[Vivre à Bougainville] Bal aux pieds des tours de Félix-Pyat

Reportage
le 13 Juil 2017
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Installée au coeur des barres d'immeubles, l'association Pamplemousse enflammé veut promouvoir l'art auprès des jeunes de la cité Félix-Pyat. Mais dans l'un des quartiers les plus pauvres de France, la frontière avec le social n'est jamais très loin. Premier épisode d'une série sur le quartier Bougainville entre faubourg populaire et futur de Marseille.

[Vivre à Bougainville] Bal aux pieds des tours de Félix-Pyat
[Vivre à Bougainville] Bal aux pieds des tours de Félix-Pyat

[Vivre à Bougainville] Bal aux pieds des tours de Félix-Pyat

Le son de la harpe s’envole au milieu des barres d’immeubles. La musicienne est installée juste à côté du terrain de foot. À ses pieds, une brochette de minots bercés par la musique laissent s’échapper par intermittence des ballons de baudruche gonflés à l’hélium. L’instant est poétique. Mais derrière ce joli spectacle, les plus grands veillent. Car, ici, la moindre étincelle peut vite se transformer en brasier.

Bienvenu au bal de clôture du Festi’Pyat, un festival culturel organisé chaque année depuis 2012 au parc Bellevue, rue Félix-Pyat, cité du troisième arrondissement de Marseille. L’année dernière le festival n’avait pas pu se tenir à cause de tensions entre plusieurs bandes rivales. “Ça tirait de partout“, se rappelle-t-on dans la cité. Cette année, l’événement, organisé par l’association Pamplemousse enflammé, s’est tenu sur cinq jours. Au programme : ateliers et spectacles de beatbox, de jongle, de peinture, de poésie, de musculation, repas de quartier ou encore stand de jeux vidéos anciens. Mais l’action de Pamplemousse enflammé ne se cantonne pas à l’organisation du Festi’Pyat.

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Cours de théâtre et coaching à l’emploi

Voilà maintenant un an et demi que Julie Fallot, danseuse, et Noël Cauchi, jongleur, ont enfin obtenu un local au pied des tours “pour promouvoir l’art à un public aux ressources amoindries, voire, inexistantes“, se remémore Noël en fumant sa cigarette de tabac à rouler. Longtemps, ils ont agi sur la cité sans avoir de lieu fixe, faute de moyen pour en payer le loyer.

La harpe a laissé place à la rumba énergique d’un groupe de musique congolaise. Ni une ni deux, les gamins du quartier s’attroupent devant la scène et se lancent dans des battles de coupé-décalé. Grâce à Noël et Julie, ces enfants d’une dizaine d’années ont formé une troupe de danse et après plusieurs répétitions, ont donné des spectacles dans Marseille, au Théâtre Toursky ou encore au parc Pastré. “Je les ai vu danser leur coupé-décalé entre deux camions et je me suis dit qu’ils dansaient comme des pros”, raconte Julie qui porte un legging de danseuse.

À Pamplemousse il y a la danse, et le théâtre. Chaque mercredi, Mylène, jeune bénévole qui vient d’obtenir un master en droit, donne des cours “d’impro” pour les ados et jeunes adultes. “Au final c’est de l’art thérapeutique. On travaille l’expression, les postures selon la personne que l’on a en face de soi, bref l’adaptabilité, détaille Mylène dont l’engagement ne s’arrête pas là. Le but c’est de permettre à ces jeunes de savoir comment se comporter quand ils sortent de la cité, quand ils seront en face d’un patron par exemple.” Alors la jeune fille a aussi mis en place des “permanences emploi“. Quand un jeune décroche un entretien, il peut prendre rendez-vous avec elle pour se faire coacher. “Je n’ai pas de diplôme pour ça, mais c’est mieux que rien, constate-t-elle, ici on bosse dans l’urgence des besoins.

L’art ou le réseau

Les membres de Pamplemousse enflammé se sont fixés une règle : ne jamais adopter une position de supériorité mais établir un lien d’égal à égal avec les habitants du quartier, toujours dans le respect de l’autre. “Julie et Noël c’est comme des potes, eux aussi ils viennent de la galère, ils vivent avec nous et ça, ça impose le respect“, confie Mounir, 24 ans et pas toutes ses dents comme il le rappelle lui-même. Quand Noël a rencontré Mounir, il passait ses journée à fumer la shisha dans un garage avec son grand-frère. “À Pamplemousse, on fait des ateliers créatifs, du sport, du rap. On est encadrés et si on a des projets, avec eux on peut y arriver. En fait, ça nous aide à ne pas se retrouver de l’autre côté“, poursuit Mounir en faisant un signe de la tête en direction de la face nord de l’immeuble où se trouve les locaux de Pamplemousse enflammé. L’autre côté, c’est le réseau.

Ils sont nombreux parmi ces jeunes qui traînent à “Pamplemousse“, à être passés par la case réseau, voire, la case prison. Certains en portent encore les traces. Comme ce bracelet électronique autour de la cheville d’Omar qui a aidé à installer les bancs et les tonnelles pour la soirée. “J’ai croisé Noël et Julie quand je descendais fumer des clopes en bas du bloc. Aujourd’hui, si je peux passer des après-midis en dehors de chez moi c’est grâce à eux. Ils me font des petits contrats. Sans eux à cette heure-ci, je serais sûrement devant la télé“, raconte Omar, la tête toujours haute.

Sami aussi donne un coup de main sur le Festi’Pyat. Un peu à l’écart, il passe la soirée à son poste. Il s’assure que rien ne dérape. Il rassure Julie quand un mouvement de foule se crée à cause d’une banale engueulade. “Il y a longtemps, Noël et Julie ont installé un drap par terre avec des livres, on pouvait venir lire ou écouter des histoires. C’est comme ça que je les ai rencontrés“, se souvient-il. Sami a 23 ans et porte très justement le surnom de “gueule d’ange“. Le jeune homme a au compteur presque 6 ans de prison, et deux enfants. “Quand il t’appelle et qu’il te dit qu’il a besoin que tu l’aides pour obtenir un colis alimentaire, et bien même si c’est pas ton rôle à la base, tu le fais“, concède Noël Cauchi, du Pamplemousse.

Sur le papier, l’association Pamplemousse est pourtant une association culturelle.  La culture capte, permet de susciter l’échange et parfois, de panser certains maux. “On a tous vécu des choses difficiles, il y a en nous un mal-être. Avec l’art, on peut essayer de le combattre, de transformer ça en énergie positive. Quand on y arrive, on a plus besoin de personne. C’est exactement le message qu’essaye de faire passer Pamplemousse enflammé“, détaille Mir-sa, beatboxeur renommé dans la culture urbaine marseillaise. Mais ici, les frontières avec le social ne sont jamais très épaisses. “Tu ne peux pas dire à quelqu’un de venir faire un cours de théâtre quand il vient de te dire qu’il ne sait pas comment il va manger le soir“, relève Noël.

En lieu et place du centre social

Mais Pamplemousse enflammé reste une association culturelle qui ne compte qu’un seul salarié. Et même si la structure bénéficie d’un loyer avantageux grâce à un bailleur social qui a vu l’occasion de créer de l’animation en pied d’immeuble, elle peine à assumer une si lourde tâche avec  si peu. En 2016, Pamplemousse enflammé a certes bénéficié de 26 000 euros de subvention. Mais les pouvoirs publics restent peu généreux avec cette association.

Ce travail d’éducation populaire qui se sert de la culture comme un pont ressemble à ce que font bien des centres sociaux au pied des tours des quartiers populaires. Et justement les locaux que le Pamplemousse a investi étaient ceux de l’ancien centre social de Félix-Pyat jusqu’en 2011. À 400 mètres de là, une maison pour tous a été créée dans le cadre du projet de rénovation urbaine. La volonté était de sortir de la cité, d’attirer les habitants de Bellevue vers Saint-Mauront. Problème : la maison pour tous n’est pas ou peu fréquentée par les gens du quartier. Transition toute trouvée vers le prochain épisode de cette série Vivre à Bougainville.

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Commentaires

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  1. LN LN

    Je me souviens d’un pataquès pour la construction de la maison pour tous. Les prérogatives ne sont pas tout à fait les mêmes que celles du centre social, mais surtout, il a été construit en zône quasiment vidée de sa substance au profit de constructions neuves. Le centre social, lui, était vraiment au cœur du Parc Bellevue, rue Félix Pyat, dans le quartier de saint Mauront. Je (re)précise, car la sémantique a son importance : la cité Félix Pyat n’existe pas, sauf pour ceux peut-être qui ne connaissent pas.
    Enfin, “… La culture capte, permet de susciter l’échange et parfois, de panser certains maux…” mais elle ne rapporte guère, et la financer à St Mauront, relève du délire. Dommage, ce quartier en a aussi besoin. Je ne veux pas non plus être trop pessimiste (c’est celui de ma jeunesse) mais après une forte stigmatisation, je sais que bon nombre d’habitants se bougent pour y vivre et non pour y survivre.

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