Un rapport confidentiel relance le débat sur les boues rouges

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le 19 Juil 2012
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"Faire tomber le premier domino de la communication" sur les boues rouges, c'est-à-dire leur absence de toxicité : c'est l'objectif visé Olivier Dubuquoy, du collectif Non aux boues rouges en mer, qui comprend notamment des opposants varois à l'exploitation des hydrocarbures. Celui-ci a rendu public une étude d'impact réalisée en 1993 pour le compte de Pechiney, propriétaire d'alors de l'usine d'alumine de Gardanne qui a rejeté en mer des millions de tonnes de ces résidus industriels.

L'élément que le collectif retient de ce document de 60 pages – qui ne contient pour le reste pas que des mauvaises nouvelles : la toxicité avérée (fécondation et développement de larves d'oursins) des boues prélevées dans l'axe du canyon sous-marin de Cassidaigne. Une zone en plein coeur du parc national des Calanques où, en attendant l'arrêt des rejets programmé au 1er janvier 2016, elles se déversent toujours (plus de 10 000 tonnes en juin) via une conduite de plus de 60 km partant de Gardanne. Dès 1993, Pechiney, alors encore entreprise publique française, savait, l'État aussi (de droite puis de gauche). Mais l'un et l'autre ont maintenu l'omerta, gardant le rapport confidentiel.

Contradiction

En plus d'une soirée débat ce jeudi au Point de bascule, le collectif peut surtout compter sur le relais de José Bové, député européen Europe Ecologie-Les Verts, qui s'est saisi du dossier. Mais il se heurtera aux rapports produits par le comité scientifique de suivi (CSS), créé par un arrêté préfectoral de 1994 pour suivre l'impact environnemental des rejets. Après plusieurs campagnes en mer, la prochaine étant prévue à l'automne, celui-ci a toujours  conclu à leur innocuité, malgré quelques résultats troublants.

Problème pour Rio Tinto Alcan – actuel propriétaire dans l'attente de la finalisation de la vente au fond d'investissement HIG : outre les nombreux avis allant plutôt dans le sens d'un réel problème environnemental recueillis par Marsactu fin 2010, plusieurs études sont venues après 1993 confirmer celle que publie aujourd'hui le collectif. Responsable principal : Giovanni Pagano, chercheur italien déjà partie prenante de ce premier travail qui a continué à décortiquer la toxicité des boues.

Non plus pour l'établir, ce qui était fait, mais pour comprendre les raisons des variations observées des effets, suivant les usines (France, Grèce, Italie, Turquie) et les lieux de prélèvement sous-marins. Et ce dans des revues internationales à comité de lecture, c'est-à-dire soumise à validation par un panel de scientifiques. Ce qui est autre chose comme gage d'indépendance et de sérieux qu'une nomination par le préfet, argument du CSS en réponse aux critiques sur son financement – ceci-dit prévu par la loi – par l'industriel…

Mais à quoi bon relancer un débat que l'arrêt des rejets en 2016, demandé par l'Etat en 1995 pour se mettre en conformité avec la convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée, semblait rendre caduc ? Car le Olivier Dubuquoy, sur la base de conversations avec des chercheurs s'étant penchés sur le sujet, craint les conséquences potentielles pour l'environnement voire la santé du passif accumulé, "une fois que la vie va se réinstaller sur les dépôts" – d'où elle a disparu dans les zones les plus exposées à cause de l'effet mécanique du déversement – "et que les polluants vont repasser dans la chaîne alimentaire".

Plus de boues rouges rejetées… ou presque

Autre enjeu : savoir ce qui sera rejeté par la conduite une fois que les boues rouges n'y passeront plus. "80/90% du problème sera réglé", nous confiait récemment un responsable de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse. Mais, nous expliquait-il, l'eau inhérente à son processus de production que l'industriel pourrait continuer de rejeter contiendra toujours des "matières en suspension", autrement dit des particules plus fines de boues rouges. Ce pour quoi cet établissement public a d'ailleurs prévu, le cas échéant, de le taxer.

À la lecture du rapport d'activité 2011 du CSS, à qui l'industriel a communiqué son "Projet d’arrêt des rejets en mer des résidus du centre de production d’alumine de Gardanne", on apprend que plusieurs solutions sont envisagées ("évaporation, rejet dans la Luynes et l’Arc (sic), recyclage et poursuite du rejet en mer") et que cette dernière pourrait concernerait moins de 35 milligrammes par litre de matières en suspension pour un débit de 200 m3 par heure.

Soit grosso modo au maximum 60 tonnes par an. Bien loin des centaines de milliers de tonnes des années passées, mais avec peut-être des caractéristiques physico-chimiques, et donc des effets, différents. C'est toute la question de la démarche d'évaluation qui se profile et qui, comprend-on à la lecture des observations du CSS, ne sera pas aisée.

Quant à la partie solide des boues rouges, interdites de mer, reste à leur trouver un débouché. Ce sur quoi Olivier Dubuquoy appelle aussi à la vigilance puisque les nombreuses voies de valorisation de la Bauxaline (nom commercial de ce déchet transformé en matière première) "surfent sur l'idée de non-toxicité des boues rouges". Le rapport 2011 du CSS évoque d'ailleurs "la difficulté déjà soulignée à plusieurs reprises d’homologation de la Bauxaline pour une utilisation sans réserve". Preuve que le casse-tête de cette activité industrielle pourvoyeuse de plusieurs centaines d'emplois à Gardanne est loin d'être clos…

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