Rue du Corbu, balade avec les fadas
Cet automne, à l'occasion des cinquante ans de la mort du Corbusier, Marsactu a souhaité arpenter les rues tamisées de la cité radieuse où, par automatisme, les voix se font plus feutrées. Franchir le seuil de quelques appartements sélectionnés un peu au hasard sur les 337 existants. À la rencontre de ceux qui vivent un quotidien ordinaire, dans un lieu qui l'est moins.
© EC
Derrière des échafaudages, La façade Est du Corbusier se refait une beauté. Sa restauration s’inscrit dans un vaste chantier d’une durée de trois ans, commencé au printemps dernier et représentant un coût de 4,6 millions d’euros. La façade Ouest a été restaurée avant l’incendie déclaré en février 2012. Les façades Sud, Nord, et les pilotis devraient être restaurés à l’horizon 2018-2019.
Édifiée au lendemain de la guerre, entre 1947 et 1951, l’unité d’habitation doit d’abord remplir une mission sociale, celle de reloger rapidement les gens qui ont perdu leur toit dans les bombardements. Mais Charles-Édouard Jeanneret alias Le Corbusier invente surtout un concept architectural, le “village vertical”. École, commerces, et surtout confort avant-gardiste pour l’époque : piste de footing sur le toit-terrasse, douche à l’italienne, eau chaude, étagères, placards intégrés, ascenseurs, etc. L’Amérique à Marseille, diront les plus émerveillés. Ou les plus pantois.
Aujourd’hui, les habitants semblent davantage se penser tels les dépositaires d’un héritage, celui de l’esprit communautaire. Mais ne faut-il pas être un brin artiste, parfois malgré soi, pour vivre dans un lieu classé monument historique ? Aspect renforcé, sans doute, depuis que le toit abrite le centre d’art contemporain, le Mamo, ouvert depuis juin 2013 après que son propriétaire, le designer marseillais Ora-ïto a racheté le gymnase en 2010. Certains habitants répondront que oui, d’autres que non. Car la richesse du Corbusier reste avant tout la diversité de ses habitants, des fadas bien ordinaires.
Michèlle Monnier, 73 ans, appartement 507
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Installée dans la cité radieuse depuis 45 ans, Michèlle Monnier se sent appartenir à une communauté. “Il ne me vient pas à l’idée de dire que je suis Marseillaise. Je suis du Corbusier”. Les temps ont changé, la psychiatre désormais retraitée a connu l’apogée du lieu avec ses nombreux bals costumés, ses soirées de tango-argentins sur le toit-terrasse, mais aussi ses commerces. Droguerie, coiffeur, supérette Casino, tous ont fermé les uns après les autres. Reste le pâtissier. Avec affection, elle désigne son coin de rue par “ce bout-là”. Elle y décrit des relations de “voisinage de village”. Dans l’appartement, “tout est bâti pour apporter ce qui est nécessaire mais rien en surplus”. Elle a tout conservé tel quel. Mises à part les fameuses couleurs primaires murales du Corbusier, disparues sous une couche de peinture blanche. La décoration est sobre, volontairement, pour rester dans l’esprit du concepteur.
Michèle Monnier a connu l’époque où les boîtes installées devant les portes servaient à recevoir les commandes des commerçants du Corbusier. “Un jour où j’avais oublié mes clés, je suis passée par la boîte. Bien sûr j’étais plus souple qu’aujourd’hui” rit-elle. Elle veut bien admettre que la population du Corbusier n’est pas, globalement, de la première jeunesse. “À un moment, je disais qu’on habitait une résidence de vieillesse. Après l’incendie [9 février 2012 – ndlr] des vieux sont partis, des jeunes familles sont arrivées”. Le Mamo, sur le toit, reste un monde à part. “Quand il a ouvert, il y a eu un cocktail. Certains habitants étaient vexés de ne pas être invités. Surtout, il était devenu difficile de prendre l’ascenseur, par crainte que certains s’introduisent dans la fête privée.”
Jacqueline Boyer, 68 ans, appartement 500
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Après un long séjour en Afrique, cette ancienne banquière voulait retrouver la chaleur ressentie là-bas. “J’y retrouve la solidarité africaine confie-t-elle. Jacqueline Boyer ne vit jamais l’aspect communautaire comme une pesanteur. “D’abord c’est insonorisé. Ensuite, on connait les gens, on n’est pas anonyme, mais ce n’est pas intrusif pour autant”. Elle rappelle que “les rues sont longues”, les habitants se rencontrent surtout dans certains lieux de passage comme le hall, où des expositions sont proposées régulièrement, les ascenseurs, le jardin d’hiver dans la 3e rue, le cinéma avec ses films expérimentaux.
“Le lieu est vivant, ce n’est pas juste un lieu d’architecture et d’art. Pourtant, c’est un immeuble qui a tout, extérieurement, pour faire penser à quelque chose d’horrible, à problèmes. Notamment sa façade de 130 mètres de long. C’est une barre, qu’on le veuille ou non ! Mais il n’y a qu’une seule entrée, pas une entrée A, B et C où tout le monde s’ignore”. Si un jour Jacqueline Boyer part, “ce ne sera pas de mon fait. J’adore ce bâtiment. C’est brut, pas lissé comme certains immeubles”. Installée depuis seulement cinq ans, la retraitée n’appartient pas encore aux murs. “Pour le moment, j’amasse, je suis trop jeune. Je ne vis pas encore sur des souvenirs”.
Geneviève Bonino, 68 ans, appartement 512
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Dans l’appartement de Geneviève Bonino, une peinture d’enfant habille un pan du mur. L’œuvre, aux couleurs du Corbusier, s’intitule Un tracteur dans un champ de carottes. Le jeune peintre est le fils, alors âgé de 6 ans, de l’ancienne professeure d’art plastiques. Cela fait 44 ans que Geneviève Bonino habite ici. “Au départ, je me suis dit que je rentrais dans une sculpture. J’étais éblouie par la vue, cette impression de cocon. J’ai tout de suite apprécié ces volumes justes, avec ce bois qui adoucit l’espace”. Elle se souvient du sentiment d’être privilégiée. Un détail, lorsque une ligne téléphonique interne reliait les appartements les uns aux autres ainsi qu’aux commerces, qui “comme dans un village, ont disparu les uns après les autres”.
Elle ressent bien l’inspiration du paquebot qui resurgit dans la cité radieuse. “L’idée est d’utiliser le moins d’espace possible et de créer des espaces pour le vivre ensemble. Et ce n’est pas un hasard s’il existe une association des habitants depuis 1953. Nous avons envie de défendre cet immeuble, comme si nous étions des ambassadeurs de cet architecte.” Cela n’a pas toujours été le cas. Au départ, entre les enfants et le travail, Genviève Bonino ne se sentait pas très présente.
Elle n’est pas d’accord avec Le Corbusier qui prétendait que le nomadisme est plus adapté à l’homme. “J’ai des racines ici. C’est le bois qui fait ça. Je ne pourrais jamais me passer de cette vue, de regarder la mer.” S’il n’est pas nécessaire d’être artiste dans l’âme, comme elle, pour habiter ici, “ce sont tout de même généralement des gens cultivés qui habitent ici” estime-t-elle. “Malgré la masse de cet énorme vaisseau, il paraît léger. Je suis esthète. Le Corbusier disait que l’homme méritait de vivre dans du beau.” Ce qu’elle préfère, c’est ce moment d’été, quand le soleil a tapé toute la journée, que le sol est chaud. “Il est alors agréable de regarder le soleil se coucher sur le toit”.
Eric Broquere, appartement 655, 70 ans
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Pharmacien retraité, il est le bibliothécaire de la Cité radieuse. Cela fait près de 35 ans qu’il habite ici. Au départ ce n’était pas un premier choix : “Dans ma jeunesse, il y avait des forêts et des campagnes autour de ce gros bloc de béton que les Marseillais ont trouvé assez laid. À l’époque, je rêvais plutôt d’une petite villa à Mazargues”. Il démarre dans la seconde rue, dans un appartement de 200 m2 pour loger toute sa petite famille. “C’était le paradis pour les enfants. Leur cohabitation dans les deux chambres en long séparées d’une porte coulissante était possible jusqu’à l’adolescence où c’est devenu l’enfer”. Débarqué dans les années 70, l’esprit communautaire du Corbusier le séduit instantanément. “La formule est un peu banale, mais c’était clairement des post soixante-huitards qui vivaient ici. Les apéros, ça n’arrêtait pas. Aujourd’hui ça continue mais pas autant qu’avant. Il y a peut-être un repli sur soi”.
Ce passionné de littérature refuse d’idéaliser l’endroit. “Je l’ai dit, c’est un village, un morceau de France. Un groupe de personne s’y voient régulièrement, mais il y a des gens qu’on ne voit jamais”. Si certains expriment clairement leur intolérance aux touristes et autres visiteurs extérieurs, lui ne les voit pas d’un mauvais œil : “C’est un monument historique. S’il y a des visites, il y a des subventions”. Et de relativiser : “Il y a toujours des emmerdeurs, des râleurs, ceux qui ont peur de tout et les autres. Il y a de tout”.
Globalement en revanche, la mixité sociale n’est pas représentée. “Au départ, les gens des quartiers populaires n’ont pas aimé, notamment ces couloirs de prison où on y voit rien. Les nantis, les plus riches, ne sont pas venus non plus parce qu’ils préfèrent habiter près de la mer. Ça a toujours été la bourgeoisie moyenne, beaucoup de profs, de médecins, de psychiatres, des architectes…” En bref, il résume le profil des habitants : “ce sont des progressistes, des gens qui lisent Libé, qui se cultivent”.
Emile Hadjimitev, vigile, 61 ans
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Dans son aquarium de verre, Emile Hadjimitev est le plus ancien agent de sécurité incendie. Il est arrivé de Bulgarie en 1990. Avec son accent des pays de l’est, l’homme se raconte avec simplicité. “C’est le hasard qui m’a conduit ici. Avant j’étais professeur d’éducation physique. Je suis venu pour des raisons économiques, personnelles, je ne dirais pas politique… Il faudrait écrire tout un roman sur ma vie, mais ce n’est pas la peine de raconter tout ça.” Logé pendant un an chez des amis, – appartement 156 – il se sent “comme un étranger qui tombe du ciel. Quelques mots ne suffiront pas à exprimer cela. Mon profil est atypique. Mais ce lieu est lié à mon destin d’immigré bulgare”. Il est embauché deux ans plus tard.
Au début il veille les journées, maintenant il est présent de 18 h à 6 h du matin. Des gens l’interrompent, le saluent et lui remettent des clés. Il assume aussi la charge de concierge. “C’est inévitable, avec le temps, on se connaît. Les relations sont étroites avec les gens”. Son plus douloureux souvenir reste celui de l’incendie. “J’étais de service avec un collègue la nuit.” Il se remémore le froid particulièrement vif. “Il y a eu une coupure d’électricité et j’ai failli mourir cette nuit-là. Mais on s’en fout de mon impression, c’est un petit détail au final”.
Laurence et Yannick Devolder, la quarantaine, deux enfants, appartement 107
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Le couple souriant est arrivé un an plus tôt du Nord avec la chaleur qui en caractérise les habitants. Même si, pour Laurence, c’est un retour dans la ville de son enfance. Leurs deux petits garçons de 2 et 4 ans sont scolarisés au 8e étage. “Il y a beaucoup d’enfants dans la 1ère rue, ils ont tous leur trottinette. Ici, plus on est vieux, plus on monte vers le ciel. Au bout de 15 jours, nous étions déjà invités les uns chez les autres. Au Corbusier, c’est assez bobo.” C’est Yannick qui a trouvé l’appartement. “Il m’a appelée. Je n’avais pas vu l’appartement mais je lui ai dit ok. Quand les cartons sont arrivés, on m’a dit que ça n’allait pas rentrer. On ne voyait plus le ciel, on s’est dit où va-t-on mettre tout ça ? J’en ai pleuré !” s’amuse Laurence tandis que Nala, le chat persan vient quémander des caresses. “Elle est devenue sociable ici, elle”.
Le couple est rapidement tombé sous le charme. “C’est un art de vivre ici. Le dimanche, les portes restent ouvertes et les enfants circulent d’un appartement à l’autre. On se retrouve avec d’autres enfants dans les appartements, on cherche les nôtres. Et puis les liens tissés ne restent pas cloisonnés au Corbusier, on se voit en dehors avec des couples. On retrouve le mode de vie que l’on avait dans le nord”. Eux ne se sentent pas artistes pour deux sous. “Mais on est tout le temps sollicités pour des expos, on s’y intéresse par la force des choses”. Ils plaisantent des films projetés aux enfants, “parfois conceptuels… Disons qu’on ne projette pas du Disney”. Finalement, concluent-ils avec humour, “il y a beaucoup de gens extravagants, ils ont tous un peu un grain et cela nous plait”.
Corinne Vezzoni, architecte, cabinet appartement 631
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“À Marseille, il n’y a pas énormément de témoignages de l’architecture contemporaine. La figure du Corbusier est emblématique” juge Corinne Vezzoni, qui a installé son cabinet en 2000. “Le mix des bureaux et des logements présentaient un réel intérêt pour nous, avec ces mouvements perpétuels dans la journée.” Si l’architecte a été formée par les héritiers du Corbusier, elle estime s’en être rapidement éloignée, contrairement à quelques irréductibles. “Je ne me sens pas gardienne du temple même si on subit toujours l’influence de son environnement”. Elle a gardé, toutefois, ce rapport au paysage et à la lumière. “Les mises en scène du cadrage, cette course du soleil que l’on retrouve de chaque côté des appartements en fonction de l’heure de la journée”, tout cela fait du cabinet un espace de travail idyllique. “Une partie de son écriture architecturale est intemporelle. Une autre apparaît caractéristique d’une époque, comme les pilotis, le béton brut, les loggia.”
La polémique autour d’une bienveillance supposée du Corbusier pour les régimes fascistes lui semble “déplacée. C’est comme cela qu’on va vers la médiocrité.” En revanche, elle juge l’idée sociale portée par le Corbusier dépassée, caduque même. “L’architecte faisait preuve d’une forme d’autoritarisme. Dans ce métier, même s’il faut être intransigeant et ne rien lâcher, il est arrivé à un point où il imposait un mode de vie aux gens. Aujourd’hui les bons architectes offrent la diversité dans le logement, l’idée est d’offrir un espace que le voisin n’aura pas”. Corinne Vezzoni rejette toutefois le qualificatif “d’utopie”: “Les gens adhèrent totalement ici. Après je parlerais plus d’esprit d’appartenance que de convivialité. Il y a eu une lente appropriation par les habitants de l’esprit du Corbusier qui deviennent plus extrémistes que lui. Ils s’en sentent les garants”.
Commentaires
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votre “Reste qu’il y a tout lieu de s’interroger sur la pertinence du choix d’une manifestation folklorique aux racines catholiques comme symbole de lutte contre le terrorisme…” n’est-il pas un peu déplacé et “laïcard”
un peu de dignité ne vous ferait pas de mal, merci
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« Reste qu’il y a tout lieu de s’interroger sur la pertinence du choix d’une manifestation folklorique aux racines catholiques comme symbole de lutte contre le terrorisme… » Ptit Marin a tout a fait raison , arrêtons d’avoir peur ou honte de nos origines . Nous sommes un pays LIBRE d’origine Chrétienne, soyons fière de nos valeurs pour lesquelles nos anciens ont donnés sueur et sang pour les défendre ! Je dis à tous ceux qui prônent la laïcité à outrance qu’ils faut arrêter cela . Respectons la laïcité : oui mais pas au point de renier nos origines qui ont fait ce pays et ses valeurs de liberté; ne l’oublier jamais et ne le renier jamais.
Sinon demain c’est quoi : interdire la fête de Noël par ce qu’elle est Chrétienne ? ou va t-on ?
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Curieux, les deux commentaires ci-dessus qui apparaissent ici alors qu’ils renvoient à un tout autre article : https://marsactu.fr/apres-les-attentats-de-paris-nous-sommes-dans-le-cadre-dune-liberte-surveillee/
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