Port-de-Bouc, la cité pauvre et tranquille qui traque le mal-logement

Reportage
le 11 Mai 2021
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Après Noailles, la métropole autorise l'extension du permis de louer, notamment à Port-de-Bouc. Plongée dans le centre ancien méconnu d'une des plus jeunes communes du département.

Un exemple d
Un exemple d'habitat ouvrier dont la façade illustre le manque d'entretien. Photo : B.G.

Un exemple d'habitat ouvrier dont la façade illustre le manque d'entretien. Photo : B.G.

Le confinement qui s’étire maintient le centre-ville de Porte-de-Bouc dans une douce torpeur. Peu de monde dans les rues, peu de masques sur les visages. Sur les quais aux terrasses fermées du port de plaisance, on se salue de loin. Entre les sculptures monumentales de Raymond Morales, les bâtisses de bord de mer aux allures de village mexicain et les bateaux de plaisance en carénage, on est loin de l’ambiance industrielle qui colle à l’histoire de la ville.

Un promoteur a planté son panneau en bordure du port de plaisance. Bientôt une Villa Marina massive viendra offrir une vue sur le bleu marin, les super-tankers en attente face à la forêt des cheminées du port pétrolier et la tour de 13 Habitat qui sert de fanal au centre-ville de cette jeune commune de 150 ans d’existence et 17 000 habitants.

Les statues monumentales du sculpteur local, Raymond Morales, jalonnent l’espace public. Ici, entre les quais des années 70 et un projet immobilier. (Photo: BG)

À son pied, le quartier de la Lèque s’étire jusqu’à la pointe de la presqu’île. La municipalité s’apprête à y expérimenter le permis de louer comme dans cinq autres îlots du centre, notamment autour de l’hôtel de ville. Ces cinq sites représentent à eux seuls 42 % du secteur locatif, soit 990 logements, dont la moitié louée par des bailleurs privés.

Après Gardanne, puis Noailles, le pays de Martigues

Mise en place à Noailles, à la suite des effondrements de la rue d’Aubagne, cette mesure de la loi Elan rend obligatoire une visite par la collectivité des logements avant leur mise en location. Un inspecteur de salubrité y vérifie s’ils respectent les normes en vigueur. Dans le cas contraire, les propriétaires sont sommés de réaliser les travaux avant d’en confier les clefs.

“Sur Port-de-Bouc comme sur Martigues, nous avons un attachement particulier à la question du logement, expose Nathalie Lefebvre, élue PCF de Martigues qui a porté cette délibération en conseil de territoire. C’est un enjeu de dignité humaine. Pour nous, un logement de qualité est un droit”.

Le permis de louer arrive donc en novembre pour une expérimentation de deux ans. “Un nouvel outil” dans une boîte institutionnelle déjà bien pleine : logements sociaux à la pelle, dispositifs d’éradication de l’habitat indigne, opération programmée d’amélioration de l’habitat et même projet de rénovation urbaine en cours de conventionnement.

Quand on se balade dans les rues calmes de la Lèque, on est loin des façades souvent décaties de la Belle-de-Mai, de Saint-Mauront ou de La Cabucelle. C’est ce qui fait dire au délégué général de fondation Abbé-Pierre dans la région, Florent Houdmon que “la priorité de l’extension du permis de louer n’était peut-être pas à Martigues ou Port-de-Bouc”. Pour lui, l’urgence marseillaise aurait dû s’imposer à la métropole : “Sans préjuger de la réalité du mal-logement dans ces deux villes, elle ne peut pas être comparée à ce qui se passe à la Cabucelle, aux Crottes ou à la Belle-de-Mai ou encore à Marignane où le centre ancien est quasiment à l’état de ruines.

C’est sans doute méconnaître le fonctionnement de la “métro”, qui a fait descendre au niveau des conseils de territoire une bonne part de ses politiques opérationnelles depuis la réélection de Martine Vassal à sa tête. “L’initiative vient de nos deux villes dans une logique de prolongation du travail initié sur le logement indigne, insiste Nathalie Lefebvre. À Martigues, les zones visées sont celles du centre ancien. On y trouve des propriétaires souvent mal informés de leurs obligations ou d’autres peu scrupuleux qui profitent du désarroi des plus faibles”.

Quartiers de bric et de broc

Les six îlots visés par le permis de louer présentés au vote.

Dans la traversée de la ville, on est plus volontiers marqué par les marqueurs culturels du communisme municipal : les fresques murales, la salle Youri-Gagarine ou l’avenue Maurice-Thorez qui traverse la Lèque. Entre les barres de Logirem ou de 13 Habitat, des petites maisons ouvrières, un peu de bric et de broc, témoignent tantôt d’un soin jaloux à l’entretien façon “villa sam’suffit”, soit d’un abandon manifeste qui glisse vers l’habitat indigne.

Une des particularités de la commune est cet habitat très divers, témoigne Séverine Mignot, l’architecte de la ville. Au moment de la rédaction du plan local d’urbanisme, nous avons essayé de qualifier le type d’habitat qui serait symbolique de Port-de-Bouc et nous n’avons pas réussi. On peut trouver des villas façon petits châteaux avec un jardin coquet, des maisons grecques à toit terrasse, d’autres très méditerranéennes avec leur cour intérieure. Chaque population est arrivée avec son type de bâti”. Quel que soit l”architecture, faute d’entretien, certains bâtiments se dégradent.

L’avenue Maurice-Thorez débouche sur la mer. À droite, la tour de 13 Habitat. Photo : B.G.

Au coin d’une rue de La Lèque, les façades décrépies se succèdent. Rue Paul-Leydet, l’une d’elles provoque un coup d’arrêt. Les fils électriques forment un écheveau complexe sur la façade dont l’enduit décroûté témoigne de l’abandon. À l’intérieur, c’est pire : au rez-de-chaussée, tout est vandalisé et dans les étages, un seul appartement est encore habitable.

Les oubliés du droit au logement

Sur son pas de porte, Pierre Fernandez peste. Il est le dernier locataire de cette petite maison. La porte de son minuscule domicile ne tient plus. L’intérieur oscille entre le dénuement et l’indécence. Dans un salon réduit à un canapé et une grande télé, il sort une liasse de papiers. “J’ai droit à un relogement DALO [droit au logement opposable, ndlr] depuis juillet 2020 et j’attends toujours, proteste le père de famille. J’ai trois enfants avec moi, je suis d’ici et c’est des familles de squatteurs de Marseille qui ont droit à des logements à notre place“.

Façade décrépie, branchement électrique sauvage, rez-de-chaussée à l’état de ruine, la famille de Pierre Fernandez se débat à cinq dans son T3. (Photo : BG)

À la maison des services au public, on connaît bien ce cas particulier. Son logement a déjà été visité et plusieurs solutions de relogement proposées. Un avis d’expulsion plane. Comme souvent, dans les cas de logements indignes ou indécents, les responsabilités se croisent entre locataire, propriétaire et contexte social et urbain tendu.

Son cas est suivi dans le cadre du protocole d’éradication de l’habitat indigne (EHI) mis en place depuis 2007 à l’échelle de la ville. “On est plutôt dans l’indécence que dans l’insalubrité, mais nous suivons ce locataire, comme le propriétaire”, rassure Aurélie Charpenel, responsable de l’EHI. “L’idée est justement de partir des constats établis dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne, poursuit son collègue Stéphan Rambaud qui co-pilote le nouveau pôle habitat de la Ville. Cela nous a permis de repérer les endroits où le permis de louer serait efficace”.

45% de logements sociaux

Dans cette ville où partout pointent les cubes et dominos des cités HLM, assurer un parcours résidentiel aux plus pauvres n’est pas toujours évident. “Nous avons 45 % de logements sociaux, c’est le record du département, se félicite Rosalba Cerboni, première adjointe (PCF) chargée du logement et de l’habitat. Mais nous avons aussi le plus grand nombre d’allocataires du RSA. Les six zones choisies pour le permis de louer correspondent à celles des quartiers de politique de la Ville”.

Un exemple du patrimoine ouvrier du quartier de La Lèque. (Photo : BG)

Cette situation particulière a des effets sur l’état du logement privé où viennent s’abriter ceux qui n’ont pas accès au HLM. “C’est vrai que nous voyons arriver des familles, parfois de Marseille qui trouvent à se loger dans ce type d’habitat et viennent ensuite nous voir en disant “Mes enfants sont à l’école, ici, je veux un logement social, raconte encore Rosalba Cerboni. Même si nous nous efforçons d’apporter une réponse à tout le monde, ce n’est pas si facile avec des logements sociaux vieillissants et une demande très forte.

À Port-de-Bouc, la boîte à outils est déjà bien pleine. Un instrument de plus n’est pas inutile pour assurer au plus grand nombre un habitat décent même si aucun des dispositifs ne permet à lui seul de chasser les marchands de sommeil du paysage. Dans un immeuble non loin de la maison des services au public, un arrêté d’insalubrité irrémédiable n’a pas empêché le propriétaire indélicat de louer à nouveau un des appartements.

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Commentaires

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  1. Brigitte13 Brigitte13

    Bonjour,
    Merci pour ce reportage dans cette ville si discrète. Saviez-vous qu’elle a recueilli l’Exodus et 2 autres navires transportant 4500 survivants de la SHOA, bloqués par la marine britannique l’été 1947 ?
    Que pensez de ce territoire métropolitain de 3 communes, dont sa voisine Martigues, du même bord politique et dont les richesses et/ou les outils ne semblent pas bénéficier Port-de-Bouc ?

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  2. Milene Milene

    J’ai longtemps habité Saint Mitre les Remparts.
    Merci de ce rappel important sur Port de Bouc ville solidaire.
    Dans les année 70 ces 3 villes avec Fos ont pris de plein fouet les effets pervers du mirage industriel de Fos (qui devait créer selon l’Etat 100 000 emplois) et qui ont du gérer seuls l’accueil des ouvriers qui ont construit les usines puis l’accueil des exilés de l’intérieur notamment les lorrains venus travailler sur le site.
    Dans ces années 70 les trois villes ont créé un SIVOM Syndicat intercommunal à vocation multiple à la même époque ou l’Etat imposait les villes nouvelles (Istres Fos et Miramas) . Deux types de partenariat à l’opposé. L’un volontaire l’autre imposé. L’Eta a alors arrosé les villes nouvelles et a très peu aidé les 3 autres.
    Un exemple .La coopération sur l’eau :
    A cette époque aussi une coopération a été mise en place pour la gestion de l’eau. Il a fallu se battre pour quitter le contrat avec la Régie des eaux de Marseille qui ne respectait pas ses obligations en terme d’ entretien du réseau et faisait payer le prix fort aux administrés. La gestion de l’eau a été municipalisé pour le grand bien des usagers
    Il y avait aussi coopération culturelle avec le bibliobus intercommunal et le Festival populaire Martigues Port de Bouc Saint Mitre les Remparts.
    Et de nombreuses autres coopérations intercommunales. La solidarité était évidente : Saint Mitre les remparts n’ayant aucunes ressources autre que les impôts liés au logement.
    Les élus des 3 villes se sont battus pour que les retombées de Fos (impôts entreprises) soient répartis sur toutes les communes qui avaient la charge d’accueil des salariés (école, logement ….). Sans succès.

    La répartition des recettes des villes notamment dues par entreprises relèvent du législatif de l’Etat. Cette disparité de revenus entre les villes est présente sur tout le territoire national

    Aujourd’hui on impose une coopération forcée : la mise en place de la métropole avec une dépossession progressive du rôle des élus municipaux et de la participation des citoyens. La suppression de la taxe d’habitation avec une conséquence importante pour la capacité des villes à gérer leur territoire.
    La Métropole a t’elle fait avancer d’un iota l’inégalité territoriale.
    MHB

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