Macron à Marseille : un acte 2 poudre aux yeux

Décryptage
le 29 Juin 2023
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Au terme d'une visite au programme très chargé, le président de la République a quitté Marseille en laissant derrière lui comme un goût d'inachevé. Comparés aux grandes annonces de 2021, ces trois jours auront davantage été marqués par un grand flou, suscitant son lot d'incompréhensions, voire de ressentiment. Récit.

Emmanuel Macron en visite à la copropriété dégradée Benza (10e arrondissement), le mercredi 28 juin 2023. (Photo C.By.)
Emmanuel Macron en visite à la copropriété dégradée Benza (10e arrondissement), le mercredi 28 juin 2023. (Photo C.By.)

Emmanuel Macron en visite à la copropriété dégradée Benza (10e arrondissement), le mercredi 28 juin 2023. (Photo C.By.)

“Oh ! Regarde, il y a quelqu’un !” Maeva saisit le poignet de sa copine, Nathy, et pointe du doigt un appartement au 9e étage d’un bâtiment de la copropriété Benza (10e arrondissement). Par l’espace que devait occuper une fenêtre, jadis, on voit un plafond totalement brûlé. Et dans l’encadrement de l’ouverture se tient un homme en arme. “C’est un sniper ?”, interroge une des collégiennes, franchement étonnée de voir quelqu’un à cet endroit. Un habitant explique : cet appartement a été victime d’un incendie il y a quatre ans : “Et depuis, il pleut chez les voisins du dessous. Alors au lieu de mettre un policier, ils feraient mieux de réparer le plancher…”

Ce mercredi matin, le président de la République effectue son 3e et dernier jour de visite à Marseille. L’occasion d’évoquer un des thèmes qui figuraient en bonne place dans le plan Marseille en grand : la lutte contre le logement indigne en général et la résorption des copropriétés privées dégradées en particulier. Pourtant, après trois jours de visite au pas de charge, entre les gyrophares des motards qui ouvrent la marche – y compris pour les bus des journalistes –, les rencontres protocolaires et l’excitation des bains de foule, le déplacement présidentiel n’amène que peu de réponses concrètes à ce fléau qui ronge la ville. Sur ce thème comme sur les autres, le “Marseille en très grand” promis dans la presse ne débouche pas sur de réelles nouveautés, ni sur un véritable acte 2 du plan gouvernemental.

À Benza, “on rentre en force et on nationalise”

La résidence Benza, avec ses onze immeubles défraîchis et son millier d’habitants, ne fait pas partie des cas les plus épineux en termes de copropriété à l’abandon à Marseille. Mais elle est de celles “qui risquent de basculer”, résume le député Renaissance du cru, Lionel Royer-Perreaut, pour justifier cette incursion du côté de Pont-de-Vivaux, à l’est, plutôt que dans les grandes copropriétés à la dérive du Nord de la ville, comme le Mail ou les Rosiers. En cause, analyse-t-il, des marchands de sommeil et des propriétaires peu scrupuleux qui ne payent plus leurs charges, entraînant la résidence par le fond.

Dans une ambiance d’excitation mêlée de doute qui entoure généralement un déplacement officiel d’un chef de l’État, des hommes en djellabas et des mamans bien mises, en ce jour d’Aïd el kebir, ont envie de raconter leur quotidien au président. Un quotidien qui balance entre la peur de nouveaux incendies liés à un compteur électrique défectueux, l’explosion démente des charges locatives et le désarroi, pour ceux qui sont propriétaires occupants, de voir leur bien perdre inexorablement sa valeur.

Mais concrètement, ils vont faire quoi comme travaux ici ?

Un habitant

Emmanuel Macron, lui, vient vanter l’accélération de sa politique de lutte contre les propriétés dégradées. Face à la détresse des propriétaires, il répond en simplifiant à grands traits : “On va changer la loi pour qu’éviter que ça dérape. Pour les 11 copros les plus dégradées de Marseille : on rentre en force et on nationalise”. Dans le sillage de son passage d’une grosse heure, un homme interroge : “Mais concrètement, ils vont faire quoi comme travaux ici ?”

Comme sur beaucoup de sujets, le président s’empare d’un thème technique, le simplifie en quelques mots, en promettant une accélération sans précédent. “On se dote d’un dispositif hors du droit commun, explique-t-il. On exproprie, on indemnise, on reloge ceux qui sont les victimes du système. Cela permet de restructurer les choses et d’agir beaucoup vite. Là où il fallait sept à huit ans pour régler le problème, on va pouvoir le faire en 18 à 24 mois“.

Personne ne le reprend, il est le président. Ces délais ne correspondent à aucune réalité, même avec une nouvelle loi permettant d’accélérer la préemption des appartements de propriétaires indélicats, un dispositif promis pour la rentrée. Dans les faits, l’État avance les 800 000 euros des études de préfiguration pour les quatre copropriétés marseillaises qui seront rénovées dans le cadre d’opérations d’intérêt national ciblées. Onze autres copropriétés, tout aussi dégradées, seront réunies dans un programme lui aussi d’intérêt national, piloté par le préfet, mais dont les contours apparaissent mal définis.

Ces annonces ne sont pas chiffrées. Il faudra donc attendre encore quelques mois avant de savoir comment elles vont se concrétiser, avec quelle part de financement municipal et métropolitain pour atteindre le milliard espéré. Dans un communiqué, la Ville estime que “29 copropriétés devraient pouvoir bénéficier d’un dispositif d’exception soit 9380 logements”. Les cités visées par les annonces présidentielles sont moitié moins nombreuses.

Villages Potemkine

“De la poudre de Perlimpinpin.” Cette fois, ce n’est pas le président de la République qui le dit, mais un natif de la Busserine qui observe “le spectacle, le cirque même”, qui se déroule en bas de chez lui. Partout où Emmanuel Macron est passé durant ces trois jours de visite, ce même sentiment revient. Les Campanules, la Busserine, la Castellane, Benza : à chaque fois, les mêmes préparatifs, le même grand nettoyage, les mêmes barrières. Derrière elles, des habitants contenus avec leur frustration. Celle de ne pas pouvoir dire au président que le décor qu’on lui montre est faux. Et qui pose, en filigrane, une terrible question : qui s’intéresse à eux le reste du temps ?

Lundi matin, la petite cité des Campanules (11e) se transforme en village Potemkine. La députée (Renaissance) du secteur, Sabrina Roubache, est filmée triomphante. Le sourire jusqu’aux oreilles, l’élue s’affaire à déplier une banderole de plusieurs mètres sur laquelle on lit : “Bienvenue aux Campanules monsieur le Président”. C’est son œuvre, avec l’aide de “quelques amis supporters de l’OM”, explique-t-elle à un journaliste accrédité. Les autres sont déjà relégués derrière les barrières. Agrippés au premier rang, des habitants tiennent en main des pancartes toutes au même format. En lettres bleu-blanc-rouge, on lit : “C’est Marseille BB”, “Marseille avec Macron”, “Marseille vous accueille en grand”.

À la Busserine, les habitants n’ont pu qu’apercevoir le président, et beaucoup n’ont tout simplement pas pu sortir de chez eux. (Photo : CMB)

Au même moment à la Busserine (14e), le ballet des camions poubelles prend fin. “C’est propre ! Mais c’est tellement propre !” Plantées devant le lieu qui accueille habituellement un point de deal, ce qui est déjà inédit, ces deux femmes n’en reviennent pas. Il est 14 heures, le soleil frappe les trottoirs débarrassés de tous les encombrants qui trônent ici toute l’année. Les poubelles n’ont pas seulement été vidées : elles ont été enlevées. L’une des deux femmes peste contre un éboueur : “les dealers peuvent plus faire leurs barrages, mais nous on peut même plus jeter nos poubelles !” On entend au loin les derniers “Arrah” de la journée, criés par des guetteurs éloignés. Des policiers en tenue de maintien de l’ordre se postent devant toutes les entrées. Pendant ce temps, on dresse des barrières entre l’Agora, le centre social, et le gymnase, lieu du grand débat du soir.

Sur cet itinéraire de 200 mètres, il ne sera plus possible de circuler. En bas des immeubles, la police interdit aux habitants de sortir de chez eux. C’est donc prostrés derrière leurs fenêtres que les citoyens du bas de la Busserine ont aperçu le défilé : le président de la République, chez eux, encadré par la maire-adjointe (DVG) Samia Ghali, et Nora Preziosi, élue LR et présidente du bailleur social 13 Habitat. Après un bain de foule éclair, Emmanuel Macron rejoint le gymnase pour discuter avec des représentants associatifs. Dehors, la foule est défaite.

Mardi, le cinéma se répète à la Castellane. Les journalistes couvrent la visite présidentielle de l’école Saint-André (16e). L’avenue de Bernex est comme neuve pour permettre le passage du cortège. Derrière cette façade, là encore, les habitants sont en colère. Dans La Provence, une déléguée des parents d’élèves s’émeut de ne pas avoir pu parler au président des conditions de vie du quartier. En repartant, les journalistes accrédités rejoignent leur car en empruntant un autre parcours, qui montre le vrai visage de la Castellane : des détritus jetés par dessus un grillage, des murs en tôle tagués, une baignoire renversée sur une butte. Le président reparti, les dealers et les déchets reviendront en un éclair. Les habitants se souviendront eux, d’un spectacle tenu dans un décor en carton-pâte, sans eux.

Souffrance du quotidien et grands projets lointains

Les mesures pour la sécurité annoncées au cours de cette visite ne raviront d’ailleurs pas les adeptes de la méthode globale, pluridisciplinaire, adoucissant l’approche répressive d’une volet social. Car c’est plutôt la méthode lourde qui est privilégiée par ce deuxième volet de “Marseille en grand”. Emmanuel Macron a en effet annoncé la création d’une CRS 8 marseillaise, une unité d’élite spécialisée en violences urbaines, précédemment dépêchée à la Paternelle et récemment décriée pour son intervention à Mayotte. Voilà pour l’approche terrain. Du côté de l’Évêché, 29 enquêteurs viendront dès septembre renforcer les effectifs de la police judiciaire.

L’annonce se perd dans une liste qui semble infinie. Tous les responsables publics qui sont passés ici, au XXIe siècle du moins, ont annoncé des renforts côté forces de sécurité. Chacun a vanté sa méthode, qui n’a pas stoppé le décompte macabre des victimes d’assassinat, un sujet brûlant qu’Emmanuel Macron n’aura finalement fait qu’effleurer aux Campanules. Son plan Quartiers 2030 et ses quelques nouveautés, notamment sur l’accueil prolongé à l’école, n’annonce pas la révolution – forcément complexe – du quotidien.

Pire, l’organisation même du voyage semble entretenir la fracture de la ville. En 24 heures, les femmes, parfois voilées, de la Busserine ont laissé place aux hommes, souvent cravatés, du Mucem. Sur une scène posée sur le sommet du Fort-Saint-Jean, Emmanuel Macron domine les invités triés sur le volet qui l’entourent la tête levée.

L’homme de la réparation, de l’urgence, s’il intervient encore pour financer la rénovation de l’AP-HM ou la reconstruction de l’hôpital Laveran, cède la place au grand manitou d’un programme, celui qu’il projette sur la ville. La bonne parole présidentielle tombe et la caravane des suiveurs, élus locaux comme grands patrons, est priée de s’adapter : se tourner vers l’économie de la mer et le numérique, trouver des synergies entre actions publiques et privées notamment en matière de formation, retisser du lien par l’événementiel culturel dix ans après une capitale européenne sans lendemain autre que son musée national.

À chaque axe développé, quelques têtes se crispent, d’autres hochent : la posture présidentielle souligne l’absence de discours clair sur la destinée économique de cette ville. Avant cette leçon, la concertation a souvent été minimale, même avec les responsables politiques les plus capés, parfois inexistante. La dernière annonce d’une unité nucléaire pour prévenir les besoins énergétiques du futur port décarboné est lâchée comme une bombe avant le redécollage pour Paris. Celles et ceux qui restent devront se débrouiller avec. Emmanuel Macron lui repart à Paris. Cette fois, il n’a pas dit quand il reviendra relever les lignes.

Coralie Bonnefoy, Clara Martot Bacry, Benoît Gilles et Jean-Marie Leforestier

Le récap’ des annonces locales
Transports :
– Doublement de la subvention à la métropole, qui passe de 256 à 500 millions. Pour parvenir au milliard, l’institution bénéficiera d’une avance remboursable de l’État.
Santé :
– L’hôpital militaire Lavéran reconstruit à Sainte-Marthe (300 millions d’euros).
– Rénovation des différents hôpitaux de l’AP-HM (240 millions)
Sécurité :
– Création à Marseille d’une CRS 8, une unité spécialisée en violences urbaines
– Recrutement de 29 enquêteurs à la police judiciaire, dont 4 spécialisés en cyber trafics
– Création d’une “task force interministérielle” pour lutter contre la criminalité organisée
Port :
– Électrification de l’ensemble des terminaux de transports passagers d’ici 2027 (150 millions d’euros avec la région)
– Levée “d’un tabou” quant à l’hypothèse d’installer un réacteur nucléaire pour alimenter le port
– Soutien au projet Carbon (future usine de panneaux solaires à Fos)
Logement :
– Opération de requalification de quatre copropriétés dégradées (la Maurelette, le Mail, les Rosiers, Consolat)
Jeunesse :
– Des modules de prévention pour la drogue dans 50 lycées et collèges marseillais
– Création d’une cellule de lutte contre le décrochage pour “les jeunes susceptibles de basculer dans les trafics”
Emploi :
– Création d’une “école de l’économie bleue” à l’Estaque sur l’emprise du Grand port, qui proposera des formations aux métiers de la mer à “des centaines, voire des milliers de jeunes des quartiers Nord”
Culture :
– Prêt d’œuvres du centre Pompidou et du musée du Louvre aux musées marseillais
– Créer un “quartier d’architecture” via un concours national qui aboutira à “une nouvelle Cité radieuse” dans les quartiers Nord.
Écoles :
– Les 82 écoles “innovantes” vont tester le pass culture

 

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Commentaires

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  1. jean-michel vola jean-michel vola

    Et la mairie ? Et le département ? Et la région? Macron a tenté de bousculer toutes ces couches admistratives et politiques….comment ont-ils réagi ? Ils attendent les euros venant de l’état. Les solutions de proximité doivent être prises à pleines mains par cette bureaucratie.

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  2. Kitty Kitty

    Où en est la nouvelle répartition des pouvoirs entre la métropole et la ville de Marseille ? Sans celle-ci, rien ne sera possible et les promesses aboutiront à arroser le sable.

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  3. Modestine Modestine

    tte “le roi carotte” était dans son éPlace nette, scène d’opérelèment : “je brille, je communique, je vous enfume…”
    Mais où sont les réactions des politiques de Gauches… Far cagar Tutti.!!!!
    Modestine

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  4. fantasia fantasia

    Rien sur la renovation des quartiers noailles et belle de mal?
    Pas de coup de pouce financier pour le prolongement du tram vers st antoine. Burel st jerome. ?
    Et le prolongement du M2 vers la pomme?

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  5. vékiya vékiya

    la com n’est pas son genre

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  6. Ampe Francis Ampe Francis

    Je pense que la phrase de l’article :”dix ans après une capitale européenne sans lendemain autre que son musée national.” n’est pas exacte, le bilan global de Marseille 2013 est bien plus conséquent que le seul MuCEM.

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