Le combat sans fin de la gardienne d’une école polluée pour faire reconnaître sa maladie

Reportage
le 5 Oct 2022
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Ce mardi, la justice se penchait sur le dossier de Michèle Rosa-Sentinella. La gardienne de l'école Oasis-Aygalades (15e) atteinte d'un cancer de la peau et traversant une dépression, attaque la Ville de Marseille après avoir vécu 30 ans dans un logement de fonction avec un jardin pollué.

La pollution dans les terres de l
La pollution dans les terres de l'école Oasis-Aygalades est connue depuis 2011, mais la mairie n'a démarré des travaux qu'en 2017. (Photo : VA)

La pollution dans les terres de l'école Oasis-Aygalades est connue depuis 2011, mais la mairie n'a démarré des travaux qu'en 2017. (Photo : VA)

“Je me suis mise en maladie parce que j’avais trop peur, je n’y arrivais plus…”, jure Michèle Rosa-Sentinella, avant de fondre en sanglots à l’autre bout du téléphone. Comme depuis 2018, lorsqu’elle a décidé d’avoir recours à la justice, la gardienne de l’école Oasis-Aygalades, dont les sols ont été reconnus comme pollués, se sent à nouveau obligée de se justifier. Après avoir été déboutée en première instance, elle a porté son dossier devant la cour administrative d’appel de Marseille. Une affaire dans laquelle elle attaque la Ville de Marseille pour tenter de faire reconnaitre ses maladies, un cancer de la peau et une dépression, comme maladies professionnelles.

La décision de la cour, ultime recours avant le Conseil d’État, n’est pas encore connue. Mais déjà, les conclusions que le rapporteur public a rendues ce mardi matin n’augurent rien de bon pour Michèle Rosa-Sentinella. “J’ai vu un expert qui m’a déclarée inapte. Je n’ai rien inventé”, poursuit celle qui a vécu durant 30 ans dans un environnement où les taux de métaux lourds, entre autres, dépassaient largement les seuils réglementaires. Pour le magistrat qui conseille le tribunal, en revanche, le lien est loin d’être évident.

Les coups de soleil dans l’enfance plutôt que le jardin

“L’école a été construite sur un site industriel de production d’hydrocarbures. Une étude sur les sites pollués a clairement mis à jour la pollution avérée des sols de cette école classée en catégorie C, soit le pire des critères, avec une forte teneur en plomb, se lance le rapporteur public devant le tribunal du boulevard Paul Peytral ce mardi matin. Nous ne négligeons en rien la problématique de l’exposition au plomb.” L’entrée en matière pourrait satisfaire les deux avocats de la requérante, si elle n’avait pour autre effet que de faire passer la pilule.

Les mélanomes peuvent être en lien avec la pollution, mais également avec le soleil ou l’hérédité.

Le rapporteur public citant un rapport d’expertise

“La maladie est-elle pour autant imputable au service ?, questionne le rapporteur public. Il semblerait que non”. Il cite ensuite le rapport d’expertise dermatologique versé au dossier : “les mélanomes peuvent être en lien avec la pollution, mais également avec le soleil ou l’hérédité.” Dans le cas précis, “les coups de soleil dans l’enfance sont les facteurs principaux, plus que le lieu de vie”, ajoute-t-il avant d’insister : “l’expertise détermine avec certitude l’imputabilité de la maladie à l’exposition solaire, aux comportements individuels plutôt qu’à l’exposition à des substances nocives.”

“Je suis déçue, mais je m’y attendais. Quand je suis allée voir le dermatologue, il m’a dit que c’était très long et très compliqué de faire le lien avec la pollution”, se remémore la requérante auprès de Marsactu. Mais elle garde une amertume au sujet de la rapidité des examens : “Une semaine plus tard, on avait les résultats. La seule question qu’il m’ait posée finalement, c’est pour savoir si j’étais allée à la plage avec mes parents…” Au bout du fil, Michèle Rosa-Sentinella poursuit, abattue : “pour la dépression par contre, je ne m’y attendais pas.”

Un risque “trop général”

Lors de l’audience, où elle n’était pas présente, le rapporteur public amène délicatement la question de la santé mentale de l’ancienne gardienne de l’école Oasis-Aygalades : “La Ville se doit de prendre les mesures nécessaires pour protéger ses agents. Or, elle n’a rien fait de 2011 [date à laquelle l’État a publié une étude pointant les problèmes de pollution dans l’école, ndlr] à 2018. Rien n’explique l’inertie de la Ville.”

Mais pour celui qui a pour mission de conseiller la cour, les troubles psychiatriques de la requérante ne peuvent être directement liés à un manquement de la mairie. Il note qu’ils se déclenchent en 2017, lorsque la gardienne “se rend compte qu’elle est exposée à des substances nocives”. Mais ajoute : “Le préjudice lié à une crainte de développer une maladie grave peut être indemnisé si le risque est certain et direct.” Or, ici, ce n’est pas le casanalyse-t-il.

La gardienne a cultivé un potager dans la terre polluée pendant des années.

“À partir de quel seuil d’exposition ? De quelle substance ? Ici, le trouble pathologique est trop général”, insiste le rapporteur public qui conseille donc “d’écarter le préjudice d’anxiété”. Un argumentaire que l’avocat de l’ancienne gardienne réfute sans surprise. Emmanuel Ravestein rappelle qu’elle a “ingéré pendant des années des légumes du potager de son jardin” qui présentait “un inventaire à la Prévert de substances toxiques”. Pour lui, le risque sur la santé est par conséquent avéré.

Littérature américaine

Les substances en question “peuvent causer des cancers mais pas celui de Michèle Rose-Sentinella ?”, s’interroge faussement Emmanuel Ravestein avant de citer des études américaines. Dans cette littérature, précise-t-il, la pollution observée dans les sols de l’école est mise en lien direct avec des cas de mélanomes identiques à ceux de la gardienne de l’école Oasis. “Non, manger du pyrène n’est pas bon pour la santé, conclut-il. Des préjudices sur la santé pourront aussi arriver plus tard. Quant au préjudice moral, il est caractérisé et non général, car il est certain que la santé est altérée.” 

De son côté, l’avocat de la Ville ne s’étend pas. En quelques secondes, Joseph Lapina lâche : “il y a des réalités, la contamination des sous-sols et les pathologies de madame Rosa-Sentinella. Sauf que l’on essaie de créer un lien entre ces pathologies et les métaux lourds qui n’est pas possible selon les experts.” Pour la principale concernée, en revanche, le doute n’existe pas. “Elle est certaine d’être tombée malade à cause de la pollution”, complète Pascal Luongo, son deuxième avocat.

J’aurais voulu qu’on reconnaisse la façon dont ils m’ont traitée… pour moi, pour les enfants.

Michèle Rosa-Sentinella

Le conseil de la plaignante se réserve la possibilité d’aller jusqu’au Conseil d’État et vient par ailleurs de contester la décision de la commission de réforme. C’est cette instance consultative qui a conseillé à la Ville de ne pas reconnaitre la maladie de son employée comme professionnelle. “Jusqu’à présent, j’étais en maladie professionnelle, là, je vais passer en invalidité. Je ne sais pas bien ce que cela change. J’aurais voulu qu’on reconnaisse la façon dont ils m’ont traitée… pour moi, pour les enfants”, regrette Michèle Rosa-Sentinella, à bout de force. Continuer à se battre ? Avant de raccrocher, la fonctionnaire répond simplement, comme un aveu de renoncement : “Je ne sais pas. Je suis épuisée”. Le délibéré doit être rendu le 18 octobre prochain. Deux semaines pour retrouver des forces, ou décider de tourner la page, sans la justice.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Un dossier qui n’est pas simple. Mais qui nous rappelle que des écoles et des habitations, des jardins, des terrains de jeux ont été construits sur des terrains toxiques, et que la municipalité Gaudin une fois informée (on peut penser qu’ils ne “savaient pas” avant les rapports d’expertise des sols…) n’a rien fait pour protéger les enfants, les personnels, les habitants. Et que ces situations ne sont pas réglées.
    Courage Madame !

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