Sous la vierge de Tour-Sainte, un tiers-lieu culturel en gestation

Échappée
le 3 Fév 2024
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Au pied du massif de l’Étoile, une ancienne chapelle désacralisée se transforme en tiers-lieu, qui mêle l'hébergement social et l'action culturelle à destination des quartiers voisins.

La cour de l
La cour de l'ancienne chapelle de Tour-sainte. Photo : B.G.

La cour de l'ancienne chapelle de Tour-sainte. Photo : B.G.

Elle se pose comme un signal au pied du massif de l’Étoile, installée sur une tour octogonale, les bras écartés. Cette vierge de pierre ressemble à son alter ego dorée qui, dans le lointain déploie son symbole protecteur, au creux de la baie qui s’offre ici en majesté. Tout le monde ne connaît pas cette Tour-Sainte, dans les détails de son histoire et de son actualité, si ce n’est qu’elle donne son nom à l’établissement scolaire privé voisin.

Elle est un vestige du temps des bastides où les grandes familles de négociants régnaient sur les quartiers Nord, terres agricoles et de villégiature. Elle vit aussi un tournant très moderne. Derrière le nom un peu prétentieux de tiers-lieu, l’ancienne chapelle désacralisée accueille désormais un projet culturel ambitieux qui prend le nom d'”Ensemble artistique Tour-Sainte”, de deux choses lune.

Le grand vitrail présente en fronton une représentation de la tour octogonale. Photo : B.G.

Sandra Bullock au repas

Son coordinateur, Mami Timricht, doit signer le contrat qui l’installe à ce poste “dans les jours qui viennent“, promet-il. En attendant, cela fait déjà plusieurs mois qu’il est l’hôte principal de ce bel espace, installé à la frange des grands ensembles de Saint-Joseph, de la colline toute proche et des anciens terrains bastidaires qui affleurent encore. Ce jeudi, il reçoit ses voisins du Mascaret, pour un repas pris en commun sous l’ancienne nef. Des tentures tendues offrent un cocon chaleureux. Le repas est rythmé avec un film projeté sur grand écran, pour la petite touche culturelle. Mais les aventures amazoniennes de Sandra Bullock ne passionnent guère les commensaux.

Ce qui compte ici, c’est le moment de partage entre travailleurs sociaux, personnes accueillies et invité du jour. La nourriture comme la culture offrent un moment d’horizontalité où les rôles s’estompent au profit du plaisir partagé. Depuis 2015 et la désacralisation de la chapelle, le presbytère accueille huit messieurs, sortis de la rue, et deux familles ukrainiennes, réfugiées là depuis le début de la guerre. “Officiellement, elles ne vivent pas là, sourit Cécile Suffren, la directrice d’Habitat alternatif social (HAS), la structure d’accueil. Mais cela fait partie de notre démarche militante d’accueillir d’abord les personnes dans le besoin“.

Hébergement et action culturelle

Comme Coco Velten pendant un temps, le projet culturel de Tour-Sainte mélange l’hébergement et le travail social à la démarche culturelle. “En récupérant les lieux auprès des frères lazaristes qui l’occupaient, l’intention de notre directeur d’alors, Éric Kérimel, était déjà de faire une place importante à la culture, comme vecteur de fraternité et d’humanité, raconte l’actuelle directrice. Comme beaucoup de congrégations religieuses, les lazaristes avaient beaucoup de patrimoine et peu de forces vives pour le maintenir“. Le secours catholique, Culture à l’hôpital, HAS et les frères lazaristes s’associent alors pour créer l’association support qui, peu à peu, étoffe ses actions.

L’enfant blond serait un ancêtre de la famille Germain qui a hérité du domaine d’Amédée Armand. (Photo : B.G.)

Mami Timricht est désormais le maître des lieux. Il assure la visite patrimoniale, passe par des coursives couvertes de fresques religieuses. Si la plupart d’entre elles datent du milieu du XXe siècle, l’une d’elles est le dernier vestige de l’édification du lieu, un siècle plus tôt. “Des descendantes de la famille Armand qui étaient en visite un jour m’ont raconté que le petit garçon blond qu’on voit au premier plan est une représentation de leur ancêtre d’alors“, raconte ce natif des quartiers Nord.

Sanctuaire familial

En fond de nef, une petite chapelle classée abrite une seconde statue de la vierge, au cœur de la bâtisse octogonale qui sert de clocher. Le lieu a été bâti par Amédée Armand, riche négociant, fondateur des mines de Gardanne, dont l’épouse souhaitait placer son domaine sous la protection de la vierge. “Le sanctuaire étant trop petit, elle a fait ensuite ajouter la chapelle et le presbytère dont elle a confié la gestion aux lazaristes“, explique le coordinateur de projet. Il emprunte un escalier qui ouvre sur un jardin et des prairies.

Au fond, on devine les hautes futaies de platanes majestueux qui mènent jusqu’à la bastide occupée par les héritiers du domaine. Mami Timricht est actuellement en pourparlers avec l’actuel propriétaire pour récupérer quelques mètres carrés supplémentaires et ajouter un peu d’agriculture au projet culturel. “Cela fait partie du potentiel du lieu”, reconnaît Sébastien Barles. L’adjoint au maire (EELV) à la transition écologique a fait voter une première subvention de 40 000 euros en octobre dernier pour soutenir le projet. “Dans un premier temps, nous avons choisi d’accompagner ce lieu pour qu’il rayonne sur les quartiers populaires qui l’environnent, détaille l’élu. Nous avons besoin de ce type d’espaces où les gens pourront demain s’initier à la musique et aux arts, mais aussi découvrir le théâtre“.

La nef conserve la majesté de l’ancienne chapelle. Photo : B.G.

Refaire le lien

Enfant du quartier, Mami Timricht connaît l’étendue du défi qu’il doit relever. “Transformer une ancienne église, certes désacralisée, en lieu culturel dans un quartier où les voisins sont majoritairement musulmans, rien n’est simple, en apparence“, énumère-t-il en souriant. Patiemment, l’ancien éducateur spécialisé tisse des relations avec les centres sociaux voisins pour inciter les habitants à s’approprier les lieux. “On tient beaucoup à instituer une forme de gouvernance partagée, insiste-t-il. Ce lieu sera aussi ce que les habitants choisiront d’en faire“.

Le coordinateur rêve d’en faire un conservatoire de musique pour les habitants voisins : “Pour ça, nous avons besoin d’instruments, mais aussi de musiciens prêts à partager leurs pratiques“. Déjà, un prof de théâtre propose des cours d’impro. Des séances de cinéma prennent place sous la nef. De l’aide aux devoirs en lien avec le club de rugby de Saint-Joseph a lieu les mercredis. “Tout cela commence à faire une bonne ratatouille”, sourit le coordinateur. En mars prochain, Mediavivant doit y représenter son article en scène consacré à la marche pour l’égalité de 1983. “Cela a du sens parce que c’est une initiative qui est partie des quartiers de la Busserine et des Flamants“, poursuit Mami Timricht.

Mami Timricht devant l’entrée de l’ancienne chapelle. Photo : B.G.

De la Paternelle à Saint-Joseph

Lui a grandi à la Paternelle, le petit quartier coloré qui fait face au marché des Arnavaux. Les multiples assassinats liés au narcotrafic de l’an dernier ont brusquement fait basculer ce quartier au premier plan de l’actualité. “Moi, j’ai surtout le souvenir de la cité provisoire de mon enfance, se souvient Mami. On ne formait qu’une seule famille. Les appartements étaient minuscules et vétustes, mais cela nous obligeait à avoir une vie sociale, à l’extérieur“. Oranais, kabyles, chaouis, gitans se mêlent et vivent ensemble malgré le dénuement.

Mami Timricht découvre l’animation au centre social du coin. “C‘était un tiers-lieu qui ne s’appelait pas comme ça“, constate-t-il. Le quartier lui sert de tremplin pour se former à l’éducation spécialisée. En trente ans de carrière et autant de militantisme tout-terrain, il a connu les hauts et les bas du travail social. Il sait la difficulté à recoudre du lien, dans des quartiers qui se replient toujours plus sur eux-mêmes. “Je rêve d’un lieu qui soit un conservatoire à l’usage des quartiers, un lieu de diffusion et de partage, sourit Mami. Parce qu’au final, c’est à ça que sert la culture“.

Ancienne église désacralisée de Tour-Sainte. 14 avenue de Tour-Sainte 13014. collectiftoursainte@gmail.com Mami Timricht : 06 15 01 26 36.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Belle initiative, un projet positif à soutenir. Il faut croire à l’impossible.

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