Marseille en grand, un logo signé Ora-Ïto aux airs de déjà-vu

Marseille en grand, un logo signé Ora-Ïto aux airs de déjà-vu

Au départ, c’est une simple newsletter qui, à l’approche de Noël, présente des articles de sport à offrir. La marque Camberabero – du nom de deux frères, Guy et Lilian, ayant constitué une fameuse charnière du XV de France dans les années 70 – est spécialisée dans les vêtements de rugby. Son logo met en scène un joueur enfermé dans un triangle blanc encadré par deux autres, un bleu et un rouge. Et c’est là que l’intérêt de Marsactu s’aiguise. Le sportif mis à part, celui-ci est identique au logo du plan Marseille en grand du président de la République. “Quand on l’utilise en broderie, il nous arrive d’enlever la figurine. Alors c’est exactement ce logo-là”, hallucine Gilles Camberabero, fils de Guy, lui-même ancien joueur et patron de l’entreprise, quand il découvre le logo étatique.

Le logo de la marque Camberabero. DR

Le 24 novembre, la secrétaire d’État chargée de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, l’a dévoilé en grandes pompes sous les ors de la préfecture. “Les Marseillais doivent pouvoir identifier ce plan et s’approprier ses réussites, c’est tout le sens du logo que vous découvrez aujourd’hui”, précise-t-elle alors dans son discours. Les autorités présentes se sont offert un shooting photo derrière une maquette fabriquée par la délégation à l’information et à la communication, le prestataire interne du ministère de l’Intérieur.  Le dessin est l’œuvre du designer marseillais Ora-Ïto, déjà impliqué dans le plan via le projet Odysseo. Il vient remplacer le M jaune et stylisé qui avait jusqu’alors discrètement été utilisé.

Ora-Ïto : “Ce n’était pas à moi de vérifier cela”

Quand nous présentons notre étonnante trouvaille chez Camberaro au ministère, la stupeur s’exprime : “Mais c’est pas que ça ressemble, c’est le même ! Je ne comprends pas que cela n’ait pas été vérifié”, convient un interlocuteur.  De son côté, le designer assure découvrir le sigle préexistant.“On n’était pas au courant. Vous imaginez bien que j’ai suffisamment d’idées pour ne pas avoir besoin de prendre celles des autres, explique Ora-Ïto, joint à ce sujet par Marsactu. Ce n’était pas à moi de vérifier cela !”

Le premier logo “Marseille en grand”.

“Ce logo, c’est une volonté de la ministre qui voulait marquer le coup”, assure une autre source proche du dossier. Mais au ministère de la Ville, on raconte une toute autre histoire. Ce logo serait en fait “une proposition d’Ora-Ïto au président de la République qui a ensuite été discutée avec la ministre [Sabrina Agresti-Roubache]”. La proximité entre les deux hommes a été racontée dans Le Monde qui précise que l’artiste a notamment mis en relation le locataire de l’Elysée et le sculpteur Daniel Buren pour la réalisation d’une verrière bleu-blanc-rouge couvrant le jardin d’hiver du palais.

Une question de droits

Ora-Ïto de son côté dément avoir proposé le sigle à l’État. “Ce n’est pas vrai”, rétorque-t-il avant de refuser de s’étendre plus avant sur le sujet. Il précise toutefois : “J’ai livré un logo et je l’ai offert, je n’avais pas envie de me faire de l’argent là-dessus.” Ce logo-cadeau pourrait désormais devenir bien encombrant. Camberabero, modeste SARL qui a enregistré un bénéfice de 28 000 euros en 2022, n’a certes pas déposé ce logo à l’INPI. Mais cela n’empêche pas, comme le rappelle l’agence du patrimoine immatériel de l’État dans un de ses “cahiers pratiques”, que des droits soient attachés à celui-ci : “Aucun acte de dépôt ou d’enregistrement n’est nécessaire pour que le logo soit protégé par le droit d’auteur”.

Le même cahier pointe dès son préambule l’enjeu pour le décideur public :

Le logo est un des éléments clef de l’identité visuelle d’une marque publique. Il est constitué par un ensemble d’éléments graphiques et éventuellement verbaux. Il peut désigner une entité, un service, une politique publique ou un évènement particulier. Symbole spécifique de la marque, il lui permet de se différencier, en étant un élément d’identification rapide pour le public et en étant diffusé sur les différents supports de communication. Il est donc fondamental de protéger son logo en entreprenant les démarches nécessaires pour assurer une appropriation et une exploitation sécurisées de ce dernier.

“Nous, c’est un logo qu’on utilise depuis deux ans. Je sais que s’il y avait quelque chose, on pourrait se prévaloir de cette antériorité”, précise Gilles Camberabero qui ajoute : “C’est quand même un ministère, l’État, j’espère qu’ils ne vont pas nous causer du souci. De toute façon, nos collections sont déjà lancées. Si nous devions changer, ce ne serait pas avant six mois, un an.” Dans l’entourage de la ministre, on précise ne pas avoir particulièrement envie de “refaire un logo qui mêle le M de Marseille et les couleurs de la République, qui a été présenté et qui fonctionne”. Quant à Ora Ïto, il réfléchit : “Si on a fait un symbole qui existe déjà, on fera sûrement en sorte de le modifier subtilement.“