Quechen à Fos : les collectivités locales déroulent un gros chèque en guise de tapis rouge

Actualité
le 23 Mar 2018
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Annoncée en janvier, l'arrivée du géant chinois de la silice Quechen à Fos-sur-Mer devrait être accompagnée d'un beau chèque de bienvenue. Sous plusieurs formes, la totalité des aides publiques dont bénéficiera in fine l'industriel s'élève à plus de 6 millions d'euros.

La zone du port de Fos où devait s
La zone du port de Fos où devait s'implanter Quechen. (Photo : VA)

La zone du port de Fos où devait s'implanter Quechen. (Photo : VA)

“Nous leur avons déroulé le tapis rouge plus qu’il ne le fallait”, a clairement admis Jean-Claude Gaudin, ce jeudi, lors du conseil métropolitain. C’est sans aucune opposition que l’hémicycle a voté une délibération “de principe” actant l’aide financière publique dont va bénéficier le géant chinois de la silice Quechen. L’industriel doit s’installer sur un terrain du Grand Port maritime de Marseille-Fos et s’apprête donc à hériter d’une aide publique pour laquelle la métropole, mais aussi la région et l’État n’ont pas hésité à mettre la main au porte-monnaie.

Au total, ce sont quelques 6,241 millions d’euros d’argent public qui vont être investis, d’une manière ou d’une autre, dans le projet d’implantation à Fos de Quechen, premier fabriquant chinois et troisième mondial de la silice dite “à haute dispersion”, notamment utilisée pour la fabrication de “pneus verts”.

Rapportée au nombre d’emplois, cette aide publique équivaut à 48 000 euros par emploi créé, loin des seuls 18 000 euros mis en avant par la région et la métropole dans le cadre de la prime à l’aménagement. Une position assumée par les élus tant métropolitains que régionaux.

“On est sur un site où se pose la question de la reconversion de la sidérurgie, de la métallurgie. Si on peut faire venir des fabricants type Michelin [l’un des plus gros clients de Quechen. Ndlr] Il ne faut pas regarder que les 130 emplois, la question, c’est ce qu’il y a autour. Ce qu’on espère, c’est l’étincelle”, argumente pour sa part Béatrice Aliphat, élue métropolitaine sans étiquette déléguée à l’industrie chargée du dossier. Mais comment s’assurer que cette étincelle va bel et bien se transformer en brasier ? “On est là pour accompagner les projets mais nous ne sommes pas les instigateurs”, répond-on d’office.

En janvier dernier, la nouvelle était annoncée en grande pompe. “C’était dans tous les médias”, se réjouit encore Béatrice Aliphat. Il faut dire que l’histoire offre de quoi claironner : lors d’un voyage en Chine, à Pékin, le président de la République décroche une lettre d’intention signée de la main du patron de Quechen. Ce dernier, qui envisageait de construire une usine de silice et un centre de recherche et développement en Europe, promet d’investir 100 millions d’euros à Fos-sur-Mer. Le GPMM lui louera donc par un bail emphytéotique de 50 ans, 12 hectares sur les 1200 que comprend la plateforme industrielle et d’innovation Caban Tonkin (Piicto). Une victoire pour le territoire, qui prend ainsi la main sur les 28 candidats européens parmi lesquels des ports de renommée mondiale, tels que Rotterdam.

Aide directe et exonération de taxes

Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. “Maintenant, on peut le dire : à l’époque, il y eu une guerre sans merci avec le port de Rotterdam. Je me souviens qu’ils avaient même envoyé aux Chinois des vidéos de grèves dans le port de Marseille-Fos. Nous avons dû les rassurer sur le climat social. Il y a aussi eu une guerre économique”, se souvient Philippe Maurizot, vice-président (LR) de la commission industrie à la région. Aujourd’hui, la bataille est gagnée et l’élu n’en est pas peu fier. “Je crois que c’est, en France, le plus gros investissement de l’industrie chinoise”, s’enorgueillit-il. Sur les délibérations, les chiffres battent effectivement des records. Il comportent tous plus de cinq zéros.

Pour ne citer que la région, celle-ci a acté le 16 mars dernier une aide directe qui dépasse 1,4 millions d’euros. Un sérieux coup de pouce assorti d’une “aide à l’installation” d’une plateforme dite “plug and play”, portée par le groupe Kem One, dont l’objectif est le partage d’énergie sur le site de Piicto et dont va largement bénéficier Quechen. Une aide sous forme d’avances remboursables qui s’élève à 670 500 euros. Enfin, la région compte offrir à l’industriel chinois une exonération de taxes locales sur cinq ans, soit l’équivalent de 500 000 euros. Des sommes quasi égales à celles qu’a prévues d’investir la métropole.

Enchères publiques

“Ces chiffres sont hallucinants !, s’étonne Sophie Camard, ancienne présidente écologiste de la commission économie du conseil régional et aujourd’hui suppléante du député insoumis Jean-Luc Mélenchon. Non seulement c’est absolument démesuré mais en plus c’est exactement l’inverse d’un appel d’offres. Ces aides sont attribuées quand des entreprises font monter les enchères en mettant en concurrence les territoires”, poursuit-elle. Si le port de Marseille-Fos a finalement réussi à devancer Rotterdam et Krefeld dans la Ruhr en Allemagne – les trois derniers candidats de la short list – Fos n’était, à la base, même pas dans de la course.

Tandis que Philippe Maurizot confirme à demi-mot, que le port de Fos-sur-Mer a été “le dernier en lice”, Béatrice Aliphat en dit plus long sur l’histoire : “Au départ, le candidat français devait être un site proche du port fluvial de Lyon, indique-t-elle. C’est vrai que quand ils sont venus nous voir, on s’est mis ensemble avec les collectivités pour voir ce que l’on pouvait proposer. Mais c’était n’importe quoi, on a fabriqué une offre ! Désormais, on prendra la question à l’envers avec un appel à manifestation d’intérêts, baptisé industry’nov , où l’on présente sur trois sites (LyondellBasell, Total et Kem One) les possibilités de Piicto“.

Contactée par Marsactu, la métropole du Grand Lyon n’a pas donné suite à nos sollicitations dans le temps imparti à la publication de cet article. À la région comme à la métropole, on avance le fait que les aides publiques n’ont pas été les seules à peser dans la balance, mais que la position géographique du GPMM et son importante offre foncière ont aussi énormément joué en sa faveur. “Même si bien sûr, l’investisseur a tiré sur les ficelles autant qu’il a pu”, conçoit tout de même le vice-président LR à la région.

Rassurer l’investisseur

“Mais le jeu en vaut la chandelle. Le but est de créer un précédent à l’investissement chinois, le banquier du monde, développe avec entrain Philippe Maurizot. Dans ce pays à la croisée du capitalisme et du communisme, le business est très lié à la politique. Si les Chinois ne se sentent pas bordés par les pouvoirs publics, pas soutenus, ils ne bougent pas une oreille. Par transversalité, nous devons créer ce climat de confiance pour ensuite bénéficier des avantages de ces investissements.”

Ces avantages sont répétés à l’envie par les investisseurs publics qui ont tous “joué le jeu pour rassurer l’investisseur”. Ils citent pèle-mêle la création de 130 emplois mais aussi et surtout l’“appel d’air” pour les futurs investisseurs, les emplois induits, le développement de l’économie circulaire -notamment avec le fameux “plug and play”-, l’attractivité… “Ça serait suicidaire de se passer d’un tel partenaire. On met tellement d’argent dans des choses qui ne servent à rien. Pour une fois c’est un investissement solide”, est convaincu Philippe Maurizot.

“Aucune garantie”

Familière de ce domaine, Sophie Camard, elle, émet beaucoup plus de doutes : “À part les avances remboursables, ces aides ne permettent aucune garantie. Il s’agit juste d’attirer des entreprises qui font le tour de la France pour trouver celui qui va dégainer le plus d’argent. Ce qui n’est pas le cas avec, par exemple, une montée au capital qui permet de suivre une entreprise dans le temps”, estime l’ex-conseillère régionale.

Si le principe et la “ligne budgétaire” des aides publiques dont bénéficiera Quechen ont été validés, le montant exact de ces dernières n’est pas encore fixé. “Ce sont des chiffres à la louche, il ne s’agit pas d’une enveloppe précise”, conclut Béatrice Aliphat qui attend l’officialisation de la venue de Quechen à Fos. Il faudra également passer sous d’autres fourches caudines : la validation de la commission européenne, toujours chatouilleuse vis-à-vis des aides d’État susceptibles de contrevenir aux règles de la libre concurrence.

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Commentaires

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  1. petitvelo petitvelo

    Et bien ça va faire plaisir aux 77 Gemaltiens de Gemenos et aux 130 de La Ciotat, de voir que 130 emplois du secteur secondaire sont la plus haute priorité de la région et de la métropole.
    On a vraiment besoin des chinois pour fabriquer des pneus économes en carburant (donc un peu verts) ?
    Pour le bassin de Fos, on se renouvelle en restant dans le polluant. RDV dans 20 ans pour l’étude sanitaire sur la hausse des silicoses autour de l’étang de Berre …

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