L’année 2021 dans les pas d’Émilie Seto
Pour commencer la période des rétrospectives, Marsactu a demandé à l'illustratrice Émilie Seto de raconter son année 2021 en images et en texte. Une longue promenade au milieu des paysages urbains et sauvages qu'elle sait magnifier de couleurs criardes à souhait.
Immeubles boulevard Sakakini. (Illustration Émilie Seto)
Cette année j’ai beaucoup marché là où pas grand monde ne marche par plaisir, habitude que j’ai gardée des périodes de confinement, quand il fallait trouver des endroits suffisamment déserts pour ne pas être prise la main dans le sac à dépasser son périmètre autorisé.
Il y avait la nuit aux Chutes-Lavie, sa lumière dorée, son enfer de départementale et de bruit, un des seuls endroits à ma connaissance où l’éclairage public diffuse un jaune moins glacial que dans le reste de la ville. Hasard de la couleur des ampoules ou des nuances de blanc dans la peinture des murs, mais ça tenait probablement à peu de chose. Il y avait aussi dans la mélancolie chaotique du quartier et de la lumière la promesse d’une vie normale introuvable dans le désert d’Arenc.
Le printemps a fini par revenir, je suis allée un peu plus loin, là encore où personne n’est vraiment censé zoner.
Périer et Font-vert n’ont en commun que leur chaos de bagnoles. Les seuls êtres humains qui s’y baladent n’ont manifestement pas le choix, s’y sont perdus ou y travaillent comme ils peuvent, le cul posé le long d’un stade défoncé ou sur le chantier d’une baraque à quatre étages, et quelqu’un comme moi qui a choisi de marcher par là-bas ne fait manifestement partie d’aucun de ces deux mondes.
Les beaux jours revenaient, la menace de l’épidémie mondiale et de la catastrophe se faisait lointaine, et le centre-ville se remplissait de nouveaux arrivants, temporaires ou presque pas, tous appelés par la terre promise de Marseille, malgré le chaud, l’été, la mer, l’incendie, et il a fallu trouver des endroits où il n’y avait personne.
J’ai poussé plus loin, toujours plus loin des touristes, vers les endroits qu’on ne pensait même pas à démarketer. À Saint-Jean-du-désert, où le Soleil frappait très fort les gamins qui, eux, ne les voyaient jamais, les touristes. Dans les collines de la Nerthe où un cimetière de bagnoles abandonnées, – oui, encore elles -, ressemblait à un champ de ruines antiques invisible aux yeux des vacanciers.
En septembre la vie normale a repris et certains des nouveaux venus avaient fini par rester. Sur l’un d’entre eux en particulier des attentes immenses pesaient pour mener les fans de l’OM vers leur terre promise. Des Riaux à Haïti à Corot, les petits et les plus grands, tous participaient un peu à la répétition générale de leur grand soir.
En dehors des stades, ce qu’on connaissait de la ville avant l’été continuait, la France découvrait que ni les immeubles en ruine, ni le ramassage des ordures, et ni tant d’autres choses n’avait été envisagés sérieusement par quiconque doté d’un peu de pouvoir (on ne savait plus vraiment qui). À Cazemajou on envisageait d’évacuer un squat indigne vers un autre endroit indigne. Divers meubles et sacs-poubelles s’amoncelaient dans la rue avant de finir tranquillement leur vie dans la Méditerranée, ce qui était un scandale car la logique aurait voulu qu’ils meurent loin, très loin, dans les mers d’Asie et d’Afrique subsaharienne où on les envoie d’habitude.
Aujourd’hui la carte postale reprend ses couleurs alors que l’hiver revient, et sous le même ciel du Roucas-blanc au Frais-Vallon on entend le vent souffler entre les allées vides et les plantes. Je ne sais pas si un jour j’aurai fait le tour de ma balade, là où le bus passe de moins en moins, dans les endroits où ceux qui n’y vivent pas ne sont pas censés venir. Et où je finis toujours par trouver les vues qui m’écrasent et auraient dû rester cachées, tout en haut, à travers les grillages troués, les périphériques et les terrains vagues.
Et puis, le soir, je finis par rentrer.
Pour découvrir le travail d’Émilie Seto, relire son portrait paru dans Marsactu en 2020.
Commentaires
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Bouleversifiant … j’avais ‘raté’ le portrait de septembre dernier (tête dans le chou), et là je prends tout ça dans le cigare en guise de petit-déj et je suis ‘FAN’. Pourquoi ce dessin fait-il remonter en moi l’écriture de Jean-Claude Izzo ou (malgré l’écart graphique radical) de Philippe Carrèse (Pet-de-mouche et la Princesse du désert) ?
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Merci pour ce cadeau,, quel plaisir !
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😍😍😍😍😍😍😍 Joyeux Noël à toute l’équipe de Marsactu et aux lecteurs!
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La ville soudain m’émerveille merci de ce cadeau. Bonnes fêtes à tous.
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Superbe ! . Emilie SETO arrive à mettre physiquement par la peinture ce que l’on peut ressentir en se balladant sans pouvoir l’exprimer. . Le massif des Calanques est pour moi particulièrement significatif. La photographie est un outil incroyable mais a un seul défaut de ne pas mettre ce supplément d'”âme” et le ressenti du peintre. Autre exemple significatif , le stade Corot qui est un coin pourri , et pourtant là , l’abord positif prend le dessus “in fine”.
Merci.
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Superbe ! Merci mille fois pour avoir si bien souligné que la beauté est partout, même là où ne l’attend plus.
Il suffit d’ouvrir les yeux. Et d’avoir du talent !
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Etonnant de vérité et effectivement, certains endroits où on ne discerne en rien une quelconque “beauté” sont magnifiés.
Merci à Emilie Seto de nous les montrer et de nous forcer à les voir différemment.
Joyeux Noël à toutes et tous.
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je trouve ces dessins magnifiques qui subliment la ville tout en étant une vision exacte de la réalité
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merci à marsactu de me ( nous ) faire découvrir le beau travail d’ Emilie SETO. Avec un peu de poésie dans le regard, la réalité la plus sale n’est plus repoussante. Joyeux Noël
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Je connaissais déjà le boulot d’Emilie, qui a si souvent donné des dessins à CQFD, cet indispensable mensuel de critique et d’expérimentation sociales fabriqué à Marseille.
Là, avant même le jardin minéral de la bonne Mère ou le terrain de foot des Riaux, je suis tombé amoureux de tes immeubles de Sakakini, c’est dire !
Bon bout d’an à l’artiste et puis à tout le monde.
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