Maurice Olivieri, 50 taudis en ville “et vous allez dire que je suis un marchand de sommeil”

Enquête
le 10 Jan 2023
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Connu de la justice et des services de la Ville, il est présenté comme l'un des pires marchands de sommeil de la ville. Maurice Olivieri s'est spontanément présenté à Marsactu pour se plaindre des multiples persécutions dont il dit être victime. Ce faisant, il décrit la façon dont il a fait fortune en exploitant la misère humaine.

Rue Barbini dans le 3e arrondissement, Maurice Olivieri possède plusieurs immeubles. (Photo : BG)
Rue Barbini dans le 3e arrondissement, Maurice Olivieri possède plusieurs immeubles. (Photo : BG)

Rue Barbini dans le 3e arrondissement, Maurice Olivieri possède plusieurs immeubles. (Photo : BG)

Il a écrit au journal, un courrier en grosses lettres capitales. Il a ensuite appelé la rédaction, à plusieurs reprises, pour parler de ses déboires de multi-propriétaire. Durant la conversation, il passe d’une rue à l’autre. À chaque fois, les noms qu’il cite évoquent une artère connue pour ses maisons insalubres.

En ce vendredi matin, le voilà qui arrive, tout au bout de la rue du Petit-Saint-Jean, la venelle qui longe la médiathèque de l’Alcazar, à Belsunce. Silhouette massive, perfecto noir, il tend une main ferme, embagouzée. Le cheveu long et la barbe hirsute collent à la voix grave, virils en diable. Lui, c’est Maurice Olivieri, multi-bailleur du Marseille indigne, ci-devant marchand de sommeil, connu depuis des décennies par les services de la Ville chargés de la lutte contre l’habitat indigne, insalubre ou en péril.

Maurice Olivieri récuse le terme mais l’emploie à peine la poignée de main lâchée. “Vous allez dire que je suis un marchand de sommeil, mais je peux vous montrer quand vous voulez comment des locataires peuvent détruire un appartement en quelques mois”, argue-t-il en réponse à une question que l’on n’a pas encore posée. Il sait bien que son histoire sent le soufre. “Avec moi, soit vous avez le prix Sulitzer [sic], soit vous avez une place à la Ville”, formule-t-il pour nous enjoindre à choisir notre camp.

L’homme possède plus d’une dizaine d’appartements dans des immeubles, entièrement ou partiellement fermés pour raisons de sécurité.

Il revendique 50 appartements, dont la moitié est  “active”, dit-il. “Mais attention, je compte dedans ceux qui ne paient pas”, prévient-il. Maurice Olivieri dit gagner 35 000 euros par an avec tout ça. S’il ne détaille pas d’emblée les raisons de l’inactivité du reste de son patrimoine, un détour par la page “péril” de la Ville de Marseille permet d’y voir clair. Il possède plus d’une dizaine d’appartements dans des immeubles, entièrement ou partiellement fermés pour des raisons de sécurité. Lors de notre première conversation téléphonique, il y a plusieurs semaines, il en comptait 15.

Un premier péril en 2000

Il a donné rendez-vous au 6 rue du Petit-Saint-Jean, parce que c’est là que pour lui tout a commencé. Pas son activité de marchand de sommeil – osons le terme puisqu’il l’avance – mais la persécution dont il se dit victime. L’immeuble en question est un deux-fenêtres à l’enduit défraîchi qui fait face au flanc de l’Alcazar. La façade est fendue de lézardes dont les plus prononcées sont au dernier étage, là où Maurice Olivieri a son bien. Le balcon laisse voir ses fers. Au rez-de-chaussée, un magasin de bijoux de pacotilles tenu par un commerçant chinois a remplacé l’ancien grossiste. “Un juif”, commente Olivieri qui souligne régulièrement la religion de ceux qu’il appelle aussi “les affranchis”.

Le propriétaire plonge la main dans le cabas de courses qu’il a en pogne. “Je voulais vous faire visiter mais je retrouve plus la clef, dit-il en ouvrant le sac. Du coup, j’ai pris toutes mes clefs, si vous avez le temps, je les essaie toutes…” Au-dessus de l’essaim de clefs, un épais dossier dans lequel il pioche pour appuyer ses dires.

L’immeuble a été mis en péril en 2000. À l’époque, il constate un trou “gros comme une orange ou une mandarine” traversant la volée de marches qui monte au quatrième. “Quelqu’un avait fait ce trou”. À partir de là, tombe le premier arrêté qui préconise de refaire l’escalier, menaçant ruine. Il conteste, bien entendu. Refuse de payer sa part de l’expertise judiciaire.

L’intérieur d’un immeuble rue Barbini (3e) où Maurice Olivieri possède des biens. (Photo : BG)

Sentiment de persécution

De là, il commence à croiser le fer avec les architectes de la Ville, la justice, les fonctionnaires, les avocats… Mais les choses tournent, selon lui, à l’acharnement après qu’il a écrit au maire de Marseille, en 2005. Titré “mise en demeure pour la mise en danger de la vie d’autrui”, le courrier est déjà rédigé en capitales. Il est incompréhensible à toute personne étrangère au dossier. “Mais c’est à partir de là qu’ils ont commencé à me coller une réputation de marchand de sommeil et que je me suis retrouvé avec des arrêtés de péril sur tous mes appartements. C’est parce que je me suis attaqué à Gaudin et à toute la clique“. Après cette lettre, il dit avoir subi un contrôle fiscal et s’être pris sur le râble toutes les administrations unies pour lui nuire.

[Les locataires], ils vous foutent en l’air un appartement et appellent la Ville pour vous mettre en péril.

L’anecdote est parfaitement symptomatique du fonctionnement de Maurice Olivieri : la responsabilité est toujours à chercher ailleurs. Les locataires : “aujourd’hui, le gros con, c’est celui qui paye. Ils vous foutent en l’air un appartement et appellent la Ville pour vous mettre en péril”. Les syndics : “ils ne font rien et s’entendent avec la mairie pour vendre la Ville aux Parisiens”. Il est aussi persécuté par ses propres avocats, “qui [le] lâchent et conservent les dossiers”, les huissiers qui gardent l’argent des loyers qu’ils sont censés recouvrer… Il saute d’un dossier à l’autre, d’une adresse à l’autre, comme on joue au Monopoly des taudis. Il a écrit à “papa Sarkozy”, “papa Hollande”, “papa Macron”. “Le seul qui a répondu est Hollande, pour me dire de saisir la justice, rigole-t-il. Comme s’il ne savait pas qu’elle était pourrie“.

“Spécialisé dans le 3e arrondissement”

Dans ce passage en revue des persécutions subies, le système Olivieri affleure. Son patrimoine n’est pas familial. Il l’a constitué peu à peu, “surtout dans les années 1990″. “À l’époque, cela ne valait pas grand-chose, raconte-t-il sans fard. Et puis j’arnaquais les banques en disant que je n’avais pas de crédit. En fait, je n’avais que l’argent du notaire”.

Rue du Jet-d’eau, bien connue pour ses problématiques de logement insalubres, il est implanté à plusieurs adresses. (Photo : BG)

D’après le relevé de propriété délivré par les services fiscaux, son premier achat date de 1990, rue Nouvelle. En 91, il achète deux lots au 3, rue Hoche, aujourd’hui en péril, puis rue Junot, et l’année plus tard au 42, rue François-Barbini. “J’ai un peu de biens dans le 1er et le 15e par opportunité, mais je me suis spécialisé dans le 3e arrondissement”, explique-t-il benoîtement en évoquant cet arrondissement où la problématique de l’habitat indigne est certainement la plus criante à Marseille.

Le multi-propriétaire ne possède que des appartements à l’intérieur de copropriétés, ce qui lui permet de pointer la responsabilité de ses voisins en cas de problèmes.

Maurice Olivieri n’a pas attendu la vague de délogements d’après le drame de la rue d’Aubagne pour se faire connaître des services municipaux. Toujours dans le 3e, boulevard Camille-Pelletan, il mentionne un péril en 2010, puis un autre en 2017, avec un nouvel arrêté en 2021. Au sein du service de sécurité des immeubles, Olivieri est connu comme le loup blanc. “Il y a différents types de marchands de sommeil, explique une source anonyme au sein de la Ville. Il y a les propriétaires d’immeubles entiers contre lesquels il est plus simple d’agir en cas de péril ou d’insalubrité. Et il y a ceux que l’on retrouve dans de multiples copropriétés en péril, qui ne font rien, mais qui renvoient toujours la responsabilité sur les autres“. Maurice Olivieri est de cette trempe. Il assume d’ailleurs.

“Acheter un immeuble entier ? Vous êtes fou ? Pour qu’ils me le saisissent?”, s’emporte-t-il faussement. Mieux vaut rester planqué derrière ses voisins et une copropriété. Pour lui, le problème, ce sont les propriétaires occupants “qui n’ont pas les moyens d’assurer l’entretien de leur bien“. Les propriétaires bailleurs, au contraire, seraient selon lui soucieux de faire fructifier leur investissement.

Locataires vulnérables et allocations logement

Ce n’est pas le souvenir qu’en garde une de ses voisines de la butte Bellevue, qui s’est vue agonir d’injures parce qu’elle s’inquiétait d’un dégât des eaux à l’étage du dessus qui pourrissait le bien qu’elle venait d’acheter. “Il avait mis un locataire avec qui cela s’est mal passé et qui s’est vengé en laissant tous les robinets ouverts en partant, se souvient-elle. Ce genre d’individu sait très bien choisir ses locataires. Ils n’ont pas le choix de louer ce genre de bien et lui en profite en touchant la CAF sans rien faire“.

Maurice Olivieri pense tout le contraire. Lui qui se déplace en personne pour toucher le loyer, aide à monter un dossier d’aide financière “et après ils partent aux Comores avec” et fait tous les travaux tout seul, “parce que les entreprises, ce sont des voleurs“. Il s’est donné pour règle de n’envoyer les huissiers qu’à partir d’un certain niveau d’impayé. Même quand on lui coupe les allocations logement, versées directement par la CAF, il se rend sur place pour percevoir directement la part du locataire.

Le hall d’un immeuble rue Camille-Pelletan, à proximité de la porte d’Aix. (Photo : BG)

Il vient tous les trois mois toucher son argent, constate une de ses locataires du 161, boulevard Camille-Pelletan qui paie 250 euros pour un appartement indécent. Mais, en revanche, il ne fait rien pour le dégât des eaux alors que l’eau coule en permanence“. Dans une pièce sans fenêtre, de l’eau suinte du mur. Le petit garçon d’un an dont c’est la chambre dort désormais avec sa mère et sa sœur dans une autre pièce. Le père partage le salon avec son fils aîné de sept ans. Elles ne sont plus que deux familles dans l’immeuble. Tout le reste des lots est muni de portes anti-squat, les locataires évacués.

Salle de bain dans la cour et fuites d’eau dangereuses

Maurice Olivieri conteste tout cela : dans cet immeuble, le problème vient du syndic qui a fait de fausses factures pour 60 000 euros de travaux non réalisés, assure-t-il. L’arrêté pris par les services de la Ville en 2021 est pourtant effrayant dans ce qu’il décrit. Le pire se concentrant dans l’appartement du rez-de-chaussée, désormais à l’abandon, jonché de déjections. “J’avais fait une salle de bain dans la cour parce que celle qui était en sous-sol était inondée”, raconte-t-il. Les agents de la Ville découvriront un à deux centimètres d’eaux usées, des planchers “souples”, des fuites d’eau qui menacent l’immeuble entier. Le propriétaire ne voit là que manigances…

Ce qu’il reste d’une salle de bain rue Camille-Pelletan. (Photo : BG)

Ce lundi, il a rappelé au journal pour dire qu’il avait retrouvé la clef du 6 rue Petit-Saint-Jean, si jamais on voulait “toujours visiter”. Maurice Olivieri est l’archétype de ceux que le maire de Marseille, Benoît Payan, voulait “empêcher de dormir”, lors de son discours inaugural des états généraux du logement, en novembre dernier. L’élu appelait à tripler les peines de prison contre ceux-ci. Après plusieurs signalements de ses équipes, la justice a ouvert une enquête sur le cas Olivieri. Cela n’inquiète pas l’intéressé : “En France, on s’en prend toujours à ceux qui ouvrent leur gueule“.

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Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    un saint homme persécuté, peuchère.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Moi aussi, j’ai pleuré en voyant l’ingratitude dont il est victime.

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    • Cd Cd

      Merci pour cette investigation qui parle à tous les marseillais. Le pauvre marchand de sommeil. L’incapacité des services communaux qui ne font que constater. La lenteur du temps judiciaire. C’est un peu comme un massif de végétaux agressif communément appelé mauvaises herbes. Il prolifère aux dépends des autres comme tout parasite. Monsieur Gilles, quels recours avez-vous à proposer en tant que journaliste éclairé ? Avez-vous des sites à proposer ? des actions à mener contre cette situation terrible que décrivez si bien.
      Liberté, égalité, fraternité contre Cynisme, inertie criminelle ?
      Merci de votre réponse

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  2. julijo julijo

    c’est épouvantable.
    ce monsieur -persécuté- qui a mis dès le départ une procédure en place, n’a jamais au fil des années été réellement inquiété.
    et cela lui a permis de continuer, encore et encore, et de manifester aujourd’hui une arrogance insupportable, convaincu de son “bon droit”.
    il faudrait qu’il soit condamné à habiter dans un de ses taudis pendant quelques années.

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  3. le piéton de Marseille le piéton de Marseille

    C’est Gaudinesque cette histoire.

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  4. leb leb

    Il a l’air d’avoir une araignée au plafond ce type, un comble pour un loueur de taudis.

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  5. Zumbi Zumbi

    Je ne savais pas que les huissiers étaient censés recouvrir les loyers, en général on se contente de les recouvrer.

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Ça se mérite un Sulitzer

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  6. didier L didier L

    Les C … osent tout c’est même à ça qu’on les reconnait

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  7. MarsKaa MarsKaa

    Mais pourquoi a-t-il tenu à rencontrer les journalistes de Marsactu ? Quel est son but ? Il ne semble pas avoir mauvaise conscience pourtant. Quel est donc le sens de sa démarche ?
    Il n’a pas l’air bien tranquille.

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    • petitvelo petitvelo

      C’est un comportement souvent retrouvé dans les reportages, entre le déni pour s’auto-convaincre de son bon droit, et la communication d’enfumage incluant de véritables problématiques : occupants resquilleurs ou vandales, copropriétés bloquées, syndics inutiles, pouvoirs publics dépassés… ça rappelle un peu les “c’est la faute de la pluie”, “personne n’aurait pu prévoir un tel boulversement du climat” ;o)

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  8. Alain Dex Alain Dex

    “Ci-devant marchand de sommeil.” Il ne l’est donc plus ?

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  9. Tyresias Tyresias

    Il est à bout, et cherche à ce qu’on lui règle son compte ?

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  10. marsi marsi

    J’ai le malheur d’être copropriétaire d’un immeuble à la belle de mai où ce triste sire a un appartement. L’immeuble n’est pas du tout en péril, il est en bon état, la cage d’escalier est propre, nous faisons les réparations de sécurité dès que c’est nécessaire. Tous les apparts de l’immeuble sont relativement entretenus. Tous, sauf le sien qui est un taudis sans nom. Des infiltrations dans la cage d’escalier proviennent de sa salle de bain, son appartement est le seul à avoir les toilettes (immondes) sur le palier. L’électricité est catastrophique, voire dangereuse chez lui… Effectivement, il dit toujours que ce sont ses locataires qui détruisent tout, mais lui ne fait jamais rien réparer (ses locataires ont beau lui demander de faire des réparations, il ne fait rien). Il paye régulièrement les charges de l’immeuble mais n’entretient pas son appart. Il ne loue qu’à des Comoriens, seuls ou en famille. Il y a eu jusqu’à 6 personnes dans 37m2… Et effectivement, il demande à être payé en cash uniquement. Il vient chercher son loyer tous les mois…
    J’espère que son appart va lui être saisi et qu’il sera vendu à quelqu’un qui en prendra soin!!!!

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