La justice offre un premier apaisement aux victimes des ex-dentistes Guedj

Reportage
le 9 Sep 2022
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Tous deux reconnus coupables en première instance de mutilations et d'escroquerie, Lionel et Carnot Guedj ont passé leur première nuit en prison en attendant leur procès en appel. Attentive aux centaines de victimes, la justice ouvre, plus de dix ans après, la perspective d'une indemnisation.

Des dizaines de victimes ont assisté au délibéré dans la grande salle de la caserne du Muy, aménagée pour l
Des dizaines de victimes ont assisté au délibéré dans la grande salle de la caserne du Muy, aménagée pour l'occasion. (Photo : JV)

Des dizaines de victimes ont assisté au délibéré dans la grande salle de la caserne du Muy, aménagée pour l'occasion. (Photo : JV)

“Nous avons passé sept semaines ensemble, nous souhaitons que vous preniez encore sur vous, essayez d’avoir la même patience.” Céline Ballerini s’apprête à rendre le jugement du tribunal correctionnel de Marseille à l’encontre des ex-dentistes Lionel et Carnot Guedj. Mais c’est d’abord à leurs victimes, 335 parties civiles dont plusieurs dizaines ont fait le déplacement pour l’entendre, qu’elle s’adresse.

Visages fermés, pour beaucoup des femmes, elles ont pour certaines fait le récit à la barre des opérations subies, principalement des dévitalisations avec pose de couronnes, et de leurs séquelles. “Ce sont elles qui sont condamnées, à vivre au gré des traitements, des interventions”, pose Céline Ballerini, après avoir déclaré les deux prévenus coupables de violences ayant entraîné une mutilation et d’escroquerie à l’encontre de la Sécurité sociale et des mutuelles, qui ont remboursé les milliers d’actes injustifiés.

Rendez-vous directement en prison

Plusieurs centaines de personnes, peut-être plusieurs milliers si l’on inclut celles qui n’ont pas pu ou voulu se joindre à la procédure, sont “sorties de ce cabinet avec des vies détruites. Sans sourire mais aussi sans expression, sans vie sociale et avec des douleurs intolérables qui ne passent pas depuis plus de dix ans”, cingle la magistrate. Cette “atteinte aux personnes en masse” supplante mais n’efface pas le fait “particulièrement désagréable d’avoir détourné un système de solidarité nationale au profit de deux personnes”.

On ne devrait jamais se réjouir d’une peine d’emprisonnement, quelles que soient les situations.

La présidente Ballerini devant les applaudissements du public

Les mots sonnent déjà comme une reconnaissance, lorsqu’ils considèrent aussi comme un facteur aggravant le statut social des prévenus, leur position de “sachant”. Et puis les peines tombent, suscitant des applaudissements : huit ans ferme pour Lionel, cinq pour son père, avec mandat de dépôt synonyme d’un emprisonnement immédiat, assorti d’une interdiction définitive d’exercer. “On ne devrait jamais se réjouir d’une peine d’emprisonnement, quelles que soient les situations”, tente de contenir la présidente, qui avait demandé plus tôt de garder ce type de manifestations pour l’extérieur.

“Ils font appel !”

Les deux hommes ne se retourneront pas pendant les quelques dizaines de minutes du prononcé du délibéré, échangeant rarement entre eux. À leur sortie sous escorte policière, les réactions peuvent se libérer et virer aux huées, comme en témoigne une vidéo d’un journaliste de France 3.

Mais très vite après leur départ, c’est le soulagement qui prédomine. Les victimes débriefent par petits groupes ou font le point avec leur avocat. “Justice a été faite”, résume Sabrina, habitante du 14e qui a eu douze dents dévitalisées. Ici et là, la crainte d’un aménagement de peine ou d’une sortie rapide continuent d’inquiéter. Pendant que certains acceptent de réagir face caméra, ou se laissent convaincre par un “c’est la radio” qui garantit une forme d’anonymat, d’autres se postent à côté des journalistes pour écouter la déclaration des avocats des prévenus.

Très vite, le mot circule : “Ils font appel !”. Représentant de Lionel Guedj, Frédéric Monneret dénonce une peine “démesurée” – même si le procureur avait requis la peine maximale de 10 ans – sans pour autant “se lancer à corps perdu dans une critique acerbe d’un jugement qui semble motivé et mérite donc une analyse”. Lors du procès, l’avocat avait reconnu “des fautes gravissimes sur le plan déontologique et éthique” et plaidé pour une peine “équilibrée”, récusant tout “système”.

Pas “un dentiste”, un duo

À ses côtés, Anne Santana-Marc annonce une position similaire pour Carnot Guedj, qui demandait la relaxe. Seuls les délits de complicité de faux et d’usage de faux sont levés pour lui. Pour le reste, “ce dossier n’est pas celui d’un dentiste, c’est un fonctionnement dual, concerté”, tranche Céline Ballerini. Avocat de nombreuses victimes, Marc Ceccaldi se félicite ainsi d’un jugement qui “confirme la lecture des parties civiles, celle d’un système bien huilé, avec sa première visite pour mettre en confiance, l’orientation vers un courtier pour le remboursement…”

Un système où, selon le tribunal, Carnot Guedj, 70 ans aujourd’hui, avait toute sa place auprès de son fils, dentiste tout fraîchement installé à Saint-Antoine (15e). “Nous avons envisagé de requalifier les chefs en complicité”, admet Céline Ballerini, mais les juges ont collégialement confirmé son statut d’auteur des infractions, au même titre de Lionel Guedj. Selon leur analyse, les dénégations de Carnot Guedj “se heurtent aux témoignages et aux agendas saisis : sa présence fréquente pour conforter le diagnostic, sa participation aux actes, avec parfois un rattrapage de ce que son fils ne parvenait pas à opérer, son service après-vente avec les patients qui revenaient avec des infections…”

Frédéric Monneret indique que son client ne fera pas appel sur le volet civil, dont dépend l’indemnisation des victimes. Cela permettra, espère-t-il, un nouveau procès avec “beaucoup moins de monde, plus rapide et plus serein”. Directrice de l’association d’aide aux victimes d’actes de délinquance (AVAD), Marie Guillaume n’en est pas si sûre. “Les victimes n’en sont pas encore là, mais cela voudrait dire de reprendre tout le travail qui a été fait, avec l’angoisse que les peines ne soient plus à la hauteur.”

Indemnisation en masse

Repérables à leurs gilets bleus, les membres de l’association ont été sollicités par la justice pour accompagner les victimes pendant toute la procédure. “Il y a eu des groupes de parole à l’issue du procès et si des demandes s’expriment nous pouvons en proposer à nouveau”, signale Marie Guillaume.

Pour beaucoup d’entre elles, la question de l’indemnisation va désormais occuper une place importante. “Elle n’est pas seulement symbolique ou en compensation, elle est attendue par certaines victimes pour pouvoir se faire soigner car elles n’en ont sinon pas les moyens”, appuie la directrice de l’AVAD.

Pour certaines victimes, les indemnisations permettront de pouvoir suivre des traitements qu’elles n’ont pas pu payer jusqu’ici.

Mais ce travail de reconstruction prendra parfois encore du temps. Avec ce premier jugement, seule une trentaine de parties civiles se sont vues octroyer une somme définitive. Pour d’autres victimes, la demande n’était pas prête à être jugée car leur état n’était pas encore stabilisé ou au contraire s’est aggravé. De nouvelles expertises seront donc nécessaires. Pour d’autres, il faut encore saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infraction. Face à la masse des dossiers et à la diversité des situations, la juridiction prépare une note sur la marche à suivre.

Cette importance du volet financier, qui inclut également les mutuelles et la Sécurité sociale – qui a estimé son préjudice à 1,5 million d’euros – justifie l’une des différences avec les réquisitions du procureur. Les amendes de 525 000 euros réclamées ont été écartées du jugement “afin de garantir avant tout la possibilité aux victimes d’être indemnisées”. Pour les ex-patients, le fonds de garantie prendra cependant en charge les sommes jugées, quel que soit le montant récupéré auprès de Lionel Guedj, dont le patrimoine était estimé à 12,9 millions d’euros en 2012, et de Carnot Guedj. Des comptes et biens ont déjà été saisis mais ce travail de recouvrement n’est lui non plus pas achevé.

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