La soirée en montagnes russes du Printemps marseillais

La soirée en montagnes russes du Printemps marseillais

“Ah, bon, c’est pas gagné ?” Il est minuit et quelques dizaines de militants piétinent devant le QG du Printemps marseillais, rue Friedland. La fanfare qui avait commencé à jouer gaiement à 22 heures commence à s’essouffler mais tient la durée. “Les chiffres qu’on a vus à 21 heures, c’était quoi alors ?”, enchaîne un grand quadragénaire. “Tu vois, c’est un peu comme pour Hillary Clinton, tu as plus de voix mais pas tous les sièges qu’il faut”, lui répond l’ami qui l’accompagne. Pour les soutiens du Printemps marseillais, plus la nuit avançait, plus il a fallu se familiariser avec l’arithmétique du scrutin par secteurs. La soirée avançant, les sondages annonçant un raz-de-marée à l’échelle de la ville se sont petit à petit changés en casse-tête à 101 inconnues, comme 101 sièges pourvus au conseil municipal.

Joie sans fard chez les gagnants

Chez Sophie Camard, l’euphorie s’est déclenchée très tôt. Dotée d’une bonne avance dès le premier tour, la tête de liste des 1/7 a déboulé hors de sa permanence un grand sourire aux lèvres tout juste une heure après la fermeture des bureaux de vote. Des youyous retentissaient. “Je pronostiquais cette vague, mais je suis déçue de la participation, cela aurait rendu le mouvement historique. Mais cela prouve que ceux qui voulaient du changement sont ceux qui se sont déplacés”, déclare la désormais maire du cœur de ville, qui s’échappe vite vers le plateau de France 3. Le local de la candidate continue de vibrer une bonne partie de la soirée et l’emballement grandit avec les premières estimations qui tombent. On acclame même la victoire de Jean-Marc Coppola dans les 15/16, finalement démentie par la suite. Les plus motivés se préparent à rejoindre la mairie centrale, mais la sono est vite rangée, sans avoir servi.

Olivia Fortin dans son local de campagne à 22 heures le 28 juin. Photo : LC

L’ambiance est d’autant plus explosive chez Olivia Fortin, qui arrive dans son local de campagne sous les hurlements de joie de ses colistiers qui comprennent rapidement que le bastion historique de la droite chancelle. “Si ça se concrétise, ce sera une victoire collective”, répond la candidate à la cinquantaine de militants qui crient son nom. Des éboueurs passant dans la rue crient “Vassal !”. Ils sont vite oubliés par la petite foule occupée à cette victoire qui s’annonce. Aux abords du local, les voitures klaxonnent, il y a des airs de victoire de l’OM. “Ça vous fait pas peur de diriger la deuxième ville de France ?”, interroge un journaliste. “Ça fait trois ans que je me prépare à ça”, renvoie en un éclair celle qui vivait là sa première élection.

Rue Vincent-Leblanc, à la permanence de Benoît Payan, on remonte les résultats du dépouillement dans une ambiance studieuse. Mais plus la soirée avance, plus il est difficile de contenir les excès de joie. Aux alentours de 22 h 30, les chants et les embrassades ont remplacé les chuchotements entrecoupés d’annonces de scores. Benoît Payan est largement en tête. Pour autant, ce dernier se dit prudent. “J’attends de savoir ce qu’il se passe ailleurs. Ce qui m’intéresse, c’est de changer le destin de cette ville. Même si je suis très heureux d’avoir gagné ici”, lâche-t-il avant d’enfourcher son scooter pour se rendre à la permanence centrale, rue Friedland. Debout sur sa monture et par dessus le son du klaxon, il ne peut finalement se retenir : “allez le printemps !”, crie-t-il à l’adresse de ses militants en fête.

Le verrou des 11/12

Mais peu importe l’allure du scooter emprunté par le probable futur maire des 2/3, il ne montera sur l’estrade entouré de ses colistiers que deux longues heures plus tard. “On attend les résultats des 11/12, et ça change tout”, s’excuse la responsable de la communication devant les dizaines de journalistes qui patientent pour voir Michèle Rubirola prendre le micro.

À l’est de la ville, la garde rapprochée de Yannick Ohanessian compte et recompte les voix qui leur parviennent des bureaux. “C’est très serré”, est la seule information qui filtre du bureau de la boite de production des Films du soleil, que le Printemps a choisi comme QG, et où l’équipe s’est enfermée. Dans le jardin, les militants et sympathisants trépignent. “Toute ma famille m’envoie des textos pour me féliciter mais je ne sais même pas encore si on a gagné !”, s’affole un militant.

Quand la tête de liste apparaît enfin, vers 23 h 30, sa mine défaite ne laisse pas de place au doute. Arrivé 3e au premier tour Yannick Ohanessian échoue de peu à ravir les 11e et 12e arrondissements à la droite. Devant les militants et sympathisants du Printemps rassemblés dans son QG le candidat préfère voir le verre à moitié plein. “34 %, ça faisait 35 ans que ça n’était pas arrivé pour notre camp politique”. Il fait applaudir la victoire de Rubirola. Les 352 voix de retard sur la liste LR de Julien Ravier seront passées au crible. “Au regard des révélations dans la presse de ces trois dernières semaines, on va regarder ce qu’il est possible de faire en terme de recours”, assure-t-il.

“Pas de verdict clair”

Minuit 40, Michèle Rubirola et six de ses colistiers sortent enfin de leurs bureaux et rejoignent l’estrade sous les acclamations de militants. “Le scrutin ne nous livre pas un verdict clair. Ce sont les derniers signes de résistance d’un système que les Marseillais ont rejeté”, lance solennellement la tête de liste à la mairie centrale qui reconnaît n’avoir obtenu qu’une majorité relative. Malgré la victoire en demi-teinte le rendez-vous avec les Marseillais, déjà annoncé plus tôt, est maintenu sur le Vieux-Port. Accompagnée de Benoît Payan, Sophie Camard, Sébastien Barles, Yannick Ohanessian, Aïcha Sif, Olivia Fortin et Christine Juste, elle se dirige vers la sortie du local, dans une cohue de photographes avant de faire face à une petite centaine de militants encore présents malgré l’heure avancée.

L’équipe du Printemps marseillais prend la parole devant la presse après minuit. Photo LC

La troupe se met en route, tandis qu’un “aux armes” rugit rue Friedland. Perdue dans la foule Christine Juste, troisième sur la liste dans les 6/8, prend le temps de regarder la scène. “On aurait aimé des scores un peu plus soviétiques”, observe-t-elle avec une moue.

Une esplanade Bargemon à moitié remplie accueille le cortège quelques minutes plus tard. “Michèle ! Michèle !”, crie la foule. Poussés par les badauds et la meute de caméras, les nouveaux élus affichent des mines fatiguées voire même hébétées sous les flashes. Pensent-ils déjà à la semaine de négociations ardues qui s’annonce ? Certainement. Michèle Rubirola reprend la parole pour saluer les Marseillais. Dans le brouhaha enflammé percent quelques “on a gagné ou pas ?”. “Mais non, on n’a pas gagné”, grogne un vieux militant de gauche à l’oreille de Yannick Ohanessian. À bientôt deux heures du matin, au pied de la vieille mairie, les partisans du Printemps marseillais se divisaient entre ceux ivres de joie, qui célébraient un “moment historique” et les autres, un petit verre à la main, qui ne perdaient pas de vue la difficile arithmétique.

Lisa Castelly, Margaïd Quioc, Violette Artaud et Clara Martot