Le maire de Marseille en route pour obtenir un droit de véto à la métropole

Décryptage
le 6 Déc 2021
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Le gouvernement veut accorder à la ville-centre un droit de regard spécial à la métropole. Il porterait, à ce stade, sur les questions de voirie. L'équipe de Benoît Payan pourrait ainsi choisir seule quelles rues et places elle gèrera.

Benoît Payan dans son bureau en janvier 2021. (Photo : Emilio Guzman)
Benoît Payan dans son bureau en janvier 2021. (Photo : Emilio Guzman)

Benoît Payan dans son bureau en janvier 2021. (Photo : Emilio Guzman)

Le gouvernement a la délicatesse de ne pas la nommer. Dans un amendement à la loi 3DS, débattue à l’Assemblée nationale à partir de ce lundi, il entend donner une voix particulière dans certaines décisions métropolitaines à la commune dont la population est la plus importante”. Le conseil municipal de Marseille, puisque c’est de lui qu’il s’agit, aurait ainsi le dernier mot dans le grand partage des compétences à venir. Une concession de taille à la majorité de Benoît Payan, qui pousse un amendement similaire par le biais des députés socialistes.

“On appelle cela le vote de la ville-centre. C’est ce qui existe dans les autres métropoles”, argue Bruno Questel (LREM), co-rapporteur de la loi à l’Assemblée. En réalité, les villes-centre sont rarement majoritaires, en population comme en siège, dans les métropoles françaises. “J’ai l’impression qu’il fallait faire plaisir à tout le monde, je l’ai contesté, grince le député LR Guy Teissier, qui participait à une réunion ce jeudi avec la ministre Jacqueline Gourault. Opposition partagée par la députée LREM du pays d’Aix Anne-Laurence Petel, rapporte la Marseillaise.

Partage des rues

Le cœur du sujet porte sur la voirie et tout ce qui l’entoure, des nids de poules aux potelets en passant par les lampadaires, bancs, parkings… et les cantonniers. En réponse à une demande insistante des élus locaux, le gouvernement a accepté de confier aux communes le soin de gérer ces domaines qu’il reconnaît comme un enjeu de “proximité”. Pour la plupart des communes de la métropole, il s’agit d’un maintien en l’état. Mais pour 18 d’entre elles, dont Marseille, c’est un retour dans le giron communal d’une mission assumée depuis 2001 par l’ancienne communauté urbaine de Marseille. Cela répond à sa demande d’“être en capacité de répondre aux administrés qui interpellent leur maire. En un mot, d’agir”, plaidait Benoît Payan dans un courrier adressé en octobre 2021 à ses homologues.

Ce transfert prévoit une exception, dans le cas où une rue, boulevard, avenue ou traverse est qualifiée “d’intérêt métropolitain”. C’est là qu’un verrouillage communal serait créé. Normalement définie par le conseil métropolitain, cette liste serait validée par un vote des conseils municipaux. Pour que la proposition soit adoptée, elle devra correspondre à un des deux cas suivants : convaincre soit la moitié des communes représentant les deux-tiers de la population, soit les deux-tiers des communes représentant la moitié de la population. Avec environ 46 % de la population, Marseille ne peut seule emporter la décision. Le nouveau véto marseillais s’ajouterait donc pour garantir que son avis soit suivi. Guy Teissier n’en revient pas : “C’est un défi à la démocratie. Pourquoi on l’accorderait à une commune en particulier ? Je crois même que ce ne serait pas constitutionnel”.

“C’est un déséquilibre dans la gouvernance car la mairie pourra sans arrêt bloquer les projets portés par la métropole.

Guy Teissier, député LR

Ainsi, la rocade formée par le Jarret, dont la Ville contestait l’aménagement ou une place emblématique comme la Plaine, ne pourrait être exclues du giron communal sans son accord. Le gouvernement prévoit seulement une limite à ce véto : il ne peut pas concerner une voie où passe un tramway ou un bus à haut niveau de service, tel que le boulevard Longchamp. “C’est un déséquilibre dans la gouvernance car la mairie pourra sans arrêt bloquer les projets portés par la métropole”, s’alarme Guy Teissier.

On pense en particulier au boulevard urbain sud, sur lequel la gauche s’emploie à peser depuis son élection. “On peut paralyser, à l’aune des municipales de 2026, le fonctionnement du territoire pour des raisons politiciennes, mais la réalité, c’est que la Ville de Marseille doit trouver sa place dans la gouvernance dès maintenant”, estime Bruno Questel.

Une flopée d’amendements socialistes

Benoît Payan et son équipe y voient un rééquilibrage, dans une gouvernance vécue comme confiscatoire après leur victoire aux municipales. “J’espère que dans notre bilan, on pourra dire qu’on s’est donnés plus de leviers d’action pour appliquer notre programme, y compris sur des compétences métropolitaines qui nous étaient verrouillées jusqu’à maintenant”, se félicite Sophie Camard, maire Printemps marseillais des 1/7 et conseillère municipale déléguée à la réforme métropolitaine. Tout en ne niant pas l’aspect avant tout symbolique du véto : “Les armes atomiques ne sont pas faites pour être utilisées. Ça nous permettra d’avoir une meilleure écoute et un meilleur rapport de forces.”

La majorité marseillaise ne compte pas s’arrêter là. La présidente du groupe socialiste à l’Assemblée, Valérie Rabault, a déposé onze amendements au texte de loi pour étendre cette influence à d’autres domaines. Le principe de véto est ainsi décliné pour les questions de fiscalité – dans le cas d’une éventuelle modification de la part reversée par la métropole à la Ville, 122 millions d’euros par an, souligne l’amendement – ou pour la détermination du coût correspondant au transfert de la gestion des routes.

La Ville souhaite aussi avoir son mot à dire sur la gouvernance de sociétés comme la Soleam.

La liste va plus loin, en s’attaquant à des domaines pointés par la majorité municipale depuis son arrivée, en juillet 2020. C’est le cas de la désignation des opérateurs métropolitains qui interviennent “à plus de 80 % sur le territoire d’une seule commune”. Dans le viseur notamment, la Soleam présidée par Lionel Royer-Perreaut (LR), avec qui les adjoints au maire multiplient les algarades. Le débat est connu : même si ces organismes sont métropolitains en théorie, la Ville considère qu’à l’intérieur de ses frontières ils doivent appliquer la politique de ceux qui ont emporté le suffrage des Marseillais.

L’espoir de peser aussi sur le logement

“On ne peut pas sans cesse rejouer le troisième tour des municipales à la métropole, cela ne peut pas rester un lieu de conflit permanent, il faut apaiser tout cela”, résume la sénatrice PS Marie-Arlette Carlotti, qui a fait passer des messages à ses collègues parlementaires, en l’absence de députés marseillais de son parti. “Au regard des enjeux de développement économique, de renouvellement urbain ou encore de résorption de l’habitat insalubre de la ville de Marseille, il apparaît essentiel que la gouvernance des établissements satellites [reflètent] tant le poids de la commune dans leur activité que ces priorités et orientations”, argumentent les députés qui ne cachent pas que leur texte “reprend les travaux de la Ville de Marseille”.

Sur ce même sujet de l’habitat, le PS souhaite que la Ville reprenne en main l’agrément des logements sociaux et, plus globalement, limiter l’intervention de la collectivité présidée par Martine Vassal (LR) aux seules “actions et opérations d’intérêt métropolitain”. Avec le véto, la Ville en définirait là encore les contours à la carte.

(avec Jean-Marie Leforestier)

Un amendement gouvernemental qui traduit les négociations
Mis à part ce véto sorti du chapeau, le reste de l’amendement (disponible ici) reflète le consensus présenté fin octobre par la ministre et la présidente de la métropole. Comme l’avait détaillé La Provence, la descente vers les communes d’une dizaine de compétences dites de “proximité”, jusqu’aux bornes de recharge des véhicules électriques, y figure. L’amendement acte aussi la suppression des conseils de territoire, remplacés par une “organisation déconcentrée” purement administrative et non plus politique. Il demande également à la chambre régionale des comptes de rendre avant fin août “un avis sur les relations
financières entre la métropole et ses communes membres
“, pour nourrir une conférence financière et fiscale “dans un délai de deux mois”.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Ça paraît tellement évident…
    la municipalité élue à la majorité doit pouvoir mener la politique urbaine pour laquelle elle a été élue !
    Il n’est pas normal que des acteurs non choisis fassent selon leur bon vouloir et de préfèrence contre la municipalité qui a gagné-contre eux- les élections.
    La métropole doit s’occuper des enjeux métropolitains. Pas des rues, places, arbres, poteaux …
    Cela permettrait de clarifier les responsabilités. Qui doit être félicité pour son action, qui doit etre critiqué voire blâmé.
    De clarifier aussi la répartition des budgets.
    Peut-être aussi d’agir plus rapidement sur le terrain.

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    • Make OM Great Again Make OM Great Again

      On est d’accord sur la non-légitimité démocratique de la gouvernance actuelle. Pour palier à ça, il n’ y a qu’une seule solution : élire les élus métropolitains au SU direct.

      Par contre, je ne pense pas que l’urbanisme/l’aménagement du territoire ne puisse redevenir une compétence communale. Pour Marseille, à la limite vu sa taille, mais pour toutes les villes et villages, non. Ce serait un retour à l’essaimage et l’étalement urbain des années 80/90

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    • petitvelo petitvelo

      avec une majorité de 1 siège sur la seule ville centre, et toutes ces élections gagnées à quelques % de voix des 33% de votants parmi les éligibles … la notion de majorité reste fragile

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    • MarsKaa MarsKaa

      Petitvelo, la majorité des Marseillais n’a pas voté pour ceux qui tiennent la métropole. Ils les ont désavoués (en votant PM ou autre, ou en ne votant pas). Or c’est encore eux qui gèrent les grands dossiers Marseillais ! Ce n’est pas normal.

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  2. Tyresias Tyresias

    Ça pourrait arranger la zone où j’habite devenue déchèterie sans doute petite-mafieuse et aux carrefours accidentogenes que l’on signale sans effets

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  3. Alceste. Alceste.

    Et ce grand démocrate qu’est Teissier ,une réelle nouveauté,oublie de poser la question de base au sujet de la métropole, est’elle un exemple de démocratie dans sa conception ?.
    La réponse est bien entendu non,donc il faut corriger celà.

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  4. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Les demandes de la Ville sont légitimes, mais des faits laissent perplexes : les élus PM veulent avoir leur mot à dire à la SOLEAM, mais ils sont absents de tous les Conseils d’Administration et de toutes les Commissions d’Appel d’Offres (cf les PV de ces instances). “Qui ne dit mot, consent.”, alors qu’ils auraient toute liberté de prendre leur place dans le pilotage de cette entité (dont la Ville est administratrice car actionnaire à 20%). Pas très logique, à moins que la volonté soit une fois encore, comme pour l’équipe métropolitaine, ne jamais partager et d’exiger un contrôle total, exclusif… et pas très démocratique..

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    • Alceste. Alceste.

      A 20% vous avez droit aux petits fours et à une coupe de champagne lors des conseils d’administration. Concernant les décisions , vous passez car il n’y a rien à voir.

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    • Mars, et yeah. Mars, et yeah.

      Avec 20% ils ont quand même 3 administrateurs et autant de représentants en CAO. A défaut de leur donner le pouvoir, cela leur donne capacité, entre autre, d’éviter l’unanimité sur les décisions, notamment lorsqu’il s’agit d’approuver les orientations globales en CA. Certes, c’est pas déterminant, mais vous connaissez l’incendie et le colibri…

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Dans une autre vie, je fus représentant permanent de mon employeur dans divers conseils d’administration d’entreprise, et le président de l’un d’entre eux – avec qui je m’entendais très bien – m’avait un jour fait cette leçon : “petit minoritaire, petit c.n ; gros minoritaire, gros c.n”…

      Bref, être minoritaire, c’est très bien pour porter un témoignage, c’est rarement efficace pour emporter une décision.

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    • Mistral Mistral

      La technique de la chaise vide ne produit rien, qui ne dit mot consent, c’est malheureusement ce qui se pratique souvent en politique, voir l’assiduité des élus d’opposition dans les mairies de secteur !
      La Métropole ne pourra pas être démocratique tant que les conseillers métropolitains ne seront pas élus au suffrage universel sur un projet métropolitain !

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  5. Patafanari Patafanari

    Qu’en pense Michèle Rubirola, pour qui nous avions voté ? Peut-être acceptera t-elle de redevenir Maire de Marseille, maintenant que se dessine la perspective de disposer
    de réels pouvoirs pour faire avancer les choses.

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  6. BRASILIA8 BRASILIA8

    Je pense qu’en faisant un effort on peut arriver à un système encore plus compliqué et absurde par exemple le côté pair métropolitain impair marseillais du début de la rue jusqu’au croisement avec le tramway puis après le croisement communal seul le carrefour reste métropolitain ……….UBU n’est pas mort et dire que l’on paie des députés pour de tels débats

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    • Assedix Assedix

      plus j’y réfléchis plus je me dis que c’est vraiment n’importe quoi: on crée une usine à gaz institutionnelle pour régler des problèmes de représentativité!

      Pour que les Marseillais aient voix au chapitre dans les décision de la Métropole il suffirait que la prime majoritaire concernant les sièges au conseil métropolitain s’applique non plus au niveau du secteur, mais au niveau de la ville. Du coup certains conseillers métropolitains ne seraient pas conseillers municipaux, mais au fond: et alors ?

      Sinon, il y aurait bien une autre solution, mais c’est vraiment un truc de dingue : faire élire les conseillers municipaux et métropolitains non plus par secteur mais à l’échelle de la ville, comme dans toutes les autres communes (sauf 2) !

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Bien sûr qu’il faut élire le conseil municipal à l’échelle de la ville, et mettre un terme au système pervers des élections par secteur. Ce système encourage le court-termisme électoral, si bien mis en pratique par Gaudin et son gang qui ont concentré leur action sur les secteurs “rentables” en abandonnant la moitié de la population de la ville.

      Au fait, quelqu’un se préoccupe-t-il de cette réforme ou, comme en 2019, on constatera en 2025 qu’il est trop tard pour la mener ? Elle est au moins aussi importante que celle qui doit conduire à l’élection au suffrage direct du conseil métropolitain, pour éviter qu’un•e candidat•e battu•e à l’échelon communal puisse se refaire à l’échelon de la métropole sans la moindre légitimité démocratique.

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  7. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    De quoi ? Martine-la-Magnifique qui se prenait pour la maire de Marseille “n’ayant pas perdu” sans pour autant avoir gagné ne pourra plus être maire de Marseille ?

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  8. Assedix Assedix

    @ Julien Vinzent: je ne comprends pas le sens de la phrase :

    En réalité, les villes-centre sont rarement majoritaires, en population comme en siège, dans les métropoles françaises

    Parlez-vous de majorité absolue (mais dans ce cas Marseille ne fait pas exception) ? Sinon, quelle grande ville française n’est pas majoritaire au sein de son agglomération ?

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    • Pascal L Pascal L

      Pour celles que je connais : Nancy : 40 % ; Lille : 20 %

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  9. Patafanari Patafanari

    Il a falloir quand même falloir créer un cinquième niveau administratif pour coordonner tout ça.

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      ce n’est plus un mille feuilles c’est de l’émiettage

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  10. Andre Andre

    Marseille est elle vraiment la “ville centre” du point de vue de l’attractivité économique et culturelle? La centralité urbaine ne s’est jamais mesurée en nombre d’habitants. C’est là toute la logique de cette Métropole qui est en cause.

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