Récit d’une nuit d’angoisse devant le 17, rue de Tivoli effondré

Reportage
le 9 Avr 2023
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Le 17 rue de Tivoli s'est effondré durant la nuit du 8 au 9 avril, entraînant partiellement dans sa chute ses deux voisins. Sur place, l'incompréhension le dispute aux souvenirs traumatiques du drame de la rue d'Aubagne. À pied d'œuvre, les autorités craignent cette fois encore des décès.

Les marins-pompiers sont intervenus rapidement peu de temps après l
Les marins-pompiers sont intervenus rapidement peu de temps après l'effondrement de l'immeuble. Photo Benoît Guillaume

Les marins-pompiers sont intervenus rapidement peu de temps après l'effondrement de l'immeuble. Photo Benoît Guillaume

Il est autour de 0 h 40, dans la nuit du 8 au 9 avril, lorsqu’une explosion retentit, suffisamment puissante pour faire sursauter de la Plaine aux Réformés. Un bruit comme aucun autre, assez puissant, assez choquant pour que les voisins sortent de chez eux, viennent de loin pour comprendre.

À l’épicentre, c’est la rue de Tivoli. À son angle avec la rue Abbé-de-l’épée, une épaisse couche de poussière. Le sentiment général d’inquiétude est vite confirmé : le 17, rue de Tivoli s’est effondré cette nuit, emportant avec lui une partie de ses deux voisins, le 15 d’un côté, le 19 de l’autre. Le décor glace le sang, tant il fait revivre la page la plus douloureuse de la ville ces dernières années : les décombres, le gris, le son des toux qui répondent à la fumée qui s’échappe abondamment. Le souvenir du drame mortel de la rue d’Aubagne en tête, les Marseillais présents sont abasourdis, mais chacun semble mesurer la gravité possible du décor. Un immeuble a disparu, devenu un amoncellement de gravats fumants, sous lesquels on a peur de retrouver un ami, un voisin, un autre Marseillais, une autre Marseillaise.

L’explosion ressentie dans tout le quartier

Quelques minutes déjà après l’effondrement, les secours tentent de maîtriser la situation, de créer un périmètre de sécurité, de parer au plus urgent. Un médecin qui habite rue Abbé-de-l’épée épaule tant bien que mal un homme, et ne le lâche que pour intercepter une équipe du SAMU qui se dirigeait plus haut. L’homme est ensanglanté, son regard est vide, fixé droit devant lui lorsque les secours le prennent en charge. Ils le font asseoir sur un escalier, en retrait d’un sol chargé de débris de verre dispersés par l’explosion. Les fenêtres de plusieurs immeubles du quartier ont été soufflées. D’après le médecin, l’homme blessé habite au premier étage d’un immeuble voisin du 17. Il serait parvenu à s’enfuir de chez lui, réveillé après que l’immeuble qu’il habite s’est partiellement effondré et que le plafond lui est tombé littéralement tombé sur la tête.

La police établit le premier périmètre, autour des pâtés de maison près de la portion de la rue de Tivoli concernée tout d’abord. Leur intervention relève de l’incompréhension généralisée pour ceux qui n’ont pas pu évaluer de leurs yeux l’ampleur de la catastrophe, croyant même parfois à une habituelle intervention de maintien de l’ordre à la grenade lacrymogène. Les agents de police, tout en déroulant le cordon, informent au plus bref pour appuyer un ton ferme. Un immeuble entier vient d’exploser, ils doivent sécuriser et il faut laisser les gens faire leur travail.

20 minutes après le drame, le mot a assez tourné. Certains ont un membre de la famille, un ami qui habite ici, ils sont inquiets, il leur faut des réponses. L’un d’entre eux appelle une proche en boucle, elle ne répond pas au téléphone. Il supplie la police de lui donner le numéro de l’immeuble qui s’est effondré, il essaye d’échanger avec quelqu’un qui était sur place, pour lui faire reconnaître sur Google Maps. Mais il y a là une réalité affreusement concrète : dur de savoir de quel immeuble on parle lorsque quatre étages sont soudainement transformés en un amas de pierre.

Une fumée comme un brouillard épais

Plus que n’importe quel argument de la police, rapidement, la rue Abbé-de-l’épée devient invisible tant la fumée est épaisse, devenant un brouillard presque opaque, rendant l’élargissement du périmètre plus naturel. Le drame s’ajoute au drame, et un feu prend dans les décombres. On sent une odeur indescriptible, que certains associent au gaz. Seuls les rayons des gyrophares, nombreux et immédiatement arrivés sur place, se mettent à percer le brouillard. Ils révèlent des pompiers qui ont besoin de place pour travailler, qui tentent d’acheminer hommes, tuyaux et véhicules sur le site.

1 h 15 du matin, et le tour par la rue Terrusse donne une nouvelle perspective au sinistre tableau. Les caméras des télévisions sont arrivées, et filment une grue des pompiers qui se déploie au-dessus de la fumée. Ceux qui viennent d’arriver et ceux qui sont là depuis le début sont d’accord sur un point. C’est trop énorme, trop impressionnant pour que l’on n’ait pas très vite des nouvelles macabres. Le policier qui garde ce bout du cordon est souvent pris à partie. Il doit empêcher plusieurs personnes de passer, et l’un d’entre eux y arrivera tout de même. De ce côté et d’autres du barrage, on évacue les gens, des immeubles voisins notamment. Une famille sort de la rue, en pyjama et en pleurs. Ils sont partagés, ponctués de cris de part et d’autres. Des râles parfois profonds qui résonnent dans toutes les rues du quartier.

Le pessimisme des autorités

Il faut attendre deux heures pour en savoir plus. Le périmètre s’est étendu jusqu’à la Plaine, la rue Saint-Savournin et le boulevard Eugène-Pierre, mais les gens sont encore là, parfois par dizaines. Benoît Payan est arrivé une dizaine de minutes après le drame, et en tant que maire de Marseille, il dirige les opérations de secours. À trois heures, le dispositif est impressionnant, une centaine de marins-pompiers, des camions et des centres de commandement déployés sur tout le boulevard. Sans que l’optimisme ne règne chez eux.

Le maire se présente à la presse vers 3 heures du matin, et il a les traits tirés, le regard pesant de la gravité de la fonction à ce moment. Son premier mot sera d’être prudent sur la cause de l’effondrement, mais que c’est probablement l’explosion qui en est à l’origine. Il salue des marins-pompiers qui tentent d’aller sous les gravats, en prenant attention à ne pas provoquer un effondrement des parties des immeubles qui tiennent toujours. Qu’il est impossible de savoir s’il y a des victimes, vivantes ou pas, car même les chiens ne peuvent pas intervenir dans la chaleur et la fumée de l’incendie, et leur rôle est précieux.

À l’heure actuelle, il n’y a que neuf blessés, peu gravement pour la plupart, mais ce n’est que le début. Benoît Payan ne reviendra que plusieurs heures plus tard, pour souligner les mêmes points et l’ouverture de dispositifs pour accueillir temporairement ceux qui ont été évacués en urgence, pour aider ceux qui sont sous le choc de voir leur fenêtre projetée hors de chez eux. Toujours impossible de savoir ceux qui pourraient être sous les décombres, le feu est toujours là, les pompiers se battent. “Il faut se préparer à trouver des victimes”, dit-il gravement. Une heure plus tard, le soleil se lève et une bonne partie de ce qui arrivait encore à tenir au 15, rue Tivoli finit par lâcher prise. En conclusion de l’horrible nuit du 9 avril à Marseille.


Benoît Guillaume est dessinateur et habitant de la rue de Tivoli. Depuis sa fenêtre, il a croqué ce qu’il voyait de l’effondrement et des opérations de secours. Il a confié son carnet à Marsactu.

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Commentaires

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  1. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    C’est là que l’on se rend compte que la rue d’Aubagne a un souvenir impérissable…
    Pour le moment, plus de commentaires.

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  2. Paul Paul

    Ton reportage est littéralement vibrant Iliès, plein de cette intimité cruelle qui nous renvoient à notre humanité ce jour de Pâques… Merci !
    Paul Molga, journaliste aux Échos et Marcelle le média

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  3. MarsKaa MarsKaa

    Merci Ilies pour ce travail sur place et cet article.

    32 immeubles évacués à cette heure et l’incendie toujours pas éteint.

    Pensée pour tous ceux qui sont touchés 🙁

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