Une étude dévoile les réalités de la prostitution des femmes migrantes à Marseille

Actualité
le 7 Déc 2022
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Depuis plusieurs mois, un projet visant à favoriser l'accès au soin aux travailleuses du sexe issues de l'immigration est mené à Marseille. Jeunes ou très âgées, issues de plusieurs continents, souvent victimes de traite... Les premières données recueillies permettent de mieux cerner leurs conditions de vie.

Des jeunes femmes probablement venues de pays de l
Des jeunes femmes probablement venues de pays de l'Est se prostituent sur le boulevard Sakakini (Archives - Photo : Patrick Gherdoussi)

Des jeunes femmes probablement venues de pays de l'Est se prostituent sur le boulevard Sakakini (Archives - Photo : Patrick Gherdoussi)

Pour la première fois en France un projet, à la fois sanitaire et scientifique, va suivre sur la durée un groupe de femmes, issues de l’immigration, en situation de prostitution. Baptisée Fassets – pour “favoriser l’accès à la santé sexuelle chez les travailleuses du sexe migrantes”, cette initiative inédite va s’étirer sur plus d’un an. En amont, les équipes ont collecté des données sur le terrain marseillais afin de dresser de premiers constats. Elles en dévoilaient les grandes lignes ce mardi 6 décembre, en écho à la journée mondiale de lutte contre le sida.

“Cette phase exploratoire nous a permis d’établir un premier état des lieux de la population concernée et de dresser les freins et leviers dans son accès au soin. Il faut rappeler que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est la deuxième région métropolitaine la plus touchée par les infections au VIH, après l’Ile-de-France”, pose Marine Mosnier coordinatrice du projet. Celui-ci est porté par les associations Prospective et coopération, The Truth (La vérité) structure créée pour aider les femmes, notamment nigérianes, à échapper à la prostitution, ainsi que l’unité de recherche SESSTIM (sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale).

Au printemps dernier, les membres de Fassets se sont d’abord attelés à un travail d’estimation du nombre de personnes concernées et des réseaux présents. Jusqu’alors, le chiffre communément avancé était de 700 travailleuses du sexe immigrées à Marseille. “Il est très probablement sous-estimé”, cadre Maxime Hoyer biostatisticien au sein du SESSTIM. Ses travaux menés via deux méthodologies différentes posent une estimation de 1320 femmes majeures concernées. Ce chiffre reste encore très en deçà de la réalité, selon des travailleurs sociaux qui œuvrent auprès de cette “population cachée”, notamment du fait de l’exclusion des prostituées mineures de l’étude.

Quatre médiatrices

La cohorte élaborée par Fassets est donc composée de 132 femmes et reprend dans ses proportions les grands traits des données collectées sur le terrain. L’étude dévoile une grande variété dans leurs parcours et les réalités qu’elles vivent. Sur ces 132 femmes, 125 sont cisgenres et 7 sont trans. Leur âge moyen est de 35 ans. Elles sont, pour 91 d’entre-elles, originaires d’Afrique sub-saharienne et dans leur grande majorité du Nigeria ; 25 arrivent d’Afrique du Nord, 11 d’Europe de l’Est et 7 d’Amérique du Sud.

Elles n’ont pas d’autre solution que de se soumettre à ces rapports sexuels en échange d’un logement ou de nourriture.

Grace Inegbeze, médiatrice en santé

Dans le cadre de Fassets, elles sont toutes suivies par quatre médiatrices en santé. Grace Inegbeze la fondatrice de l’association The Truth, accompagnera les femmes Nigérianes. “Elles ne se revendiquent pas comme des travailleuses du sexe, mais expliquent ne pas avoir d’autre solution que de se soumettre à ces rapports sexuels en échange d’un logement ou de nourriture”, souligne-t-elle. Fatima Touati suit, elle, les arabophones qui travaillent en priorité dans le centre-ville marseillais : “Ce sont des femmes relativement âgées – en moyenne 58 ans et la plus vieille a 83 ans. Elles souffrent donc de maladies chroniques comme le diabète ou l’arthrose, pour lesquelles elles ne sont pas bien suivies.”

Sniezana Wuette voit régulièrement les femmes originaires de Russie, Roumanie, Moldavie, République tchèque, Bulgarie… La travailleuse sociale fait le distinguo entre “celles qui ont des papiers, arrivent à accéder à leurs droits et se débrouillent bien” et “celles qui, sans papiers, se cachent, ont peur, sont très difficiles à approcher”. Enfin, Perla Rannielly est la référente pour les femmes trans issues d’Amérique latine. Elle voit le projet Fassets “comme un espace de sécurité, un lieu pour donner de la confiance.”

Infectées au VIH après leur arrivée

Majoritairement, comme le révèlent les travaux préparatoires de Fassets, ces femmes ont un accès à la santé très parcellaire : 86% des interrogées disent n’avoir aucun contact avec des acteurs de soin. En outre, relève Hippolyte Regnault, doctorant en science politique au sein du SESSTIM, “les femmes contactées n’ont, à 87%, jamais entendu parler de la PrEP”, ce traitement préventif destiné aux personnes très exposées au VIH. Lacune que le projet mené à Marseille ambitionne de combler sur la durée. D’autant que 11% de ces travailleuses du sexe confient avoir des rapports sans préservatif, notamment sous la contrainte de leur client. Enfin, “un tiers des infections au VIH sont contractées par ces femmes après leur arrivée en France”, constate par ailleurs Marine Mosnier.

80% des personnes suivies vivent dans des logements précaires.

Infectiologue au sein des hôpitaux de Marseille, Carole Eldin a, elle, analysé les premiers questionnaires soumis à ces femmes et établi les contours de leurs quotidiens. Environ 20% d’entre-elles ne sont jamais allées à l’école et 23% ne savent pas lire. Leurs arrivées datent de quelques mois pour les plus récentes et jusqu’à 47 ans pour la plus ancienne. Elles vivent à 80% dans des logements précaires : 27% en hôtel, 25% en appartement, 20% en squat, 15% en hébergement d’urgence. Elles ont, à 87%, des enfants. Victimes le plus souvent de réseaux de traite d’êtres humains, 10% de ces femmes ont subi des violences physiques et 6% un viol dans les 12 mois écoulés.

Dans la rue ou en squat

Ces travailleuses se prostituent pour moitié dans la rue et 23% reçoivent leurs clients dans des squats. La prostitution via internet est, elle, en augmentation notamment chez les jeunes femmes. En moyenne, les femmes suivies déclarent rencontrer entre 6 et 20 clients par mois. De leurs entretiens, il ressort également que 32% ne se sentent pas en sécurité et 35% ont régulièrement faim en allant se coucher. “Les niveaux de précarité et d’isolement sont assez fous”, déplore Carole Eldin. Elle pointe qu’il s’agit là de la plus grosse cohorte de cet ordre étudiée en France et que “les données collectées sont particulièrement solides sur les conditions de vie.”

Le projet Fassets va chercher, à travers des rendez-vous réguliers avec ces femmes égrainés sur les mois à venir, “à partir de leurs besoins, faire du bottom up [démarche qui va du bas vers le haut] pour imaginer les réponses notamment en matière d’accès à la santé”, reprend Marine Mosnier, la coordinatrice. Michel Bourrelly, membre de l’équipe SanteRCom (laboratoire de santé et recherche communautaire, au sein du SESSTIM) et président de l’association Vers Marseille sans sida et sans hépatites ne dit pas autre chose. Il salue une initiative menée pour et par les populations concernées “qui sont les mieux placés pour agir, construire, se battre et gagner.”

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Commentaires

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  1. kukulkan kukulkan

    merci pour cette enquête. Il faut absolument que l’Etat encadre et donne des droits à ces personnes qui sont de fait obligées de se cacher et de pratiquer dans le danger et sans aucune reconnaissance… on endiguera jamais la prostitution l’abolition ne peut pas marcher.

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  2. Vand Vand

    La misère décrite dans cette étude était attendue, elle n’en reste pas moins toujours aussi difficile à lire. Et nécessaire de fait… Merci pour ce travail de porte-voix.

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  3. GingerPoco GingerPoco

    Il n’y a pas qu’à Marseille. La route Fos-Port Saint Louis vers le GPM est aussi un lieu de prostitution.

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  4. didier L didier L

    Quantifier, mesurer la misère on le fait, de mieux en mieux même. Mais …apporter des remèdes, corriger , poser les bonnes questions et ébaucher des réponses savons-nous le faire ? J’ai peur que non. De si longs voyage pour vivre ainsi, espérer en qui en quoi ?

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