zahir Boudjellal, le petit frère d’Hanifa, abattu à 17 ans par un voisin colérique, en février 1981 à la Busserine. Le cliché trône sous une épaisse feuille de plastique fendillée restée dans son jus. En 1983, ce même portrait et son sous-verre sont brandis par les marcheurs des Flamants et de la Busserine, avec les photos de deux autres jeunes garçons assassinés,  tragiques symboles du racisme qui frappe la jeunesse maghrébine en France. De la Cayolle à la Busserine, ce 15 octobre 1983, ces jeunes réalisent la première étape de la marche qui ralliera Paris le 3 décembre suivant.

Pour nous il s’agit de ramasser ces petits bouts de mémoire et de les transmettre.

Hanifa Taquelmint

Ce week-end, de nombreux événements sont organisés à Marseille, Lyon et Paris pour célébrer cet anniversaire. Entre autres initiatives locales, portées par le collectif Mémoires en marche, cette exposition qui fait, pour la première fois, entrer au musée d’histoire de Marseille des objets issus de ces temps de lutte. “Pour nous il s’agit de ramasser ces petits bouts de mémoire et de les transmettre”, souligne Hanifa Taguelmint. Visible jusqu’au 15 janvier, cette exposition trouve naturellement sa place dans la salle dite “d’embarquement” du musée d’histoire de la ville.

Histoire en train de s’écrire

Fabrice Denise, conservateur du patrimoine et directeur du lieu, se montre ravi d’accueillir là ce travail. “Nous sommes un lieu conservant du patrimoine historique mais aussi contemporain. Et parfois comme c’est le cas ici ces objets relèvent de la mémoire encore en train de s’écrire”, analyse-t-il. “Il faut que cette histoire se déverrouille un peu, qu’elle soit montrée à une audience la plus large possible, dans un esprit de transmission. Le musée est là pour qu’on se souvienne, que l’on démocratise et que l’on éclaire certains pans de l’histoire de Marseille qui sont méconnus”, détaille encore le directeur.

Des pièces pourraient, comme celles qui ont été intégrées après le drame de la rue d’Aubagne à Noailles, rejoindre les collections “pour enrichir le parcours permanent du musée”. Comme Hanifa Taguelmint, Fabrice Denise espère que d’autres marcheurs de 83 se manifesteront. “Car le musée a un pouvoir de transformation: un objet ordinaire peut soudain se faire ô combien symbolique”, dit-il. C’est le cas de ces tracts, affiches, autocollants ou photos que Marsactu choisit de faire commenter par leurs propriétaires.  Traces tangibles des combats qui avaient commencé avant la marche et devaient se poursuivre après.

Hanifa Taguelmint : des tracts et une facture

Des tracts et une facture datant de 1984 pour l’organisation d’une manifestation devant le palais de justice d’Aix. (Photo Emilio Guzman)

“Sous mes yeux, j’ai des documents qui datent du début des années 80. Ce sont des tracts et une facture de bus. Ils sont tous liés aux actions que l’on menait à l’époque. Notamment pour que le CRS Taillefer – auteur de la bavure mortelle contre Lahouari Ben Mohamed le 18 octobre 1980 aux Flamants – passe non pas en correctionnelle mais aux assises. Ce que nous obtiendrons finalement après plusieurs manifestations que nous avons organisées avant et après la marche de 83. Pour nous, l’idée qu’il n’y ait pas de procès aux assises, c’était comme un deuxième affront. Alors en mars 1984 avec l’association des femmes maghrébines en action (AFMA) et l’association de jeunes Ganacj, on s’était organisé pour affréter des bus et amener des gens gratuitement devant le palais de justice d’Aix. (Elle sourit en montrant la facture bleue) Cela nous avait donc coûté 700 francs.

Des crimes racistes, il y en avait beaucoup depuis les années 70. Nous, les jeunes, on regardait les infos et on traduisait tout à nos parents. Ils regardaient ça tous les jours, comme s’ils attendaient un événement terrifiant. On voyait qu’il y avait des meurtres un peu partout en France. Mais c’est toujours pareil, il faut que ça se passe en bas de chez toi pour que tu te sentes impliqué… Lahouari est mort à 500 mètres de chez moi, puis mon frère Zahir, à 20 mètres de là. Ces combats engagés dans ces années-là, nous amènent à soutenir la marche. Mais à Marseille, au fond, nous sommes en avance sur elle. Et en 1983, la marche c’est le visible de nos luttes, la pointe de l’iceberg.”

Hamid Aouameur : des affiches pour les droits des immigrés

Une affiche du Conseil des associations d’immigrés en France (CAIF), prêtée par Hamid Aouameur. (Photo Emilio Guzman)

“Aujourd’hui, je suis membre de Mémoire en marche, mais dès les années 60 je milite au sein de divers collectifs notamment le Mouvement des travailleurs arabes (MTA). Pour cette exposition, j’ai prêté des affiches. Particulièrement celles qui annonçaient le festival des travailleurs immigrés à Montreuil. Ou une autre qui réclame des droits à vivre en famille pour tous y compris les immigrés, du Conseil des associations d’immigrés en France (CAIF). Ces affiches, il est essentiel de les montrer. Parce que je ne vais pas les garder chez moi. Quand on a du matériel militant, ça n’aurait pas de sens de le conserver pour soi. Il faut que ça sorte !

Je suis arrivé à Marseille il y a plus de 40 ans, j’ai travaillé dans plusieurs théâtres (La Criée, le Toursky) et j’ai continué à militer. Au moment de la marche de 83, il y a à Marseille une jeunesse très active. Moi, je suis un peu, très humblement, un “grande-frère”. Je fais le lien avec le monde des travailleurs. Du coup, je fais partie de ceux qui en 1983 rencontrent les Lyonnais emmenés par le prêtre Christian Delorme et le pasteur Jean Costil, lorsqu’ils viennent organiser le début de la marche à Marseille. Il y a là une forme de logique, un continuum. On est là, à Marseille, et c’est là qu’il faut se battre pour nos droits. Cette jeunesse exprime tout ça: elle ne veut être plus contrôlée au faciès, humiliée, tabassée. Elle ne demande pas plus que les autres travailleurs français.  Et 40 ans après, les problèmes sont toujours là. C’est donc d’autant plus important de montrer tout ça dans un musée aujourd’hui.”

Zohra Boukenouche : un autocollant de radio Gazelle

Un autocollant de la station radio Gazelle et une photo de Zohra Boukenouche dans le studio, dans les années 80.  (Photo Emilio Guzman)

“Parmi les choses que j’ai amenées, j’aime particulièrement cet autocollant de radio Gazelle. Il est vert, avec une gazelle – petit clin d’œil à l’Afrique – et un casque pour symboliser la radio. L’époque est à l’effervescence des radios libres et à la création d’associations puisque la loi permettait désormais aux étrangers le droit de se réunir dans des structures associatives. Avec Gazelle, dès 1981, l’objectif est de faire se rencontrer les différentes communauté de la ville. On peut y écouter des émissions en arabe, en arménien, en espagnol… L’inverse de l’enfermement et du communautarisme. Évidemment, on y parlait de la situation politique et on se retrouvait sur des valeurs communes, notamment la lutte contre le FN. Assez naturellement, l’association Rencontre et amitié radio Gazelle s’engage au côté de la Cimade ou de membres locaux du MRAP et participe à la coordination qui accueille la marche à Marseille. Je me souviens que l’association SOS Minguettes échangeait avec nous par fax pour déterminer le parcours !

À ce moment-là, j’ai un peu plus de 20 ans et j’habite Bassens. Mon frère Saïd milite déjà. Dans les quartiers nord certains se sont connectés et soudés après les crimes racistes, notamment le meurtre de Zahir, le frère d’Hanifa. Ils ont senti qu’il se passait quelque chose politiquement et artistiquement. À Gazelle, on avait aussi cette portée culturelle. Le jour du départ de marche, je n’ai pas pu y aller parce que je travaillais dans un snack à Belsunce! (Elle rit) Mais après, pendant toute la marche, on avait des gens qui nous appelaient à la radio. Ils devaient d’abord trouver une cabine téléphonique puis nous raconter ce qu’il se passait. Moi j’étais souvent à la régie. À chaque flash on faisait un point sur l’endroit où la marche se trouvait, combien de gens il y avait, comment ils étaient accueillis ! Mais comme on n’avait pas d’argent cette mémoire s’est perdue, puisqu’on utilisait toujours les mêmes cassettes pour enregistrer ces témoignages les uns sur les autres. C’est dommage qu’on n’ait plus de traces de tout ça !”

Pierre Ciot : deux photos du 15 octobre 1983

Marseille le 15 octobre 1983 : départ de la Marche pour l’égalité et contre le racisme depuis la cité de la Cayolle dans les quartiers Sud de la ville. (Photo Pierre Ciot)

“Ça, c’est le départ, à la Cayolle, le 15 octobre 1983. On voit que l’intitulé au départ c’est “marche pour l’égalité”, la lutte contre le racisme sera ajoutée plus tard, comme en attestent d’autres images par la suite. Le terme “marche des beurs” inventé par le journal Libération n’est pas du tout accepté par les marcheurs à l’époque. Le moment du départ est assez improbable. Il y a peu de monde: 30 ou 40 personnes. Mais c’est tout un symbole. Dans ce quartier qui est un ancien bidonville, un enfant est mort lors de l’explosion d’une bombe, le 2e dimanche de mars, deuxième tour de l’élection municipale de 1983. On ne peut pas lire cette image sans revenir sur le contexte politique de l’époque qui est exécrable. La campagne a eu lieu sur fond de bombes, de discours très violents sur l’immigration et de petits arrangements de Defferre avec l’extrême-droite de l’époque incarnée par Bernard Manovelli… C’est le début de l’ancrage de l’extrême droite ici.

Moi, à ce moment-là, je suis déjà journaliste photographe et je pige pour l’AFP régulièrement. Je suis par ailleurs militant au MRAP. À l’AFP, l’événement n’était pas noté à l’agenda. Après être allé à la Cayolle, je retourne au bureau pour dire qu’il faudrait faire quelque chose. L’AFP va envoyer alors une dépêche accompagnée de deux photos. Pendant ce temps, la marche traverse une partie du centre ville. Les marcheurs ne sont pas reçus à la mairie, mais le premier adjoint de Defferre – Jean-Victor Cordonnier – descend saluer la socialiste Françoise Gaspard qui vient de perdre la ville de Dreux au profit d’une alliance entre le RPR et le Front national – et qui marche dans le cortège. Après, le défilé va dans les quartiers Nord : Bassens, les Flamants et moi je les rejoins à la Busserine. C’est le deuxième cliché. Cette marche rappelle les réactions très très dignes, sans jamais aucun incident, qui ont succédé les meurtres de Lahouari et de Zahir. Personnellement, je ne suis qu’un témoin. J’ai donné une centaine de photos aux acteurs de la marche. Cette exposition au musée d’histoire est une reconnaissance tardive, certes, mais indispensable.”

Marseille le 15 octobre 1983 : la marche à la Busserine. (Photo Pierre Ciot)

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    On est vraiment le pays de la commémoration. Tous muséographes.

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    • Alceste. Alceste.

      Il nous manque plus qu’une plaque .

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  2. MarsKaa MarsKaa

    Les “petits bouts de mémoire”, les objets de mémoire individuelle, familiale, sociale.. font partie de l’histoire, de notre histoire à tous.
    Confier ces objets personnels au Musée d’histoire de Marseille, en faire des objets d’histoire, des sources, accessibles au public, est une très bonne idée.
    Certains ne veulent pas parler de cette période, de la marche de 1983, de cette histoire sociale et politique, des personnes qui ont vécu, ou qui sont morts, du racisme. Et pourtant, comment comprendre aujourd’hui si on ne sait rien d’hier ?

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      D’autant plus nécessaire en ce moment.

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  3. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Les deux premiers commentaires dont l’un dans une forme soi disant ironique ou humoristique montrent que 40 ans après cette marche pour l’égalité gène encore les partisans de l’inégalité et de la ségrégation.

    Un grand merci pour le travail des militants qui ont conservé précieusement ces documents et au Musée de l’Histoire qui les met aujourd’hui en valeur. J’espère qu’il y aura des visites scolaires.

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    • AlabArque AlabArque

      +++ merci MarsActu de ces ‘papiers’, mémoire nécessaire = les médias ‘nationaux’ y compris militants (je n’ai vu que le ‘chapeau’ initial sur @politis.fr, je vais vérifier en version imprimée) ont tendance à snober ce départ massaliote. Et ça me fournit une belle et bonne raison de refaire un tour au Musée d’Histoire pendant que la RTM dessert encore les confins sud – petit agacement à la perspective de la prochaine amputation du 19 GRRRRR 😉

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