Peggy Derder : "Les enfants d'immigrés sont plus discriminés que leurs parents"

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le 25 Avr 2014
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Peggy Derder : "Les enfants d'immigrés sont plus discriminés que leurs parents"
Peggy Derder : "Les enfants d'immigrés sont plus discriminés que leurs parents"

Peggy Derder : "Les enfants d'immigrés sont plus discriminés que leurs parents"

Historienne de formation, Peggy Derder est à la tête du département Éducation du musée de l’histoire de l’immigration depuis trois ans. Cette ancienne professeur d'histoire-géographie vient de faire paraître "Idées reçues sur les générations issues de l'immigration" qui a pour ambition de déconstruire les images toutes faites qui collent à la peau des Français nés de parents étrangers. Elle est ce vendredi à 16h30 l'invitée de l'association Approches, cultures et territoires pour un débat à l'Alcazar.

Qui sont ces jeunes que l'on présente comme issus de l'immigration ?

D’un point de vue statistique, ce sont les descendants d’immigrés, c’est cette appellation qui est retenue par l'INSEE dans l’étude "Trajectoires et origines" sur laquelle je me suis beaucoup appuyé. La définition officielle est « une personne née en France, d’un ou de deux parents qui y a immigré ». Mais, dans les représentations, dans les discours, on va attribuer ce qualificatif à des gens qui sont là depuis très longtemps, dont les grands-parents ou parfois même les arrières grands-parents sont nés en France. Je pense aux Algériens. L’immigration algérienne c’est 4000 à 5000 personnes en France dès 1912, principalement à Marseille. Cette immigration très ancienne est sans cesse renvoyée à une extranéité. Quand on parle de 4e génération cela n’a aucun sens. Ces personnes sont françaises.

Quelles sont les principales idées reçues sur ces générations issues de l’immigration ?

Elles sont nombreuses. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai voulu faire ce livre qui appartient à une collection qui se donne pour objectif de déconstruire ces idées reçues. Je me suis posé la question de savoir s'il y avait des clichés ou des stéréotypes spécifiques qui étaient liés aux générations issues de l’immigration et s'ils rejoignaient d’autres clichés concernant les immigrés en général. Effectivement, je me suis très vite aperçue qu'il existe des clichés spécifiques par exemple sur l’échec scolaire. C’est un stéréotype qui revient très régulièrement, y compris dans la bouche de certains responsables politiques. La question de la délinquance également revient très fortement même si elle n'est pas liée seulement aux enfants issues de l’immigration. En tant qu'historienne, j’ai voulu à la fois avoir une approche sociologique et historique pour voir s’il y avait une continuité dans ces clichés ou si, au contraire, de nouveaux stéréotypes étaient apparus. Par exemple, la question de la délinquance ne relève pas du tout d'un un cliché récent. Au XIXe siècle, c’était l’Italien qui incarné le cliché. Par exemple, à Marseille, en 1881 se déroule ce qu'on a appelé les vêpres marseillaises. Lors du passage d'une manifestation, certains ont entendu un groupe de personnes siffler la Marseillaise. A priori, il s'agissait d'ouvriers italiens, cela a été l'élément déclencheur d'une véritable chasse à l'Italien. Même s'il ne s'agissait pas spécifiquement de délinquance, l'Italien était perçu comme l'anarchiste, le fauteur de troubles, voire même le terroriste qui pouvait préparer des attentats. On peut voir donc que ce stéréotype très fort a voyagé au cours de l'histoire et se focalise aujourd'hui sur certains jeunes issus de l'immigration. 

En quoi s'agit-il d'idées reçues ?

Elles ne résistent pas à l’examen des faits. Les études, les statistiques et les témoignages les démentent. Prenons par exemple la question de l’échec scolaire, on fait passer le critère dit ethnique avant le critère socio-économique. Cependant, on retrouve les mêmes taux de réussite qu’on soit jeunes issu de l’immigration ou pas. En ce qui concerne la délinquance, le sociologue Laurent Mucchielli a très bien montré à quel point le critère socio-économique se vérifie. Seulement, les personnes d’origine étrangère sont plus contrôlées que les autres. C'est ce qu'on appelle les contrôles aux faciès.

Et qu'en est-il du chômage de ces jeunes ?

Le chômage se vérifie encore une fois pour des raisons socio-économiques. Les études montre que les enfants issus de l’immigration sont souvent moins qualifiés que les autres. Le risque est donc plus fort pour un jeune de parents immigrés d'être au chômage. Et puis, il y a la question des discriminations, c'est une réalité très forte.

Quand commence-t-on à parler de génération ?

Le tournant est la marche pour l’égalité et contre le racisme, en 83, qu’on a appelé ensuite la marche des Beurs. Cette figure du Beur est très importante. Elle émerge vraiment dans le débat public à ce moment-là. Pour la première fois, ces jeunes accèdent à une visibilité. Qu'ils soient d’ailleurs issus de l’immigration ou pas, ils se battent pour revendiquer un certain nombre de droits. Ces jeunes sont Français et entendent rester en France. Cette question des enfants issus de l’immigration a longtemps été refoulée, parce que l'immigration était vue comme provisoire : les familles immigrées n’étaient pas destinées à s’installer en France. Le tournant commence dans les années 70 avec la loi sur le regroupement familial. Les familles vont s’installer durablement, et on va commencer à se poser des questions. Abdelmalek Sayad parle de "l'illusion du provisoire". Les pouvoirs publics ont toujours pensé que ces familles allaient repartir. Et les familles elles-mêmes vivaient avec ce mythe du retour, qui était vécu comme un espoir à l’époque. Les marcheurs de 83 disent très bien qu’ils veulent rester en France mais, dans leur témoignage, ils disent qu'ils ont grandi avec l'idée qu’ils repartiraient un jour dans le pays de leurs parents.

Première, deuxième, troisième et quatrième… Jusqu'à quelle génération va-t-on remonter ?

Cette question renvoie à celle de l’altérité. L’immigration européenne est assez forte et pourtant on ne dit pas à un Italien ou un Espagnol qu’il est de la première ou de deuxième génération. Ce renvoi à l’altérité est marqué par la couleur de la peau. Cette question est fondamentale. Ainsi les descendants des territoires d'outre-mer qui sont là depuis très longtemps ont le même vécu, la même expérience – y compris de discrimination – que les gens issus de l’immigration africaine ou maghrébine. Si on prend les études sur la discrimination, le premier critère est la couleur de peau, on n’a encore du mal à se figurer qu’un Maghrébin est Français. Cela correspond à la manière dont la République s’est pensée. C'est aussi la schizophrénie française : le modèle républicain se veut indiffèrent aux différences, tout le monde est citoyen. Mais en même temps dans les représentations, les discours, il y a ce renvoi à l’altérité qui est très fort. Si on reprend l’exemple des marcheurs, eux ne se sont jamais désignés comme Beurs. Aujourd’hui on entend partout parler des 30 ans de la marche des Beurs. C’est intéressant de voir comment cette figure c’est construite. Si vous prenez les photos de l’époque, vous ne verrez nulle part marqué « la marche des beurs », pourtant à l'époque les beurs étaient l’espoir de la société française.

Jusqu’à quand va t-on parler des jeunes issus de l’immigration ?

C’est difficile à prévoir. Il y a des facteurs optimistes, si je prends par exemple l’immigration arménienne, ce sont des générations qui réussissent, le taux des diplômes augmentent, ils aiment leurs pays et n'ont pas de rejet fondamental ni de communautarisme. Et sur une base religieuse, les gens qui veulent disposer d’un lieu de culte c'est la loi de 1905 sur la laïcité. Je pense notamment à la question des carrés musulmans. Ce sont des gens qui veulent être enterrés dans leur pays et le fait de penser que c'est du communautarisme, c'est fou. Ce sont des logiques d’oppositions et c'est dommage alors que dans les faits, il y a un vivre ensemble en France. Je ne pensais pas vérifier l'idée reçue selon laquelle les enfants d'immigrés sont plus discriminés que leurs parents, bien au contraire. Sur la question de leurs droits, ces jeunes ont une exigence de respect des lois que n'avaient pas leurs parents. On mesure mieux les discriminations, on sait qu’un enfant issu de l’immigration sera plus discriminé à qualification égale que d’autres et ça se vérifie. Effectivement il y a des clivages très fort.

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    Il semble que ce soit effectivement le cas .. et pas pour le laisser aller de certains jeunes mais par une envie de tout dénigrer et en avant la xénophobie !! et les roms et etc etc

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  2. Patrick Patrick

    Si on ne dit pas des Espagnols/Italiens /Arméniens qu’ils sont de la deuxième ou troisième génération, c’est peut-être tout simplement parce qu’après seulement une génération ils se sont fondus dans la société française ce qui n’est pas le cas des populations venues du Maghreb, qui après deux ou trois générations continuent à vouloir vivre comme au bled, et souvent à garder la double nationalité. Quant au monde du travail, aux études au milieu socio-économique et à la délinquance, autoriser en France les statistiques ethniques permettrait peut -être de voir clair sur beaucoup de points.

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  3. JL41 JL41

    Intéressantes ces analyses qui vont à contre-courant d’attitudes non réfléchies et peu documentées. J’en prends d’ailleurs de la graine. Je m’attendais à voir citer Mucchielli, ce qui n’a pas manqué. Je suis allé lire son texte, intéressant lui aussi et bien travaillé pour paraître dans un journal de la gendarmerie (joli coup). Je lirai votre bouquin Peggy Derder. J’ai plus de mal avec Mucchielli, soutenu par un franc culte de la personnalité.
    « Le propre de l’analyse scientifique comme de toute rigueur professionnelle, est au contraire de restituer la réalité dans toute sa complexité, quitte à modifier nos idées si celles-ci s’avèrent trop simples. » nous dit-il en préambule, une définition qui me plait bien et finalement tolérante, puisque toute simplification peut être dénoncée par quelqu’un d’autre. C’est bien pour cela qu’il faut instruire à charge et à décharge, ce que vous avez sans doute fait l’un et l’autre ?
    Mais il faudrait aussi que les travaux d’autres chercheurs, qui ont exprimé des idées différentes, ou qui le feraient s’ils étaient subventionnés, puissent être rapprochés de vos analyses. Je préfère être en position d’arbitre que de devoir prendre ce qui vient de l’université pour argent comptant.

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  4. JL41 JL41

    Le bouquin n’est plus disponible en librairie

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