Sylvie Goulard : "Les Français voient l'Europe comme la France en plus grand"

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le 20 Mai 2014
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Sylvie Goulard : "Les Français voient l'Europe comme la France en plus grand"
Sylvie Goulard : "Les Français voient l'Europe comme la France en plus grand"

Sylvie Goulard : "Les Français voient l'Europe comme la France en plus grand"

Marsactu : faire campagne dans une circonscription immense en quelques semaines, est-ce le bon moyen de parler de l'Europe?

La question m'amuse toujours car ce ne sont pas les députés européens qui font la loi électorale. Vous devriez poser la question aux députés nationaux. Je prends le scrutin comme il est. Il a des avantages et des inconvénients. On a quand même l'avantage d'avoir un territoire. Le système n'est pas parfait mais il peut rapprocher les gens de l'Europe. Mais êtes-vous prêt à me suivre pendant toute la mandature ? Car la campagne a beau être courte, l'information ne peut pas se limiter aux élections. Si on rend bien compte de ce qui se passe au parlement – même pour le critiquer – on arrivera aux élections avec un autre état d'esprit. 

Vous dites souvent qu'il n'y a pas de majorité au parlement au soir de l'élection. Est-ce pour cela que vous avez voté plus souvent comme les Verts ou les socialistes plutôt que comme vos partenaires de l'UMP ?

Je crois que la démocratie européenne est beaucoup plus adulte. Sans renier nos convictions, on essaie de se mettre d'accord en fonction du bien commun. Si elles sont portées par plus de monde, cela évite qu'elles soient défaites lors de la mandature suivante. Ce qui se passe en France est à ce titre assez puéril. Je ne considère pas que mes adversaires sont idiots parce qu'ils sont dans un autre parti, en tout cas les partis modérés : le parti populaire européen [auquel est affilié l'UMP, ndlr], le parti socialiste, les Verts et nous. Les gens comme Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan essaient de faire croire que c'est malsain. Ce n'est pas le cas. J'ai rencontré des pêcheurs à la Seyne qui m'ont dit qu'ils en avaient marre de voir que les élus d'une collectivité ne travaillent pas avec un autre parce qu'ils ne sont pas de la même couleur. Je suis très fière d'avoir fait partie d'un parlement qui a été capable de bâtir une forme de pont entre nous, peut-être plus que lors de la mandature précédente.

Concernant notre groupe nous avons plutôt voté avec le Parti populaire européen sur l'assainissement budgétaire, sur l'euro, la compétitivité… En revanche, sur les questions de discrimination, de pluralisme des médias ou de défense des libertés publiques nous avons voté avec la gauche. Pour mémoire, le premier ministre de Hongrie, Viktor Orban, fait partie du PPE. Avec les Verts, c'est un peu plus étrange vu de France. Au niveau européen, ils ont un positionnement plus libéral qu'en France où ils sont plus à gauche. Nous avons créé un groupe commun avec Dany Cohn-Bendit qui est un ami. Il y a des restes de réflexe national et parfois cela peut se justifier mais nous avons un parlement qui fonctionne à partir des sensibilités politiques sans que cela soit l'affrontement.

Mais pourquoi l'Union européenne continue d'avoir cette image non démocratique dans l'opinion?

Un dicton dit : "On ne demande pas à la dinde de préparer Noël". La classe politique nationale, particulièrement en France, refuse le changement d'échelle. Les gens sont prisonniers du schéma de la Ve république, avec le président auréolé de sa légitimité politique directe. C'est plutôt un obstacle au jeu collectif européen. Notre conception du pouvoir ne nous rend pas forcément compatible avec le système parlementaire contrairement à d'autres pays. Vous avez aussi une question d'investissement. Beaucoup de collègues français ne travaillent pas assez. Ils ne prennent pas le Parlement au sérieux. Ce qui me désole c'est de voir l'influence de notre pays gaspillée par des gens qui sont sans scrupules. Les Français ont tendance à voir l'Europe comme la France en grand. Dans le débat européen en France, on promet des choses qui ne sont pas compatibles avec la vision des autres. Par exemple, la concurrence est connotée de manière très négative alors que la Commission européenne a pour but d'encadrer la concurrence. Autre exemple, les Français sont très attachés à la politique industrielle alors que cela n'existe pas en Allemagne au niveau fédéral mais plutôt au niveau des Länder. 

Mais quelle est votre position sur la SNCM dont la survie est suspendue au paiement de deux amendes européennes infligées à la France au nom du respect de la libre concurrence ?

Je ne connais pas le détail du dossier. Mais, par rapport à la politique de la concurrence, nous avons en France une mauvaise méthode. Les responsables français ont tendance à dire "on s'arrangera avec Bruxelles" sans travailler la question. Ensuite la Commission prend une décision qui ne nous plaît pas et on la voue aux gémonies. C'est une question vitale pour la Corse. J'y étais dernièrement. Tous les chefs d'entreprise parlent de cela : de la régularité du transports pour les hommes comme pour les marchandises. C'est un élément important. Mais je ne dirais jamais qu'il faut s'affranchir des règles européennes. Quand un pays se met à faire des grandes déclarations sur l'irrespect des traités, que va faire le commissaire en charge ? Il va se raidir car c'est son autorité qui est en jeu. 

Pour revenir à votre activité de parlementaire, certains de vos votes surprennent. Vous n'avez pas voté l'allongement du congé maternité. Pourquoi ? 

Je suis très pro-européenne et c'est pour cela que je pense que l'Europe doit se concentrer sur des compétences dont elle a la charge. Je ne veux pas multiplier les résolutions qui sont des vœux pieux. Après on reproche à l'Europe de faire des législations farfelues. Là, cela relève de la prérogative des Etats. J'ai considéré que le contexte dans lequel cette résolution non législative était prise était démagogique. On essayait de tromper les femmes avec un attrape-nigauds.

D'un autre côté, vous avez voté une résolution sur la sortie du nucléaire. C'est une compétence européenne ?

Ici, le contexte compte beaucoup. Il y a des rapporteurs qui sont démagogues et d'autres pas. Pour un pays comme la France qui a tendance à se glorifier de son nucléaire sans se préoccuper de ses déchets, donner un petit signal n'était pas si mal. Il y a des gens qui appuient sur les boutons en fonction de ce qu'on leur dit. C'est leur problème. J'essaie de voter en mon âme et conscience.

Il n'y a pas de discipline de groupe ?

C'est important de conserver une cohérence de groupe. Sinon le collègue qui négocie sur un rapport se retrouve sans soutien. Ensuite, il y a trop d'hétérogénéité culturelle et de situation pour qu'on puisse agir tous de la même façon. Mais nous faisons des lois pour 500 millions d'Européens. Tout voir sous l'angle national, ce n'est pas remplir le mandat pour lequel on est élu. Si je veux faire une bonne législation, je suis obligée de tenir compte des intérêts des autres, sinon ils ne tiendront pas compte des miens. C'est un jeu politique. La ligne nationale stricto sensu, je ne l'ai jamais suivie. Je fais plus confiance aux êtres humains qu'à une ligne politique initiée par un caporal chef. Même si, sur les sujets industriels ou environnementaux comme le nucléaire, on est marqué par le pays dans lequel on a grandi.

Dans cette élection, tous les partis appellent de leurs voeux une évolution de l'Europe. Vers où doit-elle aller ?

C'est la vie politique, de vouloir changer les choses. On ne va pas là-bas pour faire du tricot. C'est la même chose pour une élection nationale. La seule différence, c'est qu'il y a là des gens qui souhaitent la destruction du cadre dans lequel on a construit des relations de paix et de stabilité avec nos voisins depuis 70 ans. Ils le font à la légère sans rien proposer de sérieux. Par exemple, les programmes qui demandent la sortie de l'euro sont mensongers et je peux vous en faire la démonstration en terme de coûts. 

Vous défendez l'idée d'un nouvel espace démocratique sur la base de la zone euro. Est-ce une bonne idée alors que l'euro est tant décrié ?

C'est une proposition issue d'un groupe pluraliste que j'ai créé. Ce n'est pas un élément de campagne. Je ne me l'approprie pas mais je le revendique tout à fait. L'euro nous a apporté des avantages notamment dans la crise financière. On a fait l'euro parce qu'en mettant en commun toute une partie de nos échanges, nous nous mettions à l'abri des taux de change, tout en se dotant d'un outil de puissance mondiale. Est-ce effrayant alors que 25% des réserves des banques centrales sont en euros ?

Qu'est-ce qui n'a pas marché ? Nous avons une monnaie fédérale alors que chaque pays conserve ses prérogatives en matière économique et sociale. Ils devaient être co-responsable de la monnaie et ne l'ont pas été. Nous avons besoin d'un autre cadre démocratique qui s'emboîte dans le cadre de l'union monétaire. Une partie du parlement européen pourrait prendre des décisions pour la zone euro. Au moment du vote, les autres ne participeraient pas. Si la Pologne change de statut, on n'a pas à changer d'institution, à rajouter des chaises autour de la table. C'est une solution pragmatique. Il y a des pays qui sont entrés dans la zone euro depuis la crise. Pourquoi la Lettonie l'a fait ? Ils ont fait un choix politique. Ils ont une forte minorité russe. Il y a six mois, personne n'en parlait mais l'euro peut être un espace protecteur. 

Vous avez travaillé à la commission européenne auprès de Romano Prodi avant de devenir député. Comment celle-ci doit évoluer pour devenir un instrument plus démocratique ?

La Commission ne fait pas ce qu'elle veut. Elle travaille dans le cadre de traités. Si elle va au-delà des prérogatives, vous pouvez aller en tant qu'Etat ou particulier devant la cour européenne de justice. Il est arrivé qu'elle se fasse taper sur les doigts. Quand elle est nommée, il existe une procédure dont j'aimerais qu'elle existe en France pour nos ministres. Chacun des commissaires est soumis à une audition devant le parlement qui est plus proche de ce qui se passe au Congrès des Etats-Unis. En France, nous avons eu des gens qui étaient dans le conflit d'intérêt, qui était totalement incompétents et qui étaient ministres. C'est l'arbitraire du prince. Ce qui se passe au parlement n'est pas parfait, mais les commissaires passent trois heures sur le gril à être interrogés sur leur carrière, sur de possibles conflits d'intérêts. Certains candidats ont été recalés. D'autre part, la Commission travaille sous le contrôle du Parlement. Nous pouvons faire venir les candidats quand nous voulons devant les commissions [parlementaires]. Sur la Troïka, la commission à laquelle j'appartiens a convoqué plusieurs fois les commissaires concernés. Le président de la Banque centrale européenne vient tous les trois mois devant le Parlement. Malheureusement, la presse ne le dit pas : ces institutions ne sont pas suspendues dans le vide. D'autre part, dès cette élection, chaque parti va proposer un candidat à la présidence de la commission, c'est très nouveau. C'est une étape décisive.

Pensez vous que cela parle aux gens alors qu'ils ont l'impression que l'Europe les met en concurrence comme on l'a vu au sujet des travailleurs détachés ?

Détrompez-vous. J'ai rencontré des chefs d'entreprise dernièrement. La première chose qui les préoccupe, c'est l'accès au crédit. Or, ce sont eux qui créent les emplois. Si vous n'avez pas d'investissement, vous n'avez pas d'emplois. Ce n'est peut-être pas sexy mais c'est un changement majeur.

La fédération du bâtiment, ici, a fait une campagne il y a quelques mois sur le dumping social et les abus des travailleurs détachés. Ce sont les mêmes patrons…

Je n'étais pas dans la commission sociale. Je peux vous dire que Marine Le Pen qui y siégeait et crie aujourd'hui au scandale n'a pas mené la bataille dans cette commission. Nous avons un principe de liberté dont nos entreprises bénéficient. Il y a entre 150 et 200 000 Français qui travaillent à l'extérieur. Il y a des gens qui voient arriver des gens ici et d'autres qui partent pour des travaux peut-être plus sophistiqués à l'étranger. Je veux bien admettre qu'il y a des abus que nous avons essayé de corriger avec cette directive. Il y a une autre dimension que les Français ne veulent pas voir : s'il y a des travailleurs détachés dans notre pays, c'est que les charges sociales y sont très supérieures à ce qui se passe dans d'autres pays européens.

A quand l'harmonisation ?

La solution, ce n'est pas l'harmonisation. En France, 56% de notre PIB est consacré à de la dépense publique. A part le Danemark, tous nos compétiteurs sont à des taux beaucoup plus bas. Or, on ne peut pas dire que l'Allemagne, l'Italie sont des pays sans services publics. Pourquoi a-t-on besoin de pomper autant d'argent dans l'économie pour financer des dépenses non productives ? Nous avons besoin d'une réforme de la sécurité sociale, des collectivités locales – et je salue le gouvernement qui s'y attaque. Il faut balayer devant sa porte.

Il n'y a pas nécessité à construire une Europe sociale ?

Je ne suis pas pour une harmonisation mais pour une convergence. Il y a peut-être eu des abus dans la libre circulation mais nous avons essayé de les corriger. Cela relève parfois d'une véritable traite des travailleurs comme il y a chez nous du travail au noir et des ateliers clandestins.

Vous faites campagne sur l'Europe et on vous parle de la France, n'est-ce pas une des difficultés ?

Oui. C'est un des problèmes de cette élection. Mais l'Union européenne n'est pas une boîte noire. Il y a un vrai effort de transparence. Vous pourrez assister aux auditions de tous les commissaires européens au parlement dans toutes les langues de l'Union. Les réunions des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat ne sont pas accessibles. Pourquoi a-t-on besoin de nous chercher des poux ? Les gens pensent que parce qu'ils voient leur député lors de la séance des questions au gouvernement qui tient du guignol absolu, ils savent ce que font leurs députés. Notre travail n'est pas à la portée de tout le monde, certes, mais les outils pour le contrôler existent. Je veux bien prendre une part des critiques comme on prend un paquet d'embruns en mer mais que les autres en prennent aussi. 

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Commentaires

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  1. anonyme anonyme

    la parachutée dans toute sa splendeur comme peillon, ils se souviennent qu’ils sont né à Marseille pour justifier leur parachutage

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  2. JL41 JL41

    Superbe interview, merci à Benoît Gilles. Je n’ai jamais appris autant de choses d’un seul coup sur le fonctionnement des institutions européennes. Nous en aurions d’autres des élus comme ça en région marseillaise, que ce serait bien ! Sylvie Goulard n’a pas non plus sa langue dans la poche, bien qu’elle s’exprime tout en finesse.
    Question au passage, un nom se trouve dans la photo qui illustre l’article : Mariama Hassani. C’est la photographe ou quoi d’autre ?
    Tout est intéressant, même si je reviens surtout à cette affaire des travailleurs étrangers mal payés qui viennent faire concurrence aux salariés français des entreprises du BTP, question qui reste d’ailleurs posée, ne serait-ce que pour avoir des informations un peu plus précises sur le sujet. Elles manquaient dans les articles de Marsactu.
    Sylvie Goulard apporte des éclairages auxquels nous ne pensions pas, tellement nous sommes autocentrés. « Il y a entre 150 et 200 000 Français qui travaillent à l’extérieur ». « Il y a une autre dimension que les Français ne veulent pas voir : s’il y a des travailleurs détachés dans notre pays, c’est que les charges sociales y sont très supérieures à ce qui se passe dans d’autres pays européens. »
    Sur l’efficience des institutions et de notre économie : « En France, 56% de notre PIB est consacré à de la dépense publique. A part le Danemark, tous nos compétiteurs sont à des taux beaucoup plus bas. Or, on ne peut pas dire que l’Allemagne, l’Italie sont des pays sans services publics. Pourquoi a-t-on besoin de pomper autant d’argent dans l’économie pour financer des dépenses non productives ? »
    Sur le contrôle des institutions : « En France, nous avons eu des gens qui étaient dans le conflit d’intérêt, qui était totalement incompétents et qui étaient ministres. C’est l’arbitraire du prince. Ce qui se passe au parlement n’est pas parfait, mais les commissaires passent trois heures sur le gril à être interrogés sur leur carrière, sur de possibles conflits d’intérêts. Certains candidats ont été recalés. D’autre part, la Commission travaille sous le contrôle du Parlement. Nous pouvons faire venir les candidats quand nous voulons devant les commissions [parlementaires]. »

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  3. hommedesbois hommedesbois

    Les libéraux souhaitent la disparition, ou du moins une forte diminution des services publics, pourtant indispensables au bon fonctionnement du pays et gages d’une égalité de traitement pour tous les citoyens.
    Mme Goulard semble regretter que 56% de notre PIB soit consacré à la dépense publique, alors que nos voisins européens sont à des taux beaucoup plus bas. Il est certes difficile de détailler ce que représentent ces 56% en quelques lignes mais selon le Rapport sur la dépense publique et son évolution, en 2011 les prestations sociales représentaient 45 % de la dépense publique et la masse salariale 23%.
    Est-ce vraiment le rôle d’un député européen de dénoncer la part du PIB consacrée aux fonctionnements des services publics de notre pays, en ayant l’ambition de les diminuer fortement ?
    Pour réduire la dépense publique, il serait peut-être plus judicieux de commencer par nous proposer des solutions efficaces concernant nos chers élus et permettant de réduire leurs indemnités parlementaires, frais de mandats, crédits affectés à la rémunération des collaborateurs, et ce, sans oublier d’inclure tous les avantages dont ils bénéficient et de réformer sérieusement leurs régimes de retraite.

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