"Les sons de la Nouvelle-Orléans triomphaient sur la Canebière"

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le 27 Mar 2012
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"Les sons de la Nouvelle-Orléans triomphaient sur la Canebière"
"Les sons de la Nouvelle-Orléans triomphaient sur la Canebière"

"Les sons de la Nouvelle-Orléans triomphaient sur la Canebière"

Marsactu : Personne avant vous n’avait écrit un livre sur le jazz à Marseille, comment expliquez-vous cela ? Est-ce parce que jusqu’à présent, on a envisagé le jazz essentiellement à travers les grandes villes, comme New-York, Los Angeles et Paris ?
Michel Samson : Cette raison est réelle, mais ce n’est pas la seule. Le jazz est présent à Marseille depuis les années 1917-1920, a perduré jusqu’à maintenant mais est toujours resté un courant musical minoritaire, comme un petit ruisseau qui coule. Les critiques culturels en parlent peu, que l’on se situe dans les années trente ou soixante-dix.

Vous écrivez qu’il n’existe pas véritablement un jazz de cru marseillais ni même une originalité marseillaise. Est-ce à dire que le jazz trouve plutôt un écho particulier dans cette ville, ouverte au monde ?
Tout à fait. En réalité il n’existe pas plus de « jazz marseillais » que de « jazz new-yorkais », pour la bonne raison que le jazz est une musique mondialisée, même si elle reste malingre. Elle compte des influences en Amérique, à Madagascar…C’est une musique « toile d’araignée », ou un peu comme un palétuvier, avec de multiples racines aériennes."L’authenticité du Jazz à Marseille, d’un point de vue esthétique, ne doit pas grand-chose à un quelconque génie du lieu", avons-nous écrit dans le livre. Toutefois, à Marseille, le jazz a connu une expansion particulière.

Peut-on imputer cet écho à une ville de migrations et de passages ou à une tradition de music-hall ? Peut-être les deux ?
Les deux ! Le jazz ne se développe pas ex nihilo, il lui faut un terreau avec la présence de music-halls, de cabarets. Mais aussi un milieu culturel et social prêt à recevoir cette musique. C’est une musique qui se joue dans l’instant. Lorsque le jazz arrive dans les années vingt, il secoue tout le monde. Jean Cocteau écrit «  le public est conquis, déraciné de sa mollesse ». Pagnol, qui est un avant-gardiste, est touché, comme Jean Cocteau, lorsqu’il découvre Gaby Deslys, une interprète marseillaise, meneuse de revue qui jouera le rôle de pionnière du jazz. Celle-ci part aux États-Unis, y rencontre le danseur Harry Pilcer, revient en 1917 au Casino de Paris swinguer sur des airs de jazz … avant de faire triompher les sons de la Nouvelle-Orléans sur la Canebière, au Grand casino, avec des musiciens afro-américains joueurs de banjo. Le swing arrive ensuite à la Libération, avec le débarquement de l’armada américaine.

Vous écrivez que « l’amour du jazz est toujours lié à une certaine rage de vivre ». Peut-on le comprendre en ce sens que ce genre est né d’une certaine revendication de liberté, entre les dockers jamaïcains, pauvres et souvent méprisés dans les années vingt, puis les musiciens planqués dans les sous-sols pour jouer, alors que la France est occupée ?
Le jazz est davantage un remède qu’une révolution. C’est en fait une manière d’être jeune. A la libération, par exemple, après quatre ans de silence et de mort, les noirs américains sont présents à Marseille, ils entraînent les jeunes, surtout des jeunes femmes d’ailleurs, qui s’échappent la nuit de chez elles, pour aller danser sur de la « musique noire ». C’est un choc à l’époque pour les parents, issus d’un ordre ancien ! Car le contexte est bien celui d’un désir d’émancipation pris en charge par des jeunes gens issus de classes moyennes. C’est une forme de rébellion, qualifiée par Luc Boltanski de « critique esthétique du capitalisme ». Mais à côté de cela, le jazz n’accompagne pas les importants mouvements de grève, plus révolutionnaires. Ces jeunes des classes moyennes ne s’en préoccupent pas.

Le jazz n’est donc pas vraiment une musique populaire à Marseille ?
Non, sauf  le mouvement de jazz impulsé dans les années vingt par les dockers jamaïcains. Ceux-là, des gens du peuple ont été écoutés par les bourgeois venus au quartier du Panier s’encanailler avec des filles. Mais ces dockers n’ont pas été mêlés aux lieux centraux de la musique, ils n’ont pas eu accès à la scène marseillaise.

Louis Armstrong à l'Odéon, 1934

Vous avez récolté peu d’archives, vous écrivez que même les disques ont été difficiles à trouver. Pourquoi trouve-t-on si peu d’éléments sur le jazz à Marseille ?
Nombreux sont les témoins d’avant-guerre mais il n’en reste que très peu en vie…Nous avons récolté les souvenirs du musicien contrebassiste Paul Mansi écrits dans les années vingt et trente, également des archives du journal Le Petit provençal, mais il n’y a pas d’archives « officielles » sur la question, ni de recherches historiques sur des lieux de spectacles, comme les music-halls. De grands moments de jazz n’ont même pas été enregistrés ! Le milieu du jazz était dépourvu d’agents, il y avait peu de professionnels. C’est parfois encore le cas. Par exemple, le saxophoniste Robert Pettinelli a toujours été représentant de produits pharmaceutiques, il a toujours joué pour le plaisir seulement !

Vous prenez le parti de raconter l’histoire du jazz à Marseille à travers l’histoire plus générale de la ville, mais aussi de ces lieux de scène, et votre récit est agrémenté d’anecdotes. Nous sommes bien loin d’un travail encyclopédique.
C’est un choix délibéré, le jazz vit dans un milieu, un contexte particulier. Par exemple, pendant la Guerre d’Algérie, le jazz se tait à Marseille. De plus, chaque nouvelle école de jazz a inventé ses nouveaux lieux. Nous n’avons pas non plus souhaité réaliser une succession de biographies de musiciens, mais nous avons voulu réhabiliter des lieux oubliés comme l’Atlantique, devenu mythique avec le guitariste Claude Djaoui, dans le quartier du panier (années quatre-vingt dix) ou encore le mythique Pelle-Mêle de Jean Pelle, dans les années quatre-vingt. Nous écrivons, à ce sujet,

Le Pelle-mêle est un endroit assez respectable pour que les flics et les voyous s’y rencontrent lors de pré-garde à vue afin d’échanger quelques mots qu’il serait difficile de faire figurer dans un PV

Dans le livre, vous évoquez les multiples naissances et morts du jazz à Marseille. Et aujourd’hui, comment expliquer que ce genre musical ne se démode pas ?
Il y a toujours des hommes et des femmes qui le jouent, même si le jazz reste une musique de répertoire, complexe, qui ne cesse de bouger, d’évoluer. Elle absorbe des influences multiples, de tous les horizons. Vous avez des jazzmen cubains, arabes, corses, qui intègrent une polyphonie spécifique en fonction de leurs origines. C’est une musique qui se « renouvelle » selon le saxophoniste Hervé Bourde. Il y a d’ailleurs bien plus de musiciens aujourd’hui que dans les années soixante ou quatre-vingt. Cependant, les différents mouvements sont éparpillés, difficiles à référencer. Et on ne danse plus sur cette musique, depuis les années soixante. C’était délibéré de la part des musiciens de l’époque qui ont décrété qu’ils n’étaient pas des animateurs de bal et que leur musique n’était pas une musique d’ascenseur, mais une musique élaborée.

Changeons de sujet. Vous êtes aussi l'auteur avec Michel Péraldi de Gouverner Marseille, un ouvrage référence sur les arcanes de la politique locale paru en 2006. Y aura-t-il une suite ?
Clairement, je ne sais pas…

A fond de cale, 1917-2011, un siècle de jazz à Marseille, par Michel Samson et Gilles Suzanne, aux éditions Wildproject. Prix: 22 €

Michel Samson et Gilles Suzanne ont réalisé, en fin d'ouvrage, une petite géographie musicale des lieux marseillais actuellement consacrés au jazz. On en retiendra quelques-uns: à L'Estaque, l'Inga-des-Riaux, qui accueille des soirées swing et quartettes de middle jazz. Au cours Julien, El Ache de Cuba organise chaque jeudi une soirée jazz tandis que le Planet Mundo K'fé propose chaque mercredi une jam-session. Apparemment, c'est dans ces murs que Christophe Leloil et Eric Surménian ont commencé des collaborations. Les auteurs du livre retiennent le Roll Studio comme chef-lieu incontournable du jazz à Marseille. Son ouverture en 2008 coïncide avec la fermeture du Pelle Mêle, et il programme à ce jour près de quarante dates par an et fait salle comble chaque samedi soir. Le Rouge-Belle de Mai a également la cote, ainsi que le Cri du port entièrement consacré aux concerts de jazz.                                                                          

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Commentaires

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  1. Mi Mi

    OUI JE VAIS ACHETER CE LIVRE ET SERAI RAVIE DE RETROUVER MES AMIS DU JAZZ MARSEILLAIS DES ANNEES 1950/1960 !!!!!!!! C EST VIEUX !!!!!!

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  2. astoriale astoriale

    Mon père, décédé aujourd’hui, a traversé cette époque cotoyant Zanini et bien d’autres musiciens de talent. Tromboniste à ses heures, il me parlait souvent du “St James”…

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  3. santamanza santamanza

    Le jazz est toujours à Marseille, le festival de jazz des cinq continents en est la preuve

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