Bras armé de la politique immobilière de la Ville, la Sogima a des crampes sociales

Actualité
le 7 Avr 2017
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Gestionnaire de près de 7000 logements et 100 000 m² de bureaux, la Sogima prépare un plan de départs volontaires touchant un quart des effectifs. Les syndicats dénoncent la responsabilité des actionnaires, dont la Ville de Marseille, qui a touché 150 millions d'euros en dix ans en lui vendant du patrimoine.

Rassemblement du personnel devant le siège de la Sogima, place du 4 septembre.
Rassemblement du personnel devant le siège de la Sogima, place du 4 septembre.

Rassemblement du personnel devant le siège de la Sogima, place du 4 septembre.

Douche froide à la Sogima, société d’économie mixte de la Ville de Marseille. Lundi, la direction a présenté au comité d’entreprise un plan de 40 suppressions de postes, un quart des effectifs, dans le cadre d’un plan de départ volontaire, justifiée par la situation économique de l’entreprise. “Cela fait des années que l’on entend dire que l’on perd beaucoup d’argent, mais on ne s’attendait pas à une telle saignée”, s’étonne Jérôme Aubert, délégué CGT, au sortir d’une assemblée générale ce jeudi. Un appel à la grève est lancé ce vendredi. “Nous allons demander à être reçus par la direction. La Ville, ce sera peut-être la prochaine étape”, ajoute-t-il.

Le cadre de ces déclarations, la façade flambant neuve du siège de la Sogima, qu’elle a elle-même bâti, contraste avec l’état de la société. En 2014, le patron de l’époque Pierre Ciccotto et le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin inauguraient l’opération Tasso, à deux pas de la place du 4 septembre. Pensée en étroite collaboration avec la Ville de Marseille, le programme mêlait un stade, 400 places de parking, un supermarché, des logements, une micro-crèche et 2400 m² de bureaux, où la Sogima s’est installée.

Silence de la mairie

Actionnaire à 44 % de la Sogima aux côtés d’Habitat en région services (HRS, groupe Banque populaire-Caisse d’épargne), la collectivité se refuse pourtant à tout commentaire. Selon nos informations les cinq élus représentants la ville de Marseille au conseil de surveillance – dont trois de la majorité municipale – n’ont pas tiqué lors de la présentation du plan, mardi. Pendant ce temps, deux membres, le président d’honneur Jean Fonkenell et l’ancien directeur général Jean-François Bouzat, annonçaient leur démission. Nous n’avons pas réussi à les joindre pour savoir si leur geste était directement lié à l’annonce des suppressions de postes. Contacté par nos soins, le représentant de l’opposition socialiste Rébia Benarioua assure être pour sa part “opposé aux départs”.

Les difficultés de la Sogima ne sont pas nouvelles. En 2013, un rapport de la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos) constatait “un niveau d’endettement et un coût de fonctionnement élevés” et alertait : Cette situation nécessite un examen attentif de la part des deux actionnaires afin que soient rapidement prises les mesures indispensables au redressement de l’organisme.”

“Volontaires désignés”

Représentant du comité d’entreprise au conseil de surveillance Yhya El Sabahy (CFTC) est toutefois surpris de l’ampleur du plan de départs – il tablait sur “dix ou quinze” – et relève qu’“une dizaine de membres du comité d’entreprise, dont les quatre délégués syndicaux sont virés… Si ce n’est pas un symbole !”

En réalité, la Sogima ne licenciera personne puisqu’il s’agit d’un plan de départs volontaires. Mais en examinant les catégories de personnels précisés dans l’appel à candidats, les syndicats ont l’impression qu’il y a des “volontaires désignés”. “Il n’y a pas de noms, mais à 90 % on peut deviner de qui il s’agit”, assure Jérôme Aubert.

“Il n’y a pas de délégués du personnel ciblés, cela correspond à une nouvelle organisation”, conteste Pierre-Édouard Berger, président du directoire. Il précise que celle-ci a été établie sur la base d’un audit externe qui a souligné des “dysfonctionnements”, dont des “catégories de postes en sur-effectif”. Pour lui, il s’agit de “donner un nouveau souffle économique à la Sogima et de replacer le client au cœur de notre activité avec un plan de travaux important, une agence [unique au siège] qui les accueille 5 jours par semaine au lieu de deux demi-journées [dans deux agences territoriales].”

“En tant que représentante des locataires, je me dis que c’est positif que la Sogima essaie de se redresser et qu’elle se recentre sur la proximité et les locataires”, réagit Louise Navarro, de l’association de défense des locataires de la Sogima (ADDLS). Au-delà de la volonté affichée du plan, difficile pourtant d’imaginer un service amélioré avec un quart de postes en moins… “On rationalise un certain nombre de choses, avance Pierre-Édouard Berger. Par rapport au reste de la profession, nous sommes en sureffectif si l’on regarde notre nombre de logements.”

La régie technique, fin d’une exception

Parmi les postes supprimés, on trouve la totalité des 18 employés de la régie technique (chauffagistes, plombiers, jardiniers). “On est probablement un des derniers établissements à avoir une régie. Ce qui prouve bien que ce n’est pas efficient”, justifie Pierre-Édouard Berger. Ce qui explique aussi une partie du sureffectif constaté.

“Gérer les chaudières ce n’est pas notre métier, on fera appel à des sociétés spécialisées, reprend-il. On espère qu’il y aura des opportunités pour les collaborateurs de la Sogima dans ces entreprises qui correspondent à leur métier et où ils auront des perspectives d’évolution.”

Chez les intéressés, c’est l’incompréhension. “Quelles économies vont-ils faire alors qu’on ne coûte rien puisqu’une bonne partie est récupérable sur les charges ?” Quant à Louise Navarro, elle trouve là matière à nuancer son avis plutôt positif : “Je me demande comment vont être faites les réparations, si cela ne va pas coûter plus cher et quel va être le résultat.”

“Je peux en témoigner. Mon groupe HLM a été vendu en 2014 à Promologis, complète Pascal Caserta, président de l’ADDLS. Aujourd’hui le service est déplorable. Ce sont des entreprises [choisies] au moins-disant, pas de rapports humains, peu de compétences, interventions très longues, il faut appeler des plates-formes situées très loin du lieu du problème, nous avons des difficultés pour résoudre des problèmes mineurs du fait de la multiplicité des intervenants.”

Le poids de la dette

Pour l’association comme pour les syndicats, les difficultés remontent à 2007 et au rachat pour 130 millions d’euros de 2600 logements construits en 1932 par la Sogima pour le compte de la Ville de Marseille, qui aurait dû en devenir propriétaire en 2017. En clair, selon la fameuse convention 32, fondatrice de la SEM, la Sogima construisait et gérait pour la Ville, propriétaire des terrains et des logements pour faire face à la crise. Celle-ci devait récupérer la gestion au bout d’une longue période. Plutôt que de se retrouver avec ce patrimoine sur les bras, la Ville choisit de laisser ce patrimoine à la Sogima qui, bonne fille, rachète les biens qu’elle avait en gestion depuis des lustres.

Or, si la Ville et son associé privé HRS ont apporté 27,5 millions d’euros en augmentation de capital, l’opération a nécessité un emprunt de 98 millions. “La Sogima s’est plantée et les comptes n’ont jamais pu être redressés”, résume Louise Navarro de l’association de locataires. En 2013, la Sogima a de nouveau versé 20 millions d’euros à la Ville, cette fois-ci pour 700 logements de 1975 (lire notre article).

“On paie les erreurs de l’ancienne direction [Pierre Ciccoto et Laurent Orsini, ndlr]”, abonde Jérôme Laurent de la CGT. Le communiqué de son syndicat cible lui directement “les deux actionnaires [qui] y ont trouvé leur compte”. D’un côté, la Ville de Marseille a empoché 130 millions d’euros en se séparant d’un patrimoine qu’elle n’avait pas vocation à gérer et qui nécessitent beaucoup d’entretien. De l’autre, la Sogima a souscrit l’emprunt auprès du Crédit Foncier, un établissement du groupe Banque populaire-Caisse d’épargne.

“Aujourd’hui, alors que notre section syndicale à alerté depuis deux ans les actionnaires du besoin vital pour la Sogima, que le prêt pour le rachat soit renégocié à des taux actuels, les dirigeants et actionnaires nous répondent que “ce n’est pas possible”, dénonce la CGT. Difficile à avaler quand ces mêmes actionnaires sont en train de faire payer la note aux employés.”

La Ville ne remettra pas au pot

Loin de charger ses prédécesseurs, Pierre-Édouard Berger persiste : “Si la Sogima n’avait pas racheté les logements de la convention 32, elle n’existerait plus aujourd’hui. C’est ce qui nous a permis d’avoir un patrimoine de plus de 6000 logements. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. C’était de très bonnes négociations et le crédit est dans les conditions du moment.”

Reste que ces dernières années, pour maintenir ses comptes à flots, la Sogima a dû multiplier les ventes de patrimoine et développer une activité nouvelle de programmes en accession à la propriété. Loin du logement social. “Il est à noter que l’accession est fortement soumis à l’environnement économique et concurrentiel (niveau des taux d’emprunts, solvabilité des ménages aquéreurs, stratégie des promoteurs…)”, soulignait la Miilos dans son rapport.

Dans le plan présenté au conseil de surveillance, cette diversification est mise en sourdine au profit d’un effort de rénovation du parc existant de 108 millions d’euros sur 10 ans. Même s’il ne remet pas en cause les choix de ses prédécesseurs, l’actuel président du directoire change de stratégie. “Il y avait des choix à faire”, commente Pierre-Édouard Berger. Il ajoute que la Caisse d’épargne envisage de remettre 14 millions d’euros en capital, afin de limiter le frein mis aux nouveaux projets (et la casse sociale ?). “L’opération n’est pas arrêtée”, mais la Ville de Marseille “a priori n’y participera pas”. Elle verrait donc fondre sa part dans la Sogima, cette société dont le plan social ne mérite pas de commentaire.

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Commentaires

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  1. VitroPhil VitroPhil

    Un vrai cas d’école :
    – Gestion contrainte par les choix politiques de la ville.
    – Mélange des genre (Promoteur Immobilier / Logeur social)
    – Siège flambant neuf malgré les difficultés économiques.
    – Jetons de présence bien gratifié.
    – Externalisation des services par effet de mode.
    – Des représentants du personnel poussé vers la sortie.

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  2. corsaire vert corsaire vert

    Bien sûr, modèle de gestion à la mode : privatisation des services, suppressions d’emplois, dépenses pharaoniques et parachutes dorés pour les les rats qui quittent le navire !

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