Rejets en mer d’Alteo : l’arrêté du préfet est-il légal ?

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le 24 Fév 2016
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Cinq associations présentaient ce 23 février un recours contre l'arrêté préfectoral autorisant l'usine d'alumine de Gardanne à poursuivre ses rejets en mer. La décision est attendue "d'ici quelques jours". 

Pancartes des salariés de l
Pancartes des salariés de l'usine d'alumine lors de la réunion publique de septembre 2015

Pancartes des salariés de l'usine d'alumine lors de la réunion publique de septembre 2015

“On va aller faire une pêche aux daurades dans le canyon et on va vous emmener”. La proposition émane du premier prudhomme de pêche de la Ciotat, Gérard Carrodano, opposant de longue date aux rejets en mer d’Alteo dans le canyon de Cassidaine. L’offre est faite au directeur des opérations de l’usine d’alumine, Eric Duchenne, sur le pas de la salle d’audience du tribunal administratif.

Elle n’est pas tout à fait ironique, les pêcheurs entendant montrer à l’industriel l’état dans lequel ils remontent leurs filets lorsqu’ils s’aventurent dans la zone de rejet des effluents de l’usine de transformation de la bauxite dans le parc national des calanques. Des filets teints en rouge par les résidus déversés depuis les années 60. “Les boues rouges, c’est loin d’être fini”, attaque le pêcheur tandis que son interlocuteur essaie de lui faire reconnaître une “sacrée amélioration”, en référence aux filtres-presses mis en place pour séparer la partie solide de celle liquide des résidus de fabrication. C’est à partir de cette hypothèse d’amélioration que le préfet a autorisé la poursuite des rejets pour six ans.

Pendant près de quatre heures d’audience, il a donc été question de la légalité de l’arrêté pris par le préfet le 28 décembre, autorisant l’industriel à poursuivre ses rejets, désormais filtrés mais bénéficiant d’une dérogation pour le dépassement des seuils de pollution aux métaux lourds. Pour l’heure, seul un des recours déposés en référé-suspension par les opposants à cette autorisation a réussi à passer entre les mailles du filet et atteindre le stade de l’audience. Cinq associations – Union Calanques Littoral, association naturiste phocéenne, association pour la protection des animaux sauvages, association CSF Grotte-Roland et office d’animation sports et loisirs des Bouches-du-Rhône demandent au juge administratif d’annuler l’arrêté pris fin décembre.

“Urgence écologique”

Une bonne quarantaine d’opposants aux rejets avaient fait le déplacement pour assister à l’audience. Pour les associations, il y a urgence à agir pour mettre fin à la pollution et donc suspendre l’exécution de l’arrêté autorisant les rejets. Il leur revient donc de le prouver. “L’urgence, c’est la protection de l’environnement et du milieu marin de ce flux, défend leur avocat Me Benoît Candon. Il rejette toutes les heures l’équivalent du volume de cette pièce. C’est avec l’émissaire de Cortiou, le plus gros flux rejeté en Méditerranée”. Il a notamment rappelé la “production en masse d’hydrotalcites”, minéraux formés de la réaction chimique entre le liquide rejeté et l’eau de mer. “Nous sommes en train de tapisser le fond marin d’une substance artificielle qui empêche toute vie”, alerte ce dernier avant d’ajouter : “la composition du nouvel effluent n’est pas connue. C’est aujourd’hui qu’il faudrait faire les études d’impact”.

“La partie adverse dit que les tests avec les hydrotalcites n’ont été faits qu’en bassin, est-ce bien cela ?”, demande un peu plus tard la présidente au représentant de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), dépêché pour l’occasion. “Il a été vérifié chimiquement que cela marche”, lui répond Jean-Philippe Pelloux. Car le procédé défendu par l’industriel et validé par l’État consiste à piéger les métaux lourds au sein de ces hydrotalcites.

Une “sanction”

Plus que l’avocat de la préfecture, c’est Jean-Philippe Pelloux de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement qui a défendu l’arrêté pris le 28 décembre. “Le fait que 53 substances soient citées prouve la rigueur de l’instruction, défend-il. Le préfet est allé très loin. Quant aux hydrotalcites, l’arrêté prévoit un suivi”. “Où est-ce dans l’arrêté ?”, interroge la présidente, visiblement sensible aux questions de suivi. Deux organes sont prévus, un comité de suivi du site et un “conseil scientifique d’experts indépendants désignés par le préfet qui permettra l’information transparente des citoyens”, selon l’inspecteur de sites. La juge s’intéresse ensuite à la manière dont les dépassements autorisés ont été retenus : “Qui a fixé ces 1226 milligrammes par litre pour l’aluminium ? Il n’était pas possible de réduire plus ?”

27 millions en 3 ans

Côté Alteo, ce sont les efforts déployés ces derniers années pour changer la nature du rejet qui sont mis en avant. “Depuis son rachat du site en 2012, Alteo n’a eu de cesse de mettre en œuvre des procédés pour faire cesser les rejets polluants”, oppose Me Alain Vidal-Naquet, mentionnant les “27 millions d’euros sur 3 ans” investis pour les filtres-presses. En oubliant de préciser que la moitié a été financée par l’agence de l’eau.

Pour l’avocat d’Alteo, “l’arrêt [des rejets, ndlr] sera immanquablement considéré comme la sanction de quelqu’un qui a tenu ses engagements”. En marge de l’audience, celui dit avoir “défendu les boues rouges en Sardaigne il y a trente ans” se dit confiant sur l’issue de la procédure. “Les poissons qui meurent sont des poissons qui meurent. Des emplois détruits, en l’occurrence 540, c’est autrement plus grave”. L’industriel a toujours avancé qu’en cas d’interdiction de rejet, l’usine serait condamnée à fermer. La décision est attendue “d’ici quelques jours”. 

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Commentaires

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  1. CAN. CAN.

    Il apparait évident que l’existence même d’ALTEO dépendrait de l’intérêt économique à rejeter à moindre frais ses déchets industriels et que le jour où ces rejets seront interdits, demain ou dans 6 ans, les actionnaires d’ALTEO déplaceront leurs capitaux avec pour conséquence, la fermeture de l’usine.
    Une information éclairante apportée au tribunal par Maitre CANDON, serait que 80% de la production d’ALTEO serait exportée et donc tendrait à conforter que l’activité de cette entreprise est justifié en France par un effet d’aubaine que serait une forme déguisée de droit à polluer.
    Le chantage à l’emploi est par principe indigne, c’est ce type de chantage qu’ a employé le Canada pour oser aller jusqu’à vouloir convaincre que l’Amiante est inoffensif et de plus, c’est un fait récurent avéré qu’ en d’autres bassins d’emplois, les fonds de placement retirent leurs capitaux en toute impunité entrainant des milliers de perte d’emploi.

    Que l’Etat ne soit pas naïf et cesse de poursuivre des chimères !

    RH

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    • corsaire vert corsaire vert

      Excellente analyse de la situation à laquelle je souscris totalement,
      Qu’espèrent donc les salariés en manifestant pour la pollution ? sauver des emplois en danger ?
      Dépolluer réellement les rejets industriels à contrario, sera créateur d’emplois si l’entreprise veut investir dans ce sens mais il est clair que ce n’est pas son but !
      Pour avoir plongé dans ces parages , je puis témoigner que le fond marin est tapissé de boues depuis de nombreuses années et il n’y a pas de vie ,ni algues ,ni même l’oursin noir pourtant résistant !
      Cop 21 vous avez dit ? c’était une blague de mauvais goût et onéreuse pour les finances publiques de surcroît ,
      Au menu de ces messieurs il n’y avait certainement pas la soupe des Calanques !
      Pourquoi ne pas inviter les dirigeants d’ALTEO accompagnés du préfet à en manger une entre deux audiences ?et puis , pas besoin de safran, le rouge y est déjà ….
      Bon courage aux opposants , tenez bon .

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  2. neomars neomars

    Racheté il y a trois ans par le fonds d’investissement américain HIG et renommée Alteo, pour importer de la bauxite de Guinée et en extraire de l’aluminium exporté à 80% … On semble loin d’un fleuron national nécessaire à notre auto-suffisance et qu’il faudrait préserver d’une concurrence mondiale qui ne se soucie guère de pollution. Sur la photo, on lit “Gardane doit vivre” … les provencaux aussi ont le droit de vire sainement et les gardannais devraient en effet inventer au plus tôt une autre façon de “vivre” , dans leur propre intérêt.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    “Les poissons qui meurent sont des poissons qui meurent. Des emplois détruits, en l’occurrence 540, c’est autrement plus grave”. Quel cynisme, affiché en toute impudeur !

    Dans cette affaire comme dans d’autres, les coûts environnementaux que certains industriels ne veulent pas assumer et préfèrent charitablement transmettre à nos enfants et petits-enfants restent des coûts environnementaux, dont la facture sera payée un jour. Défendre un modèle économique qui dépend du déversement de déchets toxiques dans la nature et de la mise en danger des générations futures me paraît plus que problématique.

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  4. Mars1 Mars1

    Toujours le même raisonnement à courte vue : le profit d’abord, la nature s’adaptera. Et de beaux discours avec la main sur le coeur quand il s’agit de se montrer à la tribune de la Cop21, mais les poissons peuvent crever.

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  5. JL41 JL41

    Une victoire de Colère rouge : « La Commission d’Accès aux Documents Administratifs (C.A.D.A.) vient de nous rendre une décision favorable. Nous l’avions saisie du refus du 1er Ministre de leur communiquer des documents détenus dans le cadre de l’instruction de la demande d’une nouvelle dérogation de rejets toxiques par l’usine Altéo de Gardanne. Et la C.A.D.A. a donné un avis favorable à la communication de la totalité des éléments demandés. »
    Mais la collecte de fonds patine : http://fr.ulule.com/colere-rouge/news/boues-rouges-premiere-victoire-contre-le-premier-m-99896/

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