L’État autorise Fibre excellence à polluer l’air et le Rhône pour trois ans supplémentaires

Décryptage
le 13 Jan 2023
3

De nouvelles dérogations aux rejets de l'usine de pâte à papier de Tarascon ont été prises par la préfecture en octobre dernier. Elles permettent à l'industriel de dépasser des seuils normalement encadrés au niveau européen depuis 2015, et ce jusqu'en 2025. Les associations ne décolèrent pas.

L
L'usine de pâte à papier Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

L'usine de pâte à papier Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

“Ça sent Tarascon !” Pendant combien d’années encore les habitants du pays d’Arles continueront à prononcer cette expression avec un air de dégoût ? Elle s’emploie les jours où le Mistral pousse vers le sud les gaz aux odeurs d’œuf pourri rejetés par l’usine Fibre Excellence.

Connue pour être à la fois la cause de désordres environnementaux dans l’air et dans le Rhône mais aussi la championne des subventions publiques et des dérogations aux normes de pollution, la fabrique de pâte à papier a encore obtenu de l’État une série de dérogations aux seuils de rejets autorisés par la loi. Selon deux arrêtés préfectoraux pris en octobre 2022, cette propriété du richissime homme d’affaire indonésien Jackson Widjadja se voit accorder les demandes qu’elle avait formulées l’année dernière.

“Maître dans l’art de traîner des pieds”

La plus longue dérogation court jusqu’au terme de l’année 2025. Au-delà de cette date, l’industriel devra mettre son outil en conformité avec la directive européenne relative aux émissions industrielles (IED) qui fixe les “meilleures techniques disponibles” (MTD) pour respecter des normes de rejets de polluants en vigueur depuis 2015. Non contente de sanctionner son retard, la préfecture offre donc une permission de déroger pour un total d’une décennie. Contactée, celle-ci n’a pas répondu à nos demandes de précisions dans le temps imparti à la rédaction de cet article.

Il n’apparait pas de risques sanitaires préoccupants attribuables aux émissions atmosphériques.

La Dreal

Cet énième régime dérogatoire est source de colère pour la société civile. Dans un communiqué publié récemment, huit associations environnementales, dont FNE 13 et les Flamants roses du Trébon, décrivent l’industriel comme “un maître dans l’art de traîner des pieds” qui “a mis 12 ans” à se mettre aux normes d’avant 2015, “sous la pression des associations”. En sus, l’État “manque à sa responsabilité vis-à-vis des questions de pollution de l’air et de santé de la population”, considèrent-elles.

Les odorantes émanations soufrées dans l’air peuvent être responsables de maux de tête ou d’irritation des voies respiratoires. S’ajoutent des particules fines et, ponctuellement, des panaches noirâtres dus à l’utilisation de fioul lourd en cas de redémarrage des installations. Les rejets atmosphériques pourraient être responsables d’une élévation locale des cancers, comme s’en inquiètent toujours des riverains, la direction de l’école voisine du Petit Castellet et des médecins.

“Régler le sujet des nuisances”

Mais selon la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), “il n’apparait pas de risques sanitaires préoccupants attribuables aux émissions atmosphériques de soufre gazeux et/ou dioxyde de soufre”. Les services de la préfecture ont rendu cet avis dans le cadre d’une consultation publique tenue début 2022 au sujet de la demande de nouvelles dérogations environnementales. Les laboratoires missionnés par l’industriel partagent la même analyse. Difficile de conclure définitivement, en l’absence d’une étude épidémiologique réclamée par les associations sur le modèle de celle réalisée à Fos. Sur le plan réglementaire, l’industriel précise dans un courriel adressé à Marsactu que l’ensemble des émissions dans l’air sont conformes aux réglementations et aux seuils prescrits” depuis un an et demi.

Même si Fibre Excellence nous démontra ce qu’elle annonce, c’est un scandale d’attendre fin 2025.

Claire Simonin des Flamants roses du Trébon

En effet, du côté de Fibre Excellence, on préfère voir le verre à moitié plein. “Il faut régler le sujet des nuisances, il n’y a pas de débat là-dessus”, nous assure-t-on. L’usine serait sur de bons rails depuis la fin de son redressement judiciaire et de l’auto-reprise réalisée par son propre actionnaire à l’été 2021. “Le nouveau plan d’investissement de 180 millions d’euros sur quatre ans suit son cours. Déjà 80 millions d’euros de projets ont été lancés, pour lesquels les réalisations seront achevées dès fin 2023″, indique le service presse, joint par téléphone.

Bientôt la fin des odeurs d’œuf pourri ?

Ainsi, les rejets soufrés devraient être mieux traités avant la fin de l’année. Un engagement contenu dans les décisions préfectorales. L’installation d’une nouvelle unité de captation des gaz odorants* réduira très fortement les odeurs de l’usine, précise Fibre Excellence. L’équipement pourrait entrer en fonctionnement avant l’été.

Concernant les rejets dans le Rhône, des valeurs dérogatoires pour l’azote, le phosphore et les composants chlorés (AOX) restent permises. Selon Fibre Excellence, une bonne part de l’azote et du phosphore rejetés dans le Rhône sont déjà présents en amont. Le papetier les retrouve dans l’eau prélevée dans le fleuve pour le process de production. Quant aux AOX, il s’agit de sous-produits du blanchiment de la pâte à papier. Or depuis décembre 2020, l’usine produit exclusivement de la pâte non blanchie et n’émet donc aucun AOX”, nous écrit l’industriel.

La production d’une pâte blanchie et donc traitée au chlore pourraient néanmoins être réactivée en fonction de l’évolution d’un marché mondial “très volatil”. L’usine provençale exporte l’essentiel de sa production actuelle de pâte écrue (non-blanchie) à destination de l’industrie asiatique du carton et des emballages papiers. L’usine a pour projet d’installer une unité de délignification à l’oxygène d’ici à fin 2025 : une “technique permettant de blanchir la pâte avec de l’oxygène tout en réduisant très fortement l’usage des produits chimiques”, affirme l’industriel.

Tarascon favorable, Beaucaire défavorable

Les annonces de l’industriel ne rassurent pas les militants associatifs qui ont toujours l’impression d’avoir affaires aux mêmes types de promesses, sans garantie de réalisation. “On veut bien croire que Fibre Excellence est en train de se transformer, mais notre expérience ne nous permet pas d’avoir confiance. Sur le plan odeur, l’arrêté d’avril 2022 est un copier-coller d’une précédente version 2020-2022 qui n’avait pas été honorée”, résume Claire Simonin des Flamants roses du Trébon, jointe par téléphone. “Même si Fibre Excellence nous démontrait ce qu’elle annonce, c’est un scandale d’attendre fin 2025”, cingle-t-elle.

Les associations considèrent de toute façon l’usine comme obsolète, du fait de ses 40 ans d’âge. Elles avaient mobilisé fortement lors de la consultation publique tenue entre les 21 février et 21 mars 2022. Résultat : sur 165 avis émis, 162 se sont montrés défavorables. Du côté des élus, le conseil municipal de Tarascon s’est prononcé favorablement, expliquant que l’usine est le principal employeur d’une commune aux 22% de chômage. Cette activité génère des milliers d’emplois dans la filière bois. Sur la rive gardoise du Rhône, le conseil municipal de Beaucaire (RN) s’y est en revanche opposé. Le temps de la défiance à l’égard de l’usine de pâte à papier promet de se prolonger.

 

*Actualisation le 13/01/2023 à 17h : correction suite à une précision de l’entreprise. C’est l’unité de captation des gaz odorants qui va être mise en place et non pas d’évaporation de la liqueur noire comme écrit dans un premier temps.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. BRASILIA8 BRASILIA8

    Et vive les zones à faible émissivité

    Signaler
  2. Patafanari Patafanari

    L’État, vent debout contre l’impérialisme airpuriste.

    Signaler
  3. mrmiolito mrmiolito

    Malentendu, ou plutôt “mal-senti” historique : il y a presque 30 ans, je venais étudier à Marseille et prenais le train de nuit (couchettes) depuis le Nord-Est. A chaque fois vers 5 heures du matin j’étais réveillé par une horrible odeur que j’attribuais alors à l’un de mes voisins (entre flatulence et chaussettes)…
    Mais la coincidence m’étonnait tout de même : ça se reproduisait à chaque voyage ! J’ai mis longtemps à comprendre que c’était parce que le train passait à côté de l’usine de Tarascon… Tout ça pour dire qu’en effet ça ne date pas d’hier !

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire