[Le géographe dans sa ville] Belsunce “au croisement de toutes les forces”

Série
le 23 Août 2016
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Marcel Roncayolo est un géographe culturel. Il joue avec l'objectif et le subjectif, aime l'idée d'être un impressionniste du monde urbain. Longtemps professeur à l'école normale, il propose dans Le géographe dans sa ville de le suivre dans sa ville de naissance, Marseille, aidé des notes qu'il a prises depuis 10 ans. Marsactu en publie les bonnes feuilles.

Noailles par Sophie Bertran de Balanda
Noailles par Sophie Bertran de Balanda

Noailles par Sophie Bertran de Balanda

Nous prenons la direction du centre-ville avec des extraits d’une deuxième balade intitulée “La Canebière – Belsunce / Noailles – cours Julien”, notre deuxième en compagnie de Marcel Roncayolo. Autour de Belsunce, le géographe et historien de l’urbain décrit un quartier tiraillé entre de multiples influences, au dessein incertain. Il s’interroge sur les différences de populations avec Noailles, reflet de Belsunce de l’autre côté de la Canebière. L’ouvrage est tissé autour d’un dialogue avec l’architecte Sophie Bertran de Balanda, qui signe les dessins et dont les propos sont en bleu. 

Autour du cours Belsunce

2008. L’itinéraire suit un tracé en quadrilatère autour de l’ancien cours, conduit à arpenter la rue Sainte-Barbe, rue des Dominicaines, rue du Baigneur, rue d’Aix, la halle Puget et le quartier des universités vers la rue Vincent-Scotto, rues du Petit-Saint-Jean et du Tapis-Vert. Surprises et contrastes sont au coin de chacune d’elles. Dans ce quartier à nouveau paupérisé, de nouveau animé par le tramway, cohabitent sans lien apparent bars, vieux hôtels et galeries d’artistes modestes, commerces de fripe et bibliothèque ; traces, pour qui se donne la peine de lever les yeux, des belles maisons baroques de l’ancien cours voisinant avec les architectures-témoins des âges successifs de l’urbanisme marseillais : Le Centre Bourse (ensemble de galerie commerciale) des années quatre-vingt ou l’improbable accrochage urbain, sans alignement sur la rue, des trois tours de Jacques-Henri Labourdette datées de 1960.

Dans le déclin de la Canebière qui se dessinait fin des années soixante, le « quartier » Belsunce révélait l’ampleur des changements sociaux de Marseille. Sous l’effet d’immigrations successives et du déplacement des zones d’accueil traditionnelles, il accédait au statut de « zone de transit » : un espace mouvant à la courbe incertaine où se construisaient des frontières fragiles sur le passage, le commerce maghrébin de la Porte d’Aix et le « meublé  » des marchands de sommeil. Le « cours » de mon enfance qui était en quelque sorte le forum marseillais, avec ses brasseries, son café-concert, ses tramways, le rendez-vous de ceux qui « vivaient de leurs bras et de leurs épaules » (Alfred Sauvy) se décomposait. Il était tenu à l’écart du mouvement de reconquête des friches anciennes de la Bourse, d’abord avec le projet (jamais abouti) d’un centre directionnel puis avec le centre commercial et le musée.

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Le musée d’histoire de Marseille et le port antique par Sophie Bertran de Balanda

Le cours Belsunce donne encore aujourd’hui l’impresssion d’être une zone de projet en essai, au croisement de toutes les forces pouvant le faire basculer d’un côté ou d’un autre. La reconversion en bibliothèque de l’Alcazar, lieu-symbole du destin populaire de Belsunce, a du sens. C’est, me semble‑t‑il, au vu du succès de sa fréquentation, un premier acte de revalorisation réussi. Sera-t-elle, en même temps que la relance du musée d’Histoire de Marseille et la remise en état des vestiges archéologiques du port antique, l’amorce d’une nouvelle centralité culturelle, capable de changer l’image du quartier ?

La rue Longue-des-Capucins

Longue, la rue dépasse les contours du marché. Elle traverse la Canebière et remonte vers le plateau Saint-Charles, traçant, à sa manière, le territoire invisible de l’immigrant, depuis des siècles, entre Belsunce et Noailles. Côté sud de la Canebière, on ne voit que l’étal des commerces qui débordent sur la rue, chaussures de sport en plastique voisinant avec des poissons alanguis, fruits à point ou plus, boîtes métalliques de loukoum poudrés et produits d’épicerie exotique qui attirent le chaland marseillais, toutes origines confondues. On imagine, derrière ces façades, celui qui était là avant, on devine derrière les fenêtres de l’hôtel meublé misérable le logement du dernier arrivant. Dans cette rue resserrée, qui croise perpendiculairement la Canebière, l’habitant est transparent au milieu de la foule cosmopolite.

Le recensement de 2010 montre que Belsunce et Noailles concentrent le plus fort taux de migrants (au sens de l’Insee, c’est‑à‑dire, les personnes nées à l’étranger de parents non français), près de la moitié de la population résidente du quartier. Par un mouvement naturel, tout migrant commence en effet par habiter la centralité. Mais une division sociale plus fine se dessine entre les deux anciens faubourgs qui depuis trois siècles sont les portes d’entrée de Marseille. Belsunce fixe des migrants déjà intégrés tandis que les migrants les plus récents traversent désormais la Canebière pour investir le quartier Noailles. L’axe nord-sud s’est ainsi substitué à l’axe est-ouest : la tessiture d’un passé plus ancien reparaît ; la continuité de la ville du xviie siècle, interrompue un temps par la percée de Noailles (sans doute trop scrupuleuse) est rétablie. Une sorte de contre-haussmannisation spontanée !

Belsunce par Sophie Bertran de Balanda

Belsunce par Sophie Bertran de Balanda

Marce Roncayolo couvertureLe géographe dans sa ville de Marcel Roncayolo (avec Sophie Bertran de Balanda)
272 pages, dessins et documents en couleur, Éditions Parenthèses, 2016 (en librairies).

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Commentaires

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  1. Cabri Cabri

    ” l’improbable accrochage urbain, sans alignement sur la rue, des trois tours de Jacques-Henri Labourdette datées de 1960.”

    Profitez des Journées du Patrimoine 2016 (17/18 sept) pour visiter les tours et leurs apparts entièrement modulables que leurs habitants ne quitteraient pour rien.

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