Plombé par la violence, le centre social de La Solidarité ferme “définitivement” ses portes
La Ligue de l'enseignement a décidé ce mardi de "la fermeture définitive" du centre social de la Solidarité, à Notre-Dame-Limite (15e). Cette décision intervient après une série d'incidents graves avec le réseau de narcotrafic tout proche, et des années de tensions. Une telle fermeture est inédite à Marseille.
L'entrée du centre social, aux rideaux baissés. Seuls la crèche et l'Espace lecture restent ouverts. Photo : B.G.
Il y a de la gaîté dans le camaïeu orangé qui pare les façades des locaux associatifs de la Solidarité (15e). La grande barre de plain-pied forme une sorte d’escalier jusqu’à la grande place centrale qui traverse la cité. Il y a quelques mois à peine, les pouvoirs publics se félicitaient de la rénovation à grands frais des locaux associatifs qui y nichent. Mais sur le rideau tiré du centre social, une nouvelle plus triste provoque l’émoi dans le quartier : la Ligue de l’enseignement, qui gère le centre social depuis plus de trente ans, y annonce une réunion publique pour expliquer les raisons de la fermeture de la structure.
Mardi 8 octobre, le conseil d’administration de la fédération d’éducation populaire, qui gère de nombreuses structures à Marseille et dans le département, a pris la décision de fermer définitivement le centre. De mémoire de travailleur social, de militant ou de journaliste, c’est une première : la fermeture d’un équipement social pour des raisons de sécurité, liées à l’omniprésente mainmise du réseau de trafic de stupéfiants sur le quartier.
“Crève-cœur”
“Pour nous, c’est un véritable crève-cœur, reconnaît Karim Touche, le directeur de la Ligue dans le département. Pour les administrateurs d’un mouvement d’éducation populaire, c’est une décision difficile. Mais notre première mission est de protéger les salariés. Cette décision de fermeture définitive intervient après une série d’incidents très graves qui avaient déjà entraîné des fermetures temporaires. Cette fois-ci, ce n’est plus possible.” Il se refuse à commenter plus avant la situation concrète traversée par la structure, réservant son expression aux habitants lors d’une réunion, programmée cette semaine.
Mardi, durant le conseil d’administration de la Ligue, la décision a été prise à l’issue d’une longue discussion. Dans la foulée, l’ensemble des partenaires de la convention cadre des centres sociaux a été alerté : l’État, la Caisse d’Allocations familiales, le département, la métropole et la Ville de Marseille. Joint par le directeur, Ahmed Heddadi, l’adjoint au maire délégué aux centres sociaux, ne s’en remet pas : “Je ne peux pas m’y résoudre, même si je comprends les raisons qui poussent à cette décision. Notre préoccupation en tant que financeur est bien entendu la sécurité des salariés qui viennent tous les jours travailler dans ce quartier.”
Quadrillage systématique
Ce jeudi, l’adjoint a écrit au préfet de région, Christophe Mirmand, en l’absence d’un préfet délégué pour l’égalité des chances, après le départ précipité des deux derniers fonctionnaires en poste, pour demander une réunion de l’ensemble des partenaires de la convention cadre. La préfecture de région va organiser dans les jours prochains une réunion avec l’ensemble des partenaires publiques.
Quant à la préfecture de police, elle a, dès vendredi, pris la mesure de l’impact d’une telle fermeture, en tentant d’y apporter des réponses. “J’ai rencontré dès lundi les responsables de la Ligue de l’enseignement pour évoquer la situation sécuritaire, explique Yannis Bouzar, le directeur de cabinet adjoint du préfet de police. Nous avons proposé un accompagnement à l’ensemble des personnels qui ont été victimes de menaces. Par ailleurs, il est intolérable qu’un équipement aussi important qu’un centre social ferme pour des raisons sécuritaires. Tous les moyens sont mis en œuvre pour mettre en difficulté ce point de deal tenace“. Deux interpellations ont eu lieu à la Solidarité ce jeudi, affirme la préfecture.
Les deux sièges de guetteurs qui trônent à l’entrée de la Solidarité témoignent du quadrillage systématique que le réseau impose dès le matin. Tout le monde est contraint de s’adapter à cette réalité. Les gardiens d’Unicil, le bailleur social, ont vu leur rythme de travail modifié, là encore pour des raisons de sécurité. Ils commencent à 7 h 30 et finissent à 15 h 30, le ballet de la clientèle s’accélérant le soir venu.
Le moindre visiteur inconnu est scruté. Un guetteur nous demande ainsi de soulever la veste pour vérifier qu’on n’y cache pas une arme ou l’attirail d’un policier. Les rares habitants qui circulent rasent les murs, notamment aux alentours de la grande dalle qui sert de place. Les différentes associations qui y avaient leurs locaux ont tiré rideau. Il ne reste pour l’heure que la crèche, elle aussi gérée par la Ligue de l’enseignement, et les locaux de l’espace lecture qui n’ouvre que l’après-midi. Déjà, par le passé, la crèche avait été contrainte de fermer du fait de la présence toute proche du réseau, dans un escalier qui permet de passer d’un bâtiment à l’autre. À l’époque, l’équipement avait rouvert et le réseau reculé de quelques mètres. À l’endroit où les vendeurs s’affairent, un autre rideau tiré : celui d’une association, Jeunesse solidarité, qui a brutalement fermé ses portes, sans qu’on en comprenne toutes les raisons.
Anniversaire à la salle polyvalente
Le quartier bruisse de rumeurs contradictoires. Mais, là encore, les pouvoirs publics étaient tous présents pour l’inauguration des locaux de Jeunesse solidarité, en grande pompe, en présence notamment du préfet délégué pour l’égalité des chances. Le fondateur de la structure, pourtant un enfant de la Soli, n’y a plus remis les pieds. Là encore, des intimidations seraient à l’origine de son départ.
Les derniers jours ont été particulièrement éprouvants pour les salariés du centre social. Le point culminant de ces tensions qui durent depuis des années a été atteint jeudi 3 octobre. Des jeunes, réputés proches du réseau, voulaient à toute force récupérer les clefs de la salle polyvalente gérée par le centre social, pour y célébrer un anniversaire. Or, comme toute salle de ce type et pour d’évidente raison de responsabilité civile, la location à titre privé y est impossible. Les deux derniers salariés encore en activité au centre ont été clairement menacés. L’ensemble des autres employés ont les uns après les autres déposés des arrêts maladie.
“Casse-toi”
La nouvelle directrice est, elle-même, en arrêt. Par deux fois, elle a vu les quatre pneus de sa voiture crevés. Son véhicule a aussi été tagué d’insultes et d’un “casse-toi” sans ambiguïté. Bien sûr, là encore, on trouve toujours des voix discordantes qui pointent un caractère hautain, un manque d’empathie. Mais c’est de problèmes bien plus graves dont il est ici question. Le centre social est aussi un point “France services”, censé rapprocher à peu de frais les services publics des administrés.
Les seuls commerces ouverts sont la pharmacie à l’entrée de la cité et la petite épicerie solidaire, gérée par l’association Un fil de soie. Cheveux blonds coupés courts, Olfa reçoit tout le monde dans sa petite boutique qui ouvre sur un panorama à couper le souffle. On y voit les équipements flambant neufs, stade en synthétique, terrain de boules, financés dans le cadre du projet de renouvellement urbain. Olfa accueille, une par une, les personnes âgées qui avaient leurs habitudes au centre. “Maintenant, ce sont mes bénévoles, rigole l’énergique militante. C’est vrai qu’avec la nouvelle directrice, c’était plus compliqué qu’avec ses prédécesseurs. Ici, tout le monde regrette Abdel, parti il y a deux ans. Et, souvent, il faut que je me débrouille toute seule pour faire partir nos aînés en voyage, organiser les fêtes pour Halloween ou Noël.”
Les finances de la structure en berne n’ont pas facilité, non plus, les relations avec les partenaires locaux et les habitants eux-mêmes, souvent désargentés. “Ils nous ont dit qu’on aurait une réunion la semaine prochaine, soupire une maman. J’espère qu’ils vont rouvrir la salle, mon fils a karaté.” Pour l’heure, l’annonce du caractère définitif de la fermeture n’a pas encore circulé. Quand ça sera le cas, elle risque de faire grand bruit.
Actualisation le 11 octobre 2024 à 17 heures : ajout de la réaction de la préfecture de police
Commentaires
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on peut comprendre.
mais quels sont les résultats du plan “place nette xxl”, il a été lancé au début de l’année, en mars je pense.
y-a-t-il un dernier bilan des 6 mois écoulés ?
ce plan anti narcotrafics est-il poursuivi ?
ou bien etait-ce encore un enième plan un peu bidon beaucoup com ?
on a quand même l’impression que l’emprise de ces bandes devient de plus en plus prégnantes dans ces quartiers déshérités et largement abandonnés par ailleurs.
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Ils sont peut-être abandonnés maos on conserve un sacré angle mort sur la manière dont les habitants traitent les gens qui bossent dans ces endroits.
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Il est certain que le budget de l’État réduit de 60 milliards d’euros ne va aider à solutionner le grave problème du narcobanditisme.
Dommage d’abandonner du terrain à ces voyous.
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S’agit-il d’un nouveau recul de la ” République” ? Les coups de menton depuis Sarko et son karcher, en passant par Darmanin et maintenant Retailleau semble vain. Allez savoir pourquoi !
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Je sens que vous avez une petite idée que vous brûlez de nous exposer:)
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C’est effectivement un recul complet de la République…
Qui ne manquera pas de gonfler le vote RN .
La vraie question est : que peut on faire?
Peut être donner son indépendance à ce territoire et y coller des frontières? Non, je blague bien sûr…
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dans tous les cas, c’est une solution globale qu’il faut pour ces quartiers abandonnés -je maintiens- et ce depuis de nombreuses années.
on peut multiplier les coups de com de “place nette xxl”, ou bien les descentes et virées régulières de police ou même de l’armée !!
tant qu’on ne rénovera pas, qu’on ne re-installera pas des services publics, des commissariats de proximité, qu’on n’organisera pas de mixité sociale, et qu’on n’interviendra pas au niveau national sur les narcotrafiquants(….etc.) la situation sera inchangée, et aggravée.
la liste est longue mais ce sont des modifications structurelles qui sont nécesssaires.
tout le reste, ce sont juste des rustines, utiles, certes, mais un petit coup et ça repart de plus belle.
pareil pour le marché sauvage du capitaine gèze.
alors oui, pourquoi pas l’indépendance…un mur peut être !
je blague aussi, mais le mur, on en n’est pas loin !
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N’oubliez pas les consommateurs, ceux qui rendent l’infraction trop profitable, et notamment qui ceux prennent leur dose de “récréatif” sur le dos de gens moins favorisés . S’il y avait un mur, la première chose qui arriverait ensuite serait une porte pour les clients et une autre pour les vendeurs..
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