“Tous les jours, on me traite de voleur” : l’ex-député Jibrayel plaide la relaxe en appel

Actualité
le 15 Mar 2023
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L'ancien député et élu départemental socialiste comparaissait ce mardi devant la cour d'appel d'Aix pour prise illégale d'intérêts et abus de confiance. L'audience a encore une fois interrogé les mœurs politiques locales.

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L'ex-député PS Henri Jibrayel et son avocat, Jorge Mendes-Constante à la cour d'appel d'Aix le 14 mars 2023. (Photo : JML)

L'ex-député PS Henri Jibrayel et son avocat, Jorge Mendes-Constante à la cour d'appel d'Aix le 14 mars 2023. (Photo : JML)

Le débit s’accélère, le bras gauche multiplie les moulinets quand l’autre se tient à la barre. Henri Jibrayel s’agace : “Les gens sont haineux, ils ne supportent pas qu’un roturier, qu’un gars venu de nulle part, ait été élu.” Dix ans député (2007-2017) et 20 ans (2001-2021) conseiller départemental, il n’a toujours pas digéré cette lettre anonyme qui lui vaut de “traîner cette affaire depuis dix ans”. Cette affaire, c’est celle de quatre mini-croisières organisées par trois associations contrôlées par l’assistante parlementaire du député et suppléante au département, décédée durant la procédure. L’élu s’est affiché sur place et a contribué par son vote à l’octroi de subventions départementales à ces structures.

Pour ces faits, il a déjà été condamné en première instance pour prise illégale d’intérêts et abus de confiance : 30 mois de prison dont 10 mois avec sursis et cinq ans de privation des droits civiques dont l’inéligibilité. Le voilà désormais devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour tenter de laver son honneur. “Tous les jours, on me traite de voleur alors qu’il n’y a pas d’enrichissement personnel”, répète à l’envi le prévenu.

Une vie d’élu de terrain

“Je ne suis pas débile au point de subventionner une association et ensuite de m’afficher dans ses sorties en mer”, s’indigne Henri Jibrayel. C’est qu’à ses yeux, il ne faisait dans ces tours en bateau que ce qu’il a toujours fait : serrer les mains, embrasser toutes celles et tous ceux qui se présentent. Sa vie d’élu a toujours consisté à arpenter le terrain sur un secteur qui court “de Carrefour Le Merlan aux plage de Corbières”. Il jure : “Tous les élus favorisent les associations de leur canton, c’est leur rôle de les aider”. Il assure encore : “Je suis élu. On me demande un service, un logement ou autre, je le rends.” Quant à l’organisation de la manifestation dans laquelle il s’est impliqué jusqu’à participer au choix des bateaux comme des dates, il dit n’avoir été qu’un simple “intermédiaire”. Et qu’importe si les dirigeants de la SNCM de l’époque – l’ex-PDG Marc Dufour en tête – l’ont clairement identifié comme le vrai responsable des sorties incriminées.

Les colis de Noël, les fleurs pour la journée des femmes, les couronnes pour les enterrements, c’est le conseiller général qui offre avec les moyens du département.

Jorge Mendes-Constante, avocat d’Henri Jibrayel

Henri Jibrayel a beau avoir voté en 2013 la loi post-affaire Cahuzac renforçant la lutte contre les conflits d’intérêts, il appartient à un monde et une époque politiques qui ne voyaient pas le problème. Et bénéficiaient d’une certaine mansuétude de la justice. Il ne comprend donc pas pourquoi il aurait dû s’abstenir de contribuer à financer les structures que gérait son assistante parlementaire. “Les colis de Noël, les fleurs pour la journée des femmes, les couronnes pour les enterrements, c’est le conseiller général qui offre avec les moyens du département”, poussera plus tard son avocat, Jorge Mendes-Constante.

Un homme désormais en retrait de la vie politique

56 ans de carte au Parti socialiste, des décennies comme élu, Henri Jibrayel fait partie à 72 ans d’une génération qui a fait de la politique toute sa vie mais a été poussée dehors, avant les municipales 2020 par Benoît Payan et ses proches après des années de travail commun. Lui a pu fièrement transmettre le flambeau à son fils Sébastien qui, après avoir été son assistant parlementaire, est devenu adjoint au maire et conseiller départemental.

Le rôle d’un élu, c’est de voter les lois, pas de rendre service

Anne-Valérie Lablanche, présidente de la cour d’appel

Face à lui, la présidente de la cour d’appel Anne-Valérie Lablanche semble ne pas vivre dans la même démocratie. Elle laisse poindre son interprétation restrictive du rôle de l’élu local. “Le rôle d’un élu, c’est de voter les lois, pas de rendre service”, pose-t-elle. Elle interroge le prévenu : “Ne devriez-vous pas vous abstenir de voter sur les dossiers de votre circonscription ?” Henri Jibrayel n’en démord pas : “Tous les élus font ça, c’est normal !”

“Un système mis en place à des fins électorales”

“Dire que tout le monde fait ça, c’est un élément qui pour moi aggrave les choses car cela attaque le lien de confiance”, assène Gilles Gauer, avocat du département des Bouches-du-Rhône constitué partie civile. Pour le parquet, l’avocate générale Elisabeth Liard pointe quant à elle “un système mis en place par Henri Jibrayel pour déroger à un fonctionnement associatif à des fins politiciennes, électoralistes donc à des fins personnelles”. Elle souligne “l’omniprésence d’Henri Jibrayel dans le fonctionnement des associations” et la relation commerciale “anormale” avec la SNCM avec des prix d’amis explicables par “l’influence de l’élu”.

Sa conclusion est sans surprise : elle demande à la cour d’appel de confirmer la condamnation. Et sollicite l’aggravation de la peine : 30 mois dont 15 avec sursis, qui pourraient être aménagés sous forme de détention à domicile avec une surveillance électronique, 20 000 euros d’amende et cinq ans de privation des droits civils et civiques.

En défense, Jorge Mendes-Constante tente de conjuguer réprobation morale et absence d’infraction. “C’est comme ça qu’on fait de la politique localement. C’est comme ça, on peut tous le regretter mais la loi le permet. Concernant la gestion de fait des associations qui sert de base à l’abus de confiance, il n’y a pas une signature, pas un paiement, pas un contrat signé, pas de décision explicite exigée par la jurisprudence”, argumente-t-il. On connaîtra la réponse du tribunal le 23 mai. En cas de condamnation, Henri Jibrayel a déjà annoncé qu’il se pourvoirait en cassation.

Une autre affaire jugée en parallèle
La justice avait choisi de grouper les affaires Jibrayel. En préambule du dossier des mini-croisières, l’ex-député a dû répondre de l’usage dévoyé de son enveloppe de frais de mandat : 13 000 euros auraient servi à acquérir une voiture et jouer au casino. L’avocate générale Elisabeth Liard a réclamé un an et demi de prison dont un an avec sursis. L’élu jure qu’en réalité, c’étaient des fonds personnels qui étaient ainsi dépensés.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    L’argument des zélus en général et locaux en particulier de” non enrichissement personnel ” est innaceptable et insupportable.
    Grâce au clientelisme alimenté par les faveurs, avantages,gentillesses octroyés sur les fonds du département entre autres,ces zélus se font élire et arrivent à vivre confortablement et même plus durant des décennies. D’où cette liste a rallonge de politiciens professionnels qui vivent sur la bête et dont la situation financière est bien plus confortable à la fin qu’au début de leurs mandats.
    Tout cela pour dire que cumuls et limitation du nombre de mandats sont à remettre sur la table.
    Quand certains élus arrivent à cumuler 15 mandats sous des formes diverses,cela est hallucinant.

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  2. Dark Vador Dark Vador

    Elections municipales de 2014. Je militais pour Madame Carlotti. Un rassemblement était organisé au palais Longchamp, il faisait chaud, nous avons tous pris un rafraîchissement au grand bar face au palais. Devant moi, face au serveur, M. Jibrayel, théâtralement, a payé en exhibant une épaisse liasse de billets… Des fonds personnels sans doute…

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  3. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Oh c’est trop dur ce qui lui arrive. Lui qui n’a fait que grenouiller dans le système pendant 40 ans pour se faire la vie belle comme ses copains, sans jamais rien apporter à la collectivité ou aux citoyens, ça doit être insupportable.

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  4. vékiya vékiya

    peuchère

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  5. Piou Piou

    “Les colis de Noël, les fleurs pour la journée des femmes, les couronnes pour les enterrements, c’est le conseiller général qui offre avec les moyens du département” : je ne comprends pas l’argument de Me Mendes-Constante, il dit ça pour enfoncer son client ? En raccourci : c’est le contribuable départemental qui paye toutes les largesses offertes “par” les élus…

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  6. Manipulite Manipulite

    “Le rôle d’un élu c’est de voter les lois, pas de rendre service”. Merci à la présidente pour ce moment d’humour involontaire. Les fonctions d’un élu local ne sont pas très connues de la magistrate. Encore moins le système clientéliste dans l’écosystème méditerranéen.
    La magistrature voit la souris mais pas les éléphants.
    Si cette affaire doit servir d’exemple, pourquoi pas.
    Au fait, JN Guerini, toujours sénateur ?

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      JN Guerini est toujours sénateur , il s’est abstenu lors du vote de la loi sur les retraites

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  7. Thierry A Thierry A

    Cela me rappelle l’entre deux tours des élections législatives de 2017: le député (on a oublié son nom) qui allait être sorti par Mélenchon disait que ce dernier n’avait pas de réseau à Marseille et qu’il ne pourrait rien faire, c’est à dire, ne pourrait pas rendre service. C’est leur fonctionnement, il ne sont pas conscients que l’on puisse le leur reprocher. Aucun recul: adaptés à la magouille, au clientélisme et à rien d’autre.

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  8. Jack Jack

    L’avocat de Jibrayel est aussi celui de la ville de Marseille pour la taxe foncière . Tout ce petit monde …

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Et son argumentaire est assez bancal… ça laisse augurer du pire pour la question de la TF. Si j’étais maire de Marseille je changerais d’avocat, quitte à en prendre un qui n’a pas sa carte au PS

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