Photographes de père en fils depuis 120 ans, les Ely créent “les archives d’Aix de demain”

Bataille de boules de neige sur le corus Mirabeau en 1928. (Crédit : studio Ely)

“Rater le fonds Ely ça aurait été comme rater Cézanne à Aix-en-Provence.” Les archives de la famille Ely à Aix se composent de près de deux millions de clichés immortalisés depuis 1888 par quatre générations de photographes de père en fils. Cette aventure aurait toutefois pu s’arrêter en mars 2023 avec la fermeture de leur studio ouvert en 1903 en plein centre historique au cœur du passage Agard. Pourtant, la lignée Ely a marqué la ville en capturant pendant 120 ans des moments de la petite et de la grande histoire afin, selon l’expression de Bruno Ely, de créer “les archives pour la ville d’Aix de demain” sous la forme d’un musée ouvert à tous.

Il faut rendre ces archives vivantes. Si c’est pour les poser sur des étagères ce n’est pas intéressant.

Jean-Eric Ely

La localisation de ce centre artistique et la coopération qui sera mise en place entre les deux parties font encore l’objet de discussions avec la municipalité. Ce qui n’empêche pas la famille Ely de se projeter. “Dans mes rêves, cet espace serait constitué d’une exposition permanente sur « Aix à travers les siècles » et de deux grandes rétrospectives par an, une plus aixoise et une plus grand public sur des sujets plus larges, détaille Jean-Éric Ely, dernier photographe de la lignée. Il faut rendre ces archives vivantes. Si c’est pour les poser sur des étagères, ce n’est pas intéressant.” L’artiste imagine des écrans avec des images numériques ainsi que des tirages au format papier. Des ateliers pour expliquer les techniques, aussi bien anciennes qu’actuelles, avec des cours d’argentique et de numérique, ainsi qu’une présentation des différents appareils au fil du temps.

Une succession d’histoires à partager

Henry Ely – Crédit : fonds Ely Aix

En attendant de découvrir ces photographies au sein d’un musée, les descendants Ely ont partagé avec Marsactu les secrets de quelques-uns des clichés du fonds pour en apprendre plus sur leur histoire, et celle d’Aix-en-Provence. Car la question de l’héritage est au cœur de leur travail au fil des générations. La première image représente donc Henry Ely, le photographe à l’origine de la création du studio. “On recevait les clients comme des amis, explique Bruno Ely, par ailleurs conservateur au musée Granet. On voit déjà l’accumulation qui sera la succession des générations.”

Avec Jean-Éric, un nouvel espace est aménagé pour faire des clichés d’identité. Une autre façon de collecter des images des habitants. Jean-Éric sera le seul à utiliser le numérique dans son travail, notamment pour le journal La Provence. “La chaise où j’ai fait des portraits encore récemment, vous la retrouvez aussi dans des photographies de 1914”, confie Jean-Éric. Une constance malgré les décennies qui passent. “Au fur et à mesure des déménagements on a reconstruit l’histoire”, poursuit Bruno Ely. Des notes manuscrites de leurs aïeux ont ainsi rejoint la collection.

Carnaval sur le cours Mirabeau au début du 20e siècle. (Photo : Fonds Ely)

Autre temps fort de la vie aixoise, dûment documenté par les différentes générations de photographes : le carnaval (photo ci-dessus). “Toute la famille venait défiler sur le cours Mirabeau”, sourit Bruno, en montrant une deuxième photo issue du fonds familial. Les Ely comme Cézanne lui-même, participaient à l’événement. “Dans les milliers de personnes réunies sur ce cliché il doit y avoir Cézanne”, laisse ainsi planer le conservateur. Au-delà de l’anecdote historique, cette photographie représente une vraie prouesse technique pour l’époque. Perché en hauteur de manière sûrement instable, Henry a dû attendre un long moment pour stabiliser son appareil et obtenir cette netteté de champ.

(Photo: studio Ely)

Bruno s’arrête ensuite sur une autre image, moins nette que la précédente. Il s’agit de la condamnation à mort d’un homme en 1934. Cette exécution sur la voie publique fut la dernière à Aix-en-Provence et l’avant-dernière en France. “C’était interdit de photographier ces moments, alors Hugo s’était planqué chez un ami, raconte Bruno. À 5 heures du matin dans le brouillard, il a fait cette photo.” Hugo a capturé beaucoup de moments de l’histoire contemporaine. De l’arrivé de Philippe Pétain, à celle du char d’assaut américain Sherman lors de la Libération, en passant par la visite du premier président de la Ve République, Charles de Gaulle. Des moments de la grande Histoire de France qui seront dans le futur, exposés à Aix-en-Provence. “Il y a des choses plus moins glorieuses, rappelle le conservateur. Mais toutes font aussi partie de l’Histoire de la ville.”