La seconde vie de The Camp n’efface pas ses 21 millions de dettes publiques

Actualité
le 8 Juil 2022
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Cinq ans après son inauguration, le campus nouvelle génération de l'Arbois change de mains après avoir frôlé le dépôt de bilan. Une bonne nouvelle pour les collectivités locales qui peuvent espérer revoir un jour les 21 millions d'euros d'argent public apportés en tant qu'avances remboursables.

Le campus unique en son genre installé dans l
Le campus unique en son genre installé dans l'Arbois prend une nouvelle direction. (Photo : RB)

Le campus unique en son genre installé dans l'Arbois prend une nouvelle direction. (Photo : RB)

C’est un lieu qui n’existe pas, alors on a décidé de le construire”. La phrase, affichée en anglais, accueille les visiteurs de The Camp. Elle résume assez bien la mentalité de ce campus où devait “s’inventer le futur” à grands coups d’innovations, de rencontres et d’expérimentations. Mais en cinq ans, les présidents successifs ont surtout pu tester la gestion de crise d’un “ovni”, niché dans la campagne aixoise, incapable d’atteindre l’équilibre économique.

Un défi auquel s’attaque désormais un nouveau trio. Il se constitue de Kevin Polizzi, Stéphane Soto et Francis Papazian, respectivement comme actionnaire à 100%, président et directeur général. Les deux premiers œuvrent depuis plusieurs années dans les métiers de la transition numérique. Kevin Polizzi, en tant que président d’Unitel qui regroupe des entreprises dans le secteur du numérique, ainsi que Stéphane Soto, notamment à l’origine de la création de la French Tech sur Aix-Marseille. Il n’est donc pas très étonnant de les voir persévérer dans la voie tracée à l’origine par The Camp.

L’idée d’origine était bonne.

Kévin Polizzi

Le discours reste celui de la start-up nation, mâtiné d’accent franglais. L’ambition est de “disrupter la formation”, de travailler sur l’intelligence artificielle, le métaverse et bien sûr de “construire le monde de demain”. On se croirait replongé en 2017 lors de l’inauguration du site en grandes pompes. “L’idée d’origine était bonne”, défend Kevin Polizzi qui confirme la “continuité” de son projet avec le précédent.

La “bonne idée” a pourtant conduit la version une de The Camp au bord du précipice. Depuis cinq ans, le terrain de sept hectares sur le plateau de l’Arbois, semble bien vide et le bâtiment aux courbes architecturales futuristes, qui lui vaut le poncif de vaisseau posé dans la garrigue, ressemble aux vestiges d’une civilisation disparue. En revanche, les déficits eux s’accumulent. Pour cette reprise, Kevin Polizzi apporte 25 millions d’euros de fonds propres via sa société Unitel, mais il évoque “un investissement de 50 millions d’euros“. La somme prend en compte les diverses dettes, l’acquisition de l’immobilier et les 21 millions d’euros des collectivités.

Pour les collectivités, l’espoir de revoir les avances

En 2017, au lancement du projet, la région, le département et Aix-Marseille Provence Métropole (AMP) apportent 20 millions d’euros (cinq chacun pour les deux premiers et le reste pour AMP) dans l’escarcelle du projet de “centre d’innovation positive”. Non pas des subventions, mais des avances remboursables. La chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille-Provence (CCIAMP) en ajoute un. Cet argent doit couvrir la moitié des frais de fonctionnement pour les premières années. Sauf que The Camp ne dégage pas de rentabilité et voit ses comptes sombrer dans le rouge très rapidement, ce qui rend les remboursements impossibles. Au point de repousser à 2023 un éventuel retour de ces créances.

Le  dépôt de bilan aurait signifié l’abandon pur et simple des créances. Ce nouveau projet a le mérite de laisser vivre l’espoir de revoir l’argent avancé.

Nous allons négocier avec les collectivités pour rembourser avec une montée en charge progressive”, avance Stéphane Soto. Pour le quatuor région-département-métropole-CCIAMP, la marge de manœuvre reste faible. Le dépôt de bilan aurait signifié l’abandon pur et simple des créances. Ce nouveau projet a le mérite de laisser vivre l’espoir de revoir l’argent avancé. “Elles pouvaient réclamer le remboursement immédiat avec le changement d’actionnaire”, note Kevin Polizzi, satisfait que cela ne soit pas le cas. En parallèle, il faudra aussi s’acquitter de diverses dettes supplémentaires, soit 7 millions d’euros selon Stéphane Soto.

Kevin Polizzi (au centre) entouré de Francis Papazian (à gauche) et Stéphane Soto (à droite). (Photo : RB)

Tout l’enjeu est donc de savoir si ce The Camp “next generation”, le nom du nouveau projet, va réussir, lui, à asseoir sa rentabilité. Kevin Polizzi ambitionne d’y arriver “courant 2023″. Soit demain. Pour y parvenir, le chiffre d’affaires annuel doit atteindre une fourchette de “6 à 8 millions d’euros”, précise Stéphane Soto. C’est beaucoup moins que les objectifs de la première mouture de The Camp qui tablaient sur 15 à 20 millions d’euros à générer au bout de trois ans d’exploitation. Finalement, il plafonnera à 10 millions d’euros en 2019.

Réduire les coûts de fonctionnement

Beaucoup d’acteurs expliquent ce raté par le décès accidentel du fondateur du campus, Frédéric Chevalier*, juste avant l’inauguration. Les raisons de cet échec se trouvent aussi dans les deux talons d’Achille du modèle de l’époque. À commencer par des coûts de fonctionnement trop importants, à l’image du loyer qui flirtait avec les 2,5 millions d’euros annuels.

Jusqu’à présent, la SAS The Camp – l’exploitant –  versait un loyer à The Camp i, le propriétaire du foncier. Kevin Polizzi a racheté les deux structures. Le montant du rachat de The Camp i n’a pas été communiqué. Un rapide calcul le situe aux alentours de 22 millions d’euros. Soit moins que la valeur vénale estimée entre 25 et 30 millions d’euros en 2019, selon un document interne publié par le média Blast, mais qui correspond aux emprunts contractés par la société The Camp i auprès du Crédit agricole et de la Caisse d’épargne. Avec cette opération, Kevin Polizzi assure que le loyer sera “divisé par plus de deux”.

Pour ce qui est de la masse salariale, le site compte aujourd’hui “une quarantaine d’employés” indique Stéphane Soto, contre près du double à la fin des années 2010. Le nombre ne devrait pas bouger, mais un turn over va probablement s’opérer. L’objectif étant d’acquérir de nouvelles compétences pour proposer des formations différentes.

La nouvelle équipe va devoir convaincre les anciens clients de rester à bord.

Le volet des offres était l’autre point faible de The Camp. Elles étaient souvent considérées comme trop chères. “Nous voulons industrialiser nos formations pour permettre d’avoir des tarifs abordables“, détaille Kévin Polizzi. Il espère ainsi attirer des clients privés comme publics. Pour y parvenir, il va falloir mettre en place un gros travail de prospection. La quinzaine de grands groupes qui ont fait partie du décollage du projet initialement – Airbus, Sodexo, Cisco, La Poste, Sanofi, RATP, Vinci, SNCF… – ont aussi vu sa chute. “Nous irons les voir un à un“, promet Stéphane Soto. La nouvelle direction confie ne pas encore avoir défini les offres avec exactitude, mais évoque 25 parcours de formation différents.

Surtout, elle compte s’appuyer sur les séminaires et l’hôtellerie. La partie “hospitalité” prendra-t-elle le pas sur la création du monde de demain ? “C’est impossible à dire aujourd’hui, mais nous prendrons les revenus d’où qu’ils viennent“, répond, pragmatique, Stéphane Soto. Une version que les collectivités locales apprécieront.

*Frédéric Chevalier a par ailleurs été actionnaire de la société éditrice de Marsactu avant que ses journalistes ne reprennent le titre en 2015.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Foutu le camp.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    Je n’ai toujours pas compris ce qu’était ce machin. Pardon, hein, l’idée était peut-être magnifique, mais c’était quoi ? Une université privée ? Une école d’ingénieur ? Une école de commerce ? Une pépinière/couveuse de start up ? Une technopole privée (lieu concentrant université/entreprises de la tech/labos de recherche) ?

    Et puis quels liens avec les universités et autres écoles du coin ? Partenariat ou concurrence ? Quel liens à l’international ? Quelles procédures de recrutement des “collaborateurs”, des formateurs ?
    Et pour quels diplômes ? Reconnus ? Était-ce le règne de l'”entre-soi” ?Était-ce une bulle, un isolat ?

    Les institutions qui ont financé The Camp à ce niveau savaient-elles ce qu’elles finançaient précisément, ou était-ce du copinage habituel investisseurs/architectes/écoles privées/patronat local/élus locaux ?

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  3. BRASILIA8 BRASILIA8

    Ils comptent gagner de l’argent en 2023 avec des offres fin 2022 qui ne sont pas exactement définies ! Bel optimisme

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  4. Alceste. Alceste.

    Une bonne opération immobilière qui va très rapidement se transformer en opération hôtelière et événementielle .
    Avec 8 millions de chiffre d’affaires comment rembourser 21 millions d’euros d’avances.
    Encore une équipe qui confond chiffre d’affaire et résultats. Renaud, Martine et l’inimitable Chauvin de la chambre de commerce vont pouvoir organiser des ” pince fesses” non pas avec des subventions,mais des avances comme ils disent.Moi je dirais plutôt avec de l’argent jeté par les fenêtres.
    J’attends avec impatiente les commentaires de la CRC.

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    • SN SN

      “Encore une équipe qui confond chiffre d’affaire et résultats” : je vous invite a vous renseigner sur les personnes en question, ce sont des chefs d’entreprises qui réussissent sur le territoire depuis de très nombreuses années dont un a vendu sa société au groupe Iliad (free) pour quelques centaines de millions d’euros ; pour le coup je leur fais plus confiance qu’à vous pour ce qui concerne la compréhension d’un compte d’exploitation…

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  5. Mathieu Trigon Mathieu Trigon

    Étonnamment le mot “escroquerie” n’apparait à aucun moment dans l’article.

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  6. leb leb

    En fait si j’ai bien compris, il s’agit d’un campus universitaire privé dévolu à la “start-up nation”. C’est peut-être bien parce que les start-up sont elles-mêmes des structures fluctuantes, changeantes et instables dans la durée, que la tentative de les institutionnaliser via ce type de campus est une entreprise périlleuse.

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  7. Alceste. Alceste.

    SNG, vous avez raison .Soit effectivement ils connaissent bien la manipulation d’un compte d’exploitation,ou alors ils prennent les gens pour des blaireaux et s’amusent bien avec notre argent et le votre avec.
    Faites votre choix.Mais avec un CA de 6 millions ( chiffre annoncé ce matin),vous m’expliquez comment ils vont en rembourser 21.Deux solutions,la fameuse clause de ” retour à bonne fortune” ou alors des provisions à la Région,au Département et à la CCIAMP accompagnées d’un étalement des remboursements tels que cela ressemble étrangement à un don.
    Dans tous les cas les 21 millions sont évaporés,mais nous pourrons faire des mariages, séminaires, conventions version 3.0, comme disent les” start up”er. Tout ce baratin nouvelle économie et enseignement New wave pour finir dans la limonade et le bon plan immobilier.
    Les institutions locales ont la main sans la confiture jusqu’àu cou, alors pour sauver les apparences on brade.Mais nous en avons l’habitude.
    Je suis impatent du rapport de la CRC.

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  8. Alceste. Alceste.

    Et pour compléter mon propos sur une alternative possible,il aurait peut être plus opportun de transférer ces locaux à l’Université Aix /Marseille département Informatique, Économie , Gestion et IAE Aix .Et là nous serions vraiment dans le sujet.

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  9. petitvelo petitvelo

    Pendant ce temps, a Grenoble, et pas à Rousset, ST microélectronics lance une nouvelle usine, mais ç:est “so 1•0”. hein …

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