Pour les aires d’accueil des gens du voyage, les collectivités veulent faire mieux que rien

Décryptage
le 18 Juil 2022
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Le nouveau schéma prévoyant la répartition des aires d'accueil des gens du voyage dans les Bouches-du-Rhône est en cours de validation. Pour combler l'immense retard accumulé, le document prévoit la création d'une quinzaine d'aires en quatre ans. Un objectif qui semble irréaliste alors qu'au cours des dix dernières années, seulement trois ont vu le jour, et que seul un projet est réellement enclenché.

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L'aire d'accueil de Saint-Menet après sa rénovation en 2018. (Photo : Lisa Castelly)

L'aire d'accueil de Saint-Menet après sa rénovation en 2018. (Photo : Lisa Castelly)

“Finaliser, verbe transitif : Achever quelque chose, le mettre au point dans ses moindres détails”. Voilà le verbe utilisé par les collectivités pour qualifier la démarche en cours dans les Bouches-du-Rhône au sujet des aires d’accueil des gens du voyage. Il s’agirait, aujourd’hui, tout au plus de peaufiner, de mettre les dernières touches à l’offre actuelle. Un euphémisme particulièrement audacieux.

Le nouveau schéma départemental fixant les objectifs dans ce domaine, en cours de validation, prévoit en réalité un énorme rattrapage après deux décennies d’atonie pour ne pas dire d’inertie. Un rattrapage de plus, serait-on tenté de dire. En 2012, le même document pointait la nécessité de créer 24 aires d’accueil dans le département. Seulement trois ont vu le jour dix ans plus tard (deux dans le pays d’Aix et une à Arles). Faisant table rase du passé, et avec une forme d’optimisme surréaliste, la mouture 2022 du schéma départemental, dans laquelle Marsactu s’est plongé, prévoit à l’horizon 2026 de faire sortir de terre, tambour battant, une quinzaine de nouveaux équipements. Un cap légèrement moins ambitieux que précédemment, mais dont personne ne peut imaginer qu’il sera tenu.

Il n’y a rien dans le nouveau texte, c’est un vide abyssal et tout le monde s’en fout.

Caroline Godard, Rencontres tsiganes

“Un schéma départemental, c’est toujours de bonnes intentions, le résultat est toujours en deçà des objectifs annoncés, mais dans les Bouches-du-Rhône, on est largement en dessous, commente Caroline Godard, pour l’association Rencontres tsiganes. Il n’y a rien dans le nouveau texte, c’est un vide abyssal et tout le monde s’en fout”. L’association est membre de la commission départementale consultative sur ce dossier, qui n’a pas été réunie depuis 2020.

Rédigé par les services de l’État et du département, le document de près de 70 pages a été validé par le préfet et la présidente du département en février 2022. Il édicte des prescriptions qui ont tout de même valeur d’obligation. Principal risque en cas de non-application : une commune qui n’est pas en règle ne peut, selon la loi, bénéficier d’une procédure administrative d’évacuation forcée si des occupations illicites ont lieu sur son territoire. Comme souvent sur les dossiers liés aux gens du voyage, la procédure a pris du temps : prévue pour durer cinq ans, la version 2012 a été prolongée par un avenant en 2016, pour s’appliquer donc sur une décennie.

Un lourd retard à rattraper

Les Bouches-du-Rhône comptent aujourd’hui neuf aires, dont huit se trouvent sur le territoire de la métropole Aix-Marseille-Provence. Elles permettent en tout d’offrir 248 emplacements (comprenant deux places de stationnement chacun). Le nouvel objectif est la création de pas moins de 284 nouveaux emplacements (568 places).

Le document établit une liste précise des aires à créer par groupement de communes, et indique sur laquelle elle devra être construite. À l'intérieur de la métropole, il s'agit de Marseille, Aubagne, Martigues, La Ciotat, Gardanne, Marignane, Les Pennes-Mirabeau, Lambesc, Venelles, Trets, Auriol, Gignac, Berre l'Étang et Sénas. Une longue liste nécessaire si l'institution veut rattraper les 50% de retard qu'elle a aujourd'hui vis-à-vis de la loi, ce qui lui a valu une condamnation en 2019.

(En vert dans le tableau, les communes disposant d'une aire, en jaune, celles qui devront en accueillir)

Or, à parcourir le tableau présenté dans le document, très peu d'entre elles sont prêtes à ne serait-ce que lancer des travaux d'ici à 2026. Sur les treize aires prévues dans la métropole, seuls trois projets présentent un terrain "validé" et trois disposent de terrains "identifiés" ou "proposés". Pour trois projets, il est envisagé de rénover un équipement existant. Pour les quatre restants, la case "avancement des dossiers" est tout simplement vide. Pour les aires de grand passage, qui peuvent accueillir de grands groupes de plus de cent caravanes, là aussi, aucun nouveau terrain n'est proposé.

À ce stade, la métropole, qui a la charge depuis 2017 de réaliser ces aires pour le compte des communes, n'a qu'un seul chantier d'amorcé, c'est celui de La Ciotat où les critiques sont extrêmement fortes à l'égard du terrain choisi. Éloigné de tout, il est en partie localisé en zone Natura 2000 et le budget du chantier a doublé au fil du temps. Sollicitée au sujet de l'application du schéma départemental, la métropole n'a pas donné suite.

Déjà des levées de boucliers de la part des communes

Validé en février 2022 par le département et les services de l'État, le schéma départemental vient tout juste d'être présenté dans les différentes assemblées des communes et des intercommunalités concernées. Une consultation a posteriori qui fait grincer pas mal de dents. Sollicité, le département rappelle qu'il s'agit d'un travail qui "approche de son aboutissement, mais qui n’est pas encore clos". "Certaines communes et territoires présentent en effet des questions foncières et opérationnelles qui appellent un complément d’analyse et de concertation avec les élus concernés", complète la collectivité, qui a dû faire face à de premières levées de bouclier.

Le compte n'y est pas, ce qui est normal quand on ne concerte pas.

Audrey Garino, adjointe aux affaires sociales à Marseille

La Ville de Marseille a notamment fait entendre ses objections particulières lors du conseil municipal du 29 juin en donnant un avis défavorable au document. Mobilisée pour "l'habitat digne", la majorité de gauche n'en est pas moins opposée aux conclusions du document. "On a été un peu surpris quand on l'a reçu sachant que l'on n'a pas été consultés. Le compte n'y est pas, ce qui est normal quand on ne concerte pas, déplore l'adjointe aux affaires sociales Audrey Garino. Le schéma ne propose même pas un bilan de l'action menée jusqu'ici, il n'essaye même pas de comprendre pourquoi il n'a pas été appliqué."

À l'échelle de Marseille, les préconisations sont en effet dures à suivre. Le schéma fixe un objectif de 40 emplacements à créer sur la commune, pour le regroupement Marseille / Allauch / Plan-de-Cuques. Mais il annonce aussi que la seule aire existante, celle de Saint-Menet, va devoir être reconstruite et passer à 18 emplacements, contre 24 actuellement, pour des raisons liées à la prévention des risques d'inondations et technologiques. Une nouvelle aire d'une capacité de 46 emplacements deviendrait alors nécessaire. Par ailleurs, une aire de grand passage, d'une capacité de cent emplacements minimum, est aussi prescrite.

Une fête à l'aire de Saint-Menet lors de sa réouverture en 2018. (Photo : LC)

"On n'est pas fermés, mais on veut avoir une discussion plus large pour avoir des créations adaptées, reprend Audrey Garino. Sur l'aire de grand passage, je suis dubitative parce qu'il n'y a pas de vraie demande identifiée. Pour la création d'une nouvelle aire, il y a une réflexion à mener sur les conditions d'accueil et les tarifs, puisque aujourd'hui, celles qui existent sont sous-occupées."

Répondre aux nouveaux modes de vie des voyageurs

Avec ces préconisations, plus ou moins calquées sur le schéma de 2012, lui-même fortement calqué sur celui de 2002, se pose la question de leur adéquation avec le mode de vie des voyageurs en 2022. "Les collectivités missionnent des études sur le sujet, mais elles n'en tiennent pas compte dans le schéma", souffle Caroline Godard qui précise : "Elles n'avancent pas sur les terrains familiaux, ni sur les aires de grand passage", deux modes d'accueil qui diffèrent de l'aire d'accueil classique.

Les terrains familiaux locatifs sont présentés par les associations de voyageurs comme une alternative plébiscitée par beaucoup. Il s'agit de terrains privés, loués dans l'esprit du logement social, avec plusieurs stationnements, un accès aux fluides et une pièce en dur permettant d'installer une cuisine ainsi qu'un bloc sanitaire. Il est expliqué dans le schéma départemental que ces terrains "apportent une réponse à des gens du voyage qui souhaitent disposer d'un ancrage territorial à travers un lieu stable et privatif sans pour autant renoncer au voyage une partie de l'année".

Pour autant, à ce stade, il n'en existe aucun dans le département et le schéma ne prévoit pas de création au sein de l'aire métropolitaine. "Les terrains familiaux, c'est ce dont il y a le plus besoin si l'on écoute les associations", appuie Audrey Garino. À l'heure où beaucoup de voyageurs dénoncent l'état dégradé et le coût élevé du stationnement sur les aires, nombreux sont ceux qui choisissent de se regrouper sur des terrains privés, parfois de façon illicite, entraînant des complications légales avec les communes. Malgré sa to-do-list interminable, le schéma départemental passe à côté des aspirations des premiers concernés.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Cages dorées dans le metaverse.

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  2. Un urbaniste Un urbaniste

    Nomades de l’étourdissant bonheur d’enfants gras.

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  3. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Histoire.

    La Ciotat. Son bord de mer, son port, sa ZAC Athélia sur la colline qui domine la ville. Des vues superbes, des terrains à vendre, et des espaces publics occupés par les Gens du Voyage (qui ont tout ravagé).

    `Condition du Préfet pour que la Métropole obtienne un recours à la Force Publique pour les faire partir ? Avoir lancé sérieusement la conception de l’Aire d’Accueil prévue sur une ancienne casse auto, en contrebas de l’A8.

    Go donc : désignation d’un maître d’oeuvre par la Métropole, lancement formel des études. Go donc pour le Préfet, qui accorde le recours. Départ des Gens du Voyage.

    Et pendant ce temps, modification du PLUi par la Ville, la parcelle visée pour l’Aire devient inconstructible.

    Fin.

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    • Lisa Castelly Lisa Castelly

      Bonjour, cette modification ne semble pas avoir d’impact sur la construction de l’aire, qui a été confirmée lors du conseil municipal de juin si l’on en croit La Marseillaise.

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