[Nous, la politique] “Aucun projet ne sera finalement soutenu par 50% de la population”

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par Coralie Bonnefoy & Suzanne Leenhardt
le 23 Avr 2022
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Avant le premier tour de l'élection présidentielle, Marsactu est parti à la rencontre de différents groupes de personnes pour sonder leur relation à la politique et aux politiques. Pour conclure cette série, à l'aube du second tour, nous avons retrouvé plusieurs de ces témoins.

Chefs d
Chefs d'entreprises, femmes engagées à La Castellane, infirmiers en service de réanimation ou chasseurs de Fos-sur-Mer, ils reviennent sur les résultats du premier tour et les enjeux du second. (Photo Marsactu)

Chefs d'entreprises, femmes engagées à La Castellane, infirmiers en service de réanimation ou chasseurs de Fos-sur-Mer, ils reviennent sur les résultats du premier tour et les enjeux du second. (Photo Marsactu)

“Le candidat idéal, ce serait peut-être un mélange des idéaux de tous ceux qui se présentaient. Mais alors, est-ce qu’on pourrait dire que la politique existe encore ?” Sasha Jaufeeraully, lycéen de la 1ère Mistral au Cours Bastide, disserte doctement sur les résultats du premier tour de l’élection présidentielle et les enjeux du second. Le jeune homme de 15 ans fait partie des élèves qui ont pris part à l’opération “L’Elysée au lycée” qui a accueilli Fabien Roussel et Nicolas Dupont-Aignan et que Marsactu a en partie suivie.

“Les élèves nous ont épatés par leur investissement. J’aurais cru qu’ils seraient moins motivés au vu de la campagne misérable à laquelle on a eu droit”, cadre Michel Lopez, le chef d’établissement, très heureux de l’adhésion des lycéens. Membre de la “commission Mélenchon”, Sasha le confirme : avec ses camarades, il a eu plaisir à s’immerger dans ce grand bain de la politique, “auquel on n’est pas du tout préparé”, résume-t-il. Pour autant, le jeune homme ne se dit pas impatient de bientôt voter, pas encore tout à fait prêt à assumer “une opinion précise sur le monde politique.”

Il y a eu beaucoup de votes Mélenchon, ici. On s’attendait à ce qu’il passe… Mais finalement, c’est le même scénario qu’il y a cinq ans. On dirait le même film

Cherifa, électrice à La Castellane

À l’issue du premier tour, qui songerait à lui en vouloir ? Beaucoup d’électeurs, plus âgés et plus aguerris, s’annoncent déçus, sinon surpris par les résultats. À La Castellane, les femmes que Marsactu a rencontrées – très engagées socialement dans la vie de leur quartier – regrettent la troisième place de Jean-Luc Mélenchon. “On a toutes voté pour lui, soupire Cherifa. Il y a eu beaucoup de votes Mélenchon, ici. On s’attendait à ce qu’il passe… Mais finalement, c’est le même scénario qu’il y a cinq ans. On dirait le même film.”

Triple polarité inédite

Bien sûr, les deux qualifiés pour le second tour, Emmanuel Macron (La République en marche) et Marine Le Pen (Rassemblement national) sont les mêmes qu’en 2017. Pourtant, à l’analyse des résultats de 2022, des différences se font jour et disent de profondes mutations du paysage politique français. “L’effondrement de la droite et de la gauche traditionnelles, associé à l’émergence d’une triple polarité inédite vient bien changer la donne”, pose Manuel Paris, 34 ans et PDG de Soream. Croisé, il y a quelques semaines avec d’autres membres du Centre des jeunes dirigeants (CJD), il assume avoir voté pour le sortant dès le premier tour. “Après, cela donnera sans doute un quinquennat passionnant mais difficile. Parce qu’aucun projet ne sera finalement soutenu par 50% de la population. Forcément, ça risque de peser sur la légitimité du futur président.”

Ces gens se sont mangé le foie pendant des mois et là, d’un coup, ils sont tous amis. Le front républicain, C’est pas cohérent, c’est du copinage!

Christophe, chasseur fosséen

Pendant l’entre-deux tours, a ressurgi, comme rituellement depuis 2002, la question du front républicain pour faire barrage à l’extrême-droite. Ce concept, Christophe Sassarone et Thierry Brian s’y opposent. Le premier est président de l’association des chasseurs de Fos-sur-Mer, le second, un de ses membres actifs. “Moi, je n’adhère pas du tout. Ces gens se sont mangé le foie pendant des mois et là, d’un coup, ils sont tous amis. C’est pas cohérent, c’est du copinage ! Mélenchon, vous vous souvenez comme il parlait de Macron pendant la campagne ? Maintenant il veut être son premier ministre”, pique le président. Thierry Brian complète, tout aussi irrité : “C’est trop facile de dire: “on se ligue tous contre elle [Marine Le Pen]“. Si les autres faisaient leur travail, ça se saurait. Ce parti a un poids et pointe des problèmes que personne n’arrive à résoudre. Et moi, je n’ai pas besoin qu’on me dise ce que je dois faire. “

Pas de “ni ni”

À l’opposé, plusieurs témoins sollicités par Marsactu feront le choix de voter pour Emmanuel Macron, qu’ils l’aient ou non adoubé dès le premier tour. “En 2002, j’ai mis un bulletin Chirac dans l’urne. Je m’en souviens bien, c’était le jour de mes 25 ans. Chirac, ce n’était pas mes idées, mais je n’en étais pas malade”, se remémore Erwan Lamour, président du CJD. “Et cette fois, je voterai Macron contre Le Pen, comme j’aurais voté Pécresse contre Le Pen et, sans hésitation, Mélenchon, contre Le Pen”, poursuit le dirigeant d’entreprise. “Je fais très bien la différence entre les convictions qui sont un peu loin des miennes et celles qui sont très très loin des miennes!”

Macron et Le Pen, on ne peut pas dire que c’est la même chose. En cinq ans, il n’a sans doute pas tout bien fait. Mais Le Pen, ce serait tellement pire!

Maxime, infirmier

Barrer la route à Marine Le Pen sera de la même manière “le principal enjeu” qui fera se déplacer Maxime, infirmier au service de réanimation de l’Hôpital Nord, jusqu’à l’isoloir dimanche. Au premier tour, le soignant avait opté pour Jean-Luc Mélenchon. Il est un peu déçu que le patron des Insoumis finisse à la troisième place. Mais pas question pour autant de “ni-ni”, pour le second tour. “Non, non, non ! Macron et Le Pen, on ne peut pas dire que c’est la même chose. En cinq ans, il n’a sans doute pas tout bien fait. Mais Le Pen, ce serait tellement pire ! On l’a vu au débat : elle ne maîtrise rien.”

Audrey, aixoise de 25 ans que Marsactu avait suivi lors d’une session de collages féministes, ira également faire barrage “à contrecœur“. “Malheureusement, avec ce système politique, si je m’abstiens ou je vote blanc, ça donne des voix à l’extrême-droite“, soupire la jeune femme qui avait donné sa voix au candidat de la France Insoumise au premier tour.

“Programme de haine”

Et puis, surtout, prolonge Maxime, “Le Pen au pouvoir, ce serait une catastrophe, au niveau de libertés de chacun. Imaginer qu’elle supprime l’aide médicale d’État pour les plus vulnérables, c’est n’importe quoi. Ou qu’elle mette en place l’interdiction du voile dans la rue, moi qui suis athée, je trouve ça scandaleux.” Sur la même ligne, Cherifa voit dans le projet de Marine Le Pen “un programme de haine, et pas un programme de président qui veut construire la France”. La femme de La Castellane croise les doigts. “Mais elle va pas passer, j’en suis sûre à 99% ! Ça fait des années qu’elle essaie”, veut-elle croire.

Même affirmation chez Audrey. Pourtant, la militante craint les conséquences d’un tel résultat. “Si elle passe, tous nos droits seront remis en cause. Quand elle parle d’IVG de confort, ça me donne de l’urticaire !“, s’alarme-t-elle. Sur les questions féministes, elle n’a guère d’espoir sur le potentiel prochain quinquennat d’Emmanuel Macron. “Pour reprendre son expression, ce qu’il a fait pour notre cause : “c’est de la poudre de perlimpinpin”, plaisante-t-elle. J’en ai discuté avec des féministes et des alliés [des hommes, NDLR], on est plus dans le même état d’esprit. Cette fois, on va arrêter de demander des droits, mais on va les prendre“.

Pour le chef d’entreprise Erwan Lamour, une victoire de l’extrême-droite serait “terrible, inquiétante, décadente, triste…”  À l’inverse, l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir de la cheffe du Rassemblement national ne taraude pas plus que ça Christophe Sassarone. “Non, je ne serais pas inquiet. Je pense que l’un ou l’autre, ça ne changerait rien pour moi. Qui que ce soit, il n’y a jamais personne qui tienne son programme. Par exemple, Macron avait dit qu’il n’y aurait plus un Français qui vivrait dans la rue. Je crois qu’il y en a toujours autant. Il a promis qu’il ne toucherait pas aux retraites et il fait reculer l’âge de départ.” Le chasseur assure qu’il va voter blanc au second tour. 

“Mélenchon à Matignon? Pourquoi pas?”

Comme dans les états-majors, les électeurs du territoire savent aussi qu’une fois le second tour plié, une autre bataille va s’engager. Celle des élections législatives qui, les 12 et 19 juin prochains, éliront les 577 députés de la XVIᵉ législature de la Cinquième République. Au cours Bastide, le chef d’établissement, Michel Lopez, cogite et imagine déjà un nouvel événement pour donner aux élèves l’envie d’être acteurs de la vie démocratique de demain. Il ambitionne désormais d’organiser “un grand débat avec des représentants des circonscriptions et des différents partis” en lice. Cherifa et ses amies sympathisantes Insoumises de La Castellane ont digéré leur déception. Elles se mobilisent de nouveau : “Oui, on va voter ! Et on va motiver tous nos jeunes”, dit-elle.

Manuel Paris, le jeune dirigeant d’entreprise, voit dans l’appel du leader de la France insoumise à l’élire à Matignon au cours de ce troisième tour, “une erreur de lecture”. Il explicite : “Les législatives ce ne sont pas que des élections nationales. Moi, je ne suis pas fan des parachutages. Et un député élu ici doit cerner les enjeux d’ici, qui sont différents de ceux de Rennes ou de Bordeaux.” Mélenchon, Premier ministre ? L’idée séduirait plutôt Maxime. L’infirmier sourit: “Après tout, pourquoi pas ?  Ça mettrait un peu d’ambiance, non ? Et puis, la cohabitation, ça n’a pas toujours été nul dans notre pays.”

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