Nawyr Haoussi Jones voit Marseille en grand écran

Portrait
le 9 Juil 2022
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Promis par Emmanuel Macron lors du discours du Pharo, l'installation d'une version marseillaise de la CinéFabrique, école de cinéma ouverte à tous, commence par l'ouverture d'une classe préparatoire dès la rentrée. Aux manettes de celle-ci Zarah Igo et Nawyr Haoussi Jones. Ce Marseillais vit depuis toujours avec le cinéma chevillé au corps.

Photo : JM Ranavaison.
Photo : JM Ranavaison.

Photo : JM Ranavaison.

À siroter un thé à la menthe à la table de la Pause d’Aix, dans la rue du même nom, on peine à croire qu’on a face à soi deux vivants rouages d’une promesse présidentielle. Nawyr Haoussi Jones, 36 ans, réalisateur, ex-facteur, dessinateur à ses heures et Zarah Igo, 32 ans, militante de l’éducation populaire, constituent le premier maillon d’une future école du cinéma, CinéFabrique Marseille. En septembre dernier, sous une pluie fine, l’annonce tombait de la bouche d’Emmanuel Macron :

 Nous implanterons également à Marseille une école CinéFabrique, pour les 18-25 ans, comme cela a été fait avec succès à Lyon de manière impressionnante et j’en salue les auteurs et les acteurs ici.

Ni Nawyr, ni Zarah n’étaient du pince-fesses du Pharo. Mais l’onction d’en haut ne leur déplaît pas trop. “Tu crois qu’on aurait moyen d’avoir une cocarde ? Une voiture avec chauffeur ? Une plaque verte ! C’est ça le mieux”, plaisante le jeune homme. “Vu qu’aucun de nous deux n’a le permis, je vote pour le chauffeur”, enchaîne Zarah. Ils n’ont pas l’air plus sous pression de devoir tracer dans le sillage d’un discours du président. Tout heureux et un peu fébriles, au pire.

Nawyr Haoussi Jones et Zarah Igo. (Photo : B.G.)

Le fondateur de cette école, Claude Mouriéras a bien pris la pluie au Pharo. Le réalisateur forme sa septième promotion de jeunes issus de tous horizons sociaux aux métiers du cinéma. Une formation gratuite et diplômante qui va donc se cloner à Marseille dès la rentrée. Nawyr Haoussi Jones et Zarah Igo doivent piloter la classe d’orientation et de préparation (COP), une “fabrique de vocations” centrée sur les arts visuels, l’audiovisuel et les arts de la scène. Embauchés depuis un mois, ils ont jusqu’au 31 juillet pour trouver les 19 jeunes de la première promo.

Un entretien “bim bam boum”

Entendue la première en entretien, Zarah Igo a tout de suite pensé à Nawyr, pour compléter le binôme. La rencontre avec Mouriéras est résumée en version accélérée par l’intéressé : “Il m’appelle. On papote. Lui : Je cherche quelqu’un. Moi : J’suis chaud. Bim bam boum. C’était fait”.

Autodidacte et génial touche-à-tout, passé par plusieurs associations, Nawyr a déjà plusieurs courts métrages à son actif. Trône au milieu de sa filmo, La dernière année, une série en cinq épisodes prometteuse, sortie en 2021 sur Youtube. Et pour ajouter une corde à son arc, qui vire à la kora, il dessine depuis son plus jeune âge. Pile-poil, le profil du poste. Et la copie carbone de ceux qu’ils doivent dénicher.

“Ils cherchent des Nawyr, confirme Delphine Tanguy, journaliste à La Provence qui a consacré plusieurs articles à son sujet. Et c’est plutôt malin de leur part, de commencer un an avant à chercher ces profils à Marseille pour venir nourrir la première promotion de l’école et faire qu’elle ressemble à la ville”. La classe préparatoire commence en septembre prochain rue Guibal, au pôle média de la Belle-de-Mai, quand l’école est censée atterrir en septembre 2023, du côté d’Euroméditerranée, probablement sur le site du Dock des suds.

Mais comment trouver 19 hommes et femmes susceptibles d’entrer dans une école d’art de cinéma après un an de formation ? “Pour l’instant, on fonctionne sur le bouche- à-oreille, sur le réseau”, avance Zarah, bien consciente que si le moule “Nawyr” n’est pas cassé, il est à usage limité.

La daronne, le grand-père et les tantes

“J’ai été favorisé de ouf”, confirme l’intéressé qui met au pinacle “la daronne”, cette mère qui l’a élevé seule, entourée de deux oncles et du grand-père, patriarche arrivé très jeune de Majahanga, sur la côte ouest de Madagascar. “Il était marin et il a eu la chance d’avoir une bonne place à la SNCM, raconte Nadj, son frère, acteur dans presque tous ses films. Il a fini chef cuistot sur le Napoléon-Bonaparte. Cela lui a permis de nous gâter”. Il est le référent masculin, en lieu et place d’un père parti très vite. La daronne est son poteau mitan. Dactylographe, elle les accompagne dans tous leurs projets, sans jamais brimer ou brider.

“En vrai, elle m’a matrixé, rigole Nawyr Haoussi. Quand j’avais perdu mes chaussettes et que j’en trouvais une, elle me disait « cherche son homologue ». J’avais pas la chaussette, mais j’apprenais un mot”. Dans la matrice maternelle, Nawyr trouve l’amour des livres qui le mènera comme son frère vers un bac littéraire, mais aussi la pratique du dessin. Le premier geste qui, via la BD et le manga, l’arrime au cinéma.

Il y a une photo de moi bébé avec ma mère et ma tante qui tiennent le journal qui annonce la mort de Gaston Defferre.

Enfin, il y a la politique. Là encore, la daronne est le point d’origine. “Il y a une photo de moi bébé avec ma mère et ma tante qui tiennent le journal qui annonce la mort de Gaston Defferre”, raconte Nawyr. Le berceau, les marraines. La passion a contaminé toute la famille. Nawyr Haoussi Jones est à tu et à toi avec quelques-uns des personnages politiques les plus en vue de la municipalité. Pour les besoins d’un court métrage, Benoît Payan lui laisse son bureau au conseil départemental. Un prêté pour un rendu. “J’avais croisé Anthony Krehmeier (actuel maire des 2/3) pendant la campagne municipale dans le 4/5, où j’avais ma tournée de facteur. Je leur avais prêté mon passe-partout pour les aider à boîter les tracts”. Le double travail cinéaste  postier n’a duré que quelques années.

En revanche, le goût de la politique ne l’a jamais quitté. “Quand il est en retard à un rendez-vous, il dit toujours qu’il a été retenu par un administré”, rigole Zarah Igo. “Mais oui, ce sont mes administrés, enchaîne-t-il sans perdre son sourire. Un jour, je serai maire de cette ville. La politique me passionne autant dans le côté politicien que le côté vie de la cité”.

Nadj et Nawyr Haoussi, durant le tournage de la Dernière année. (Photo : Jean-Jacques Lemasson)

Tourner un 4 juillet 2020

Avec lui, la fiction croise sans cesse le réel. Dans la Dernière année, l’histoire démarre autour de la récupération politique de l’effondrement du plafond d’une école. Un enfant meurt à la veille des élections. Sur son portable, un journaliste joué par son frère fait défiler les unes consacrées à l’état des écoles. Et lorsque le candidat qui sert de fil rouge à la série parvient à la mairie, il le filme dans une séquence incroyable au milieu des élus du Printemps marseillais qui traversent – pour de vrai, le 4 juillet 2020 – la foule sous les vivats avant d’entrer à Bargemon. “Il a suffi d’ajouter des cris avec le nom du personnage à la post-production“.

Il ne rate jamais une manifestation. “C’est de la figu’ gratuite, ça ne se refuse pas”, sourit-il. C’est comme ça que la journaliste Delphine Tanguy l’a croisé lors d’un hommage à Zineb Redouane. “J’ai d’abord vu son frère, un grand black assez dandy, avec un long manteau, qui semblait prendre des notes, pendant qu’il était filmé, raconte la journaliste. J’étais curieuse de savoir s’ils travaillaient pour une rédaction ou s’ils étaient leur propre média“. En fait, ils faisaient du cinéma.

Nawyr espère filmer la mutation de la ville. Celle-ci ne l’effraie pas. “La gentrification, je sais ce que c’est. J’ai connu la rue de la République quand il y avait encore les habitants”, se souvient-il. “L’arrivée massive des Parisiens va accélérer les problématiques de cette ville”, s’inquiète pour sa part Zarah Igo. “Je suis d’accord, répond Nawyr. Mais la métamorphose est inéluctable. Que cette ville attire, c’est normal. Mais tu ne peux pas arriver avec de la condescendance”.

Le réalisateur a conscience d’être “un vecteur de ce changement”, lui “le bobo d’en-ville”. “Mon œuvre, je la vois comme une vision marseillologique où, de film en film, je raconte Marseille, les personnages qui vieillissent comme dans la Comédie humaine de Balzac ou Émile Zola. Comme quand on retrouve Rastignac vieux, dans euh… Purée, si je trouve pas le nom du livre, ma mère me tue”. Maman, si tu nous lis…

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Merci pour cette découverte !

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  2. Nath Nath

    @journaliste J’aime vraiment bien votre style!

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  3. Pussaloreille Pussaloreille

    Une petite claque d’optimisme qui fait du bien. Même la gentrification ne lui ne fait pas peur : ça change un peu.

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  4. Jb de Cérou Jb de Cérou

    Bel article.Renouvellement du regard sur Marseille.Du trés bon Marsactu.
    Je me pose une question bien secondaire: pourquoi ne pas implanter ce centre au Merlan au coeur des quartiers, et qui a bien besoin d’ être revitalisé?

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  5. MarsKaa MarsKaa

    J’ai visionné les 5 épisodes de la série, c’est vraiment intéressant !

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  6. Lefortier Lefortier

    Nawyr, une valeur sûre de Marseille. A suivre…

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  7. claquette claquette

    Merci pour cette pépite!

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