Marseille mise sur le privé pour créer des “équipements aqualudiques” au Nord et à Luminy

Crédit photo : Dominique Milherou.

C’est incontestablement un des symptômes les plus criants de l’étiolement du parc de piscines publiques à Marseille. Les piscines Nord et Luminy sont depuis plus de dix ans à l’abandon. Une situation qu’a promis de résoudre la majorité de gauche à la tête de la mairie depuis 2020. Elle s’apprête selon nos informations à lancer ce chantier lors du conseil municipal du 30 juin. Après un an d’études, elle entend recruter un partenaire privé pour une opération globale qui amènerait cette entreprise à construire et gérer les deux équipements.

Selon les desseins de la mairie, portés par la maire-adjointe Samia Ghali, ceux-ci ne ressembleraient plus à de simples bassins de nage mais à “des équipements sportifs, aquatiques et aqualudiques”. En clair, la Ville envisage de multiples activités devant permettre à ces sites d’atteindre leur viabilité économique. Dans un document interne que Marsactu s’est procuré, sont évoqués, en plus de la piscine, de ses toboggans et autres accessoires, “des terrains de football à 5, ou encore des surfaces de padel ou encore des salles de fitness/musculation”. Mais aussi “des installations de type spa ou salles de massages, des prestations de rééducation ou de kinésithérapie et ostéopathie”. Les fédérations sportives sont elles aussi consultées pour s’adapter à leurs besoins.

Le complexe de Luminy sera aussi un lieu d’affaires

À Luminy, la Ville de Marseille vise même une “clientèle d’affaires, catégorie d’usagers cibles, en proposant notamment des services adaptés aux professionnels avec la possibilité d’organiser des activités de types séminaires ou réunions en mettant à disposition des salles de conférences ou de travail”. Bref, tout pour que l’équipement trouve sa “rentabilité” : “s’il faut quelques activités pour que ce soit rentable et si ça n’empêche pas l’accès du public, ça ne me dérange pas”, explique Samia Ghali. “À la fin tout ne sera pas coché, c’est un éventail large dans lequel piochera l’opérateur”, précise une source proche du dossier.

Ces équipements phares sont pensés comme “partie de l’attractivité de la ville comme le montrent les exemples de Bordeaux ou Montpellier”, argumente Sébastien Jibrayel, adjoint au maire chargé des sports. L’obsession pour la bonne santé économique tient, elle, au mode de gestion choisi qui a suscité de multiples tensions dans la majorité municipale. La Ville entend créer une société d’économie mixte dite à “opération unique” (SEMOP) qui misera tout sur le partenaire privé qui sera choisi.

80 millions d’euros pour leur construction

“Les estimations sont de 38 millions d’euros d’investissement pour Luminy et 42 millions d’euros pour la piscine Nord”, détaille Samia Ghali auprès de Marsactu. Mais pour rentrer dans ses frais, le même acteur privé se verra confier, au sein de la SEMOP, la gestion de l’équipement pour “une période d’exploitation comprise entre quinze et vingt-cinq ans”. À lui de rentrer dans ses frais et donc d’“assumer le risque” financier. La Ville, placée à la tête de la SEMOP, rédigerait un cahier des charges fixant des principes comme la “tarification sociale”, assurerait un rôle de contrôle et verserait “une subvention d’investissement”, “une subvention pour compensation des sujétions spécifiques de services public” et “une compensation spécifique au titre de la mise à disposition de l’équipement pour les scolaires”. Elle espère mobiliser des bras armés de l’État comme la Caisse des dépôts, l’agence nationale du sport et l’agence nationale de la rénovation urbaine pour financer une partie.

La formule n’est pas une idée neuve, elle avait déjà tenté Jean-Claude Gaudin durant son dernier mandat sans que le projet n’aboutisse. Cette fois, elle a été préférée à d’autres types d’exploitation plus classiques où le public aurait occupé une place centrale. Une option qu’écarte Samia Ghali au nom d’un principe de réalité : “Sur des petits gymnases, c’est déjà très compliqué d’avoir les marchés, les services n’arrivent pas à suivre. Ailleurs, on doit fermer des équipements faute de personnel. La Ville n’est pas dimensionnée pour le faire.” Pas d’association avec d’autres collectivités au sein d’une société publique locale non plus : “Nous souhaitions que ce soit un projet municipal et pas métropolitain.”

Toujours selon le même document, la Ville se place dans une logique d’efficacité. La SEMOP et son opérateur unique sont à ses yeux la garantie d’une production rapide qui aurait “aussi”, admet Sébastien Jibrayel, l’avantage de permettre leur inauguration avant les prochaines élections municipales, en 2026.

“Une société va se faire de l’argent sur le dos de la ville”

Mais la formule n’a pas que des adeptes et plusieurs voix se sont déjà fait entendre contre ce procédé. Ainsi, plusieurs organisations syndicales dont la première, Force ouvrière, ont profité des instances paritaires pour dire leur mécontentement. “Pour nous, c’est non, cela ressemble à 25 ans de délégation de service public déguisée, avec des employés qui ne seront pas des agents publics. La société privée va se faire de l’argent sur le dos de la Ville”, peste ainsi Yannis Darieux, secrétaire général de la FSU Ville de Marseille.

Le dossier devrait aussi faire des remous dans l’hémicycle. Dans une majorité qui s’est construite dans l’opposition gagnante au partenariat public-privé pour la rénovation des écoles voulu par Jean-Claude Gaudin en 2019, le recours au privé est un sujet régulier de tensions. Au moment de lancer les études préparatoires il y a un an, les écologistes avaient exprimé leurs réticences, l’adjointe au maire Aïcha Sif dénonçant “une opération de privatisation à peine déguisée”. Cette fois, au sein des instances de dialogue avec le personnel municipal, l’élue du groupe “Écologistes et pluriel-s” Aïcha Guedjali s’est abstenue sur le rapport. Une absence d’approbation à lire comme “un vote de réserve”, explique-t-on au groupe, dans l’attente de la communication par le maire et son cabinet de l’intégralité des études préparatoires.

En 2022, Samia Ghali, qui a fait du retour de la piscine Nord un de ses combats politiques, avait lourdement chargé en réponse ses partenaires de la majorité. Elle résume aujourd’hui l’enjeu, à sa façon : “S’il y en a qui ne veulent pas que les enfants des quartiers Nord se baignent, qu’ils assument !” Face à ce qu’il voyait en 2022 comme une manière de “prêter le flanc aux critiques”, Benoît Payan avait dû calmer le jeu : “Il n’y aura pas de privatisation des équipements de proximité.” C’était avant que les piscines ne se réinventent en imposants complexes de loisirs.

Deux piscines supplémentaires en régie publique

En parallèle de ces grands projets, la Ville de Marseille va ajouter d’autres piscines à la liste de celles gérées en régie publique. Ce sera le cas de la future piscine du 3e arrondissement mais aussi de la piscine intégrée au complexe sportif René-Magnac (8e arrondissement) qui va être sortie de la délégation de service public pour revenir pleinement dans le giron municipal.