Face à la menace de la prison ferme, Henri Jibrayel se dépeint en élu de proximité
Entendu pour abus de confiance et prise illégale d’intérêts, l’ex député socialiste et toujours conseiller départemental Henri Jibrayel nie être l’organisateur de quatre mini-croisières financées via un montage associatif. Le parquet requiert six mois de prison ferme, 18 mois de sursis, 30 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité.
Henri Jibrayel, le jour de son procès. Photo : Clara Martot.
Les pieds bien campés sur le pont bleu du Danielle-Casanova, les quais du port de Marseille en arrière-plan, Henri Jibrayel, mocassins et chemise estivale, a les yeux rivés sur l’objectif. Le cliché est projeté ce lundi matin au tribunal correctionnel de Marseille. Il a initialement été publié dans La Provence le 18 mai 2011, au lendemain de cette virée en mer qui avait embarqué 1200 personnes âgées au large du Frioul. À l’époque, l’homme qui est alors député PS et conseiller général dans les quartiers Nord s’émeut “de voir le bonheur de toutes ces personnes, c’est un vrai plaisir.”
Neuf ans plus tard, la malheureuse mini-croisière vaut au toujours conseiller départemental socialiste une comparution pour abus de confiance et prise illégale d’intérêts. Quelques heures avant la clôture du procès ce mardi, le parquet a requis à son encontre six mois de prison ferme, 18 mois de sursis, 30 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité.
Quatre virées en mer ont intéressé l’instruction (lire notre article sur les conclusions des magistrats instructeurs). Deux ont été organisées en mai 2011, les deux suivantes en juin 2012, quelques jours seulement après les élections législatives où Henri Jibrayel est réélu. “Ce qui vous est reproché, c’est d’avoir été derrière l’organisation de ces évènements. Puisque ces sorties ont été réglées grâce à des subventions que vous auriez pu obtenir vous-même en tant que conseiller général. Si vous me le permettez, on peut penser que les associations qui ont été subventionnées roulaient pour vous”, annonce la présidente Céline Ballerini.
Un montage associatif
L’enquête clôturée en 2018 laisse en effet penser qu’un montage associatif est à l’origine des mini-croisières, et qu’il aurait pu servir les ambitions politiques du député. D’un côté, deux structures, les Femmes de Séon et la Maison de la solidarité, bénéficient de subventions du département. Elles sont toutes deux présidées par Berthe Quero. Décédée en cours d’instruction, celle qui fût attachée parlementaire d’Henri Jibrayel était connue dans le secteur pour sa capacité à monter des dossiers de subventions. De l’autre, une dernière association, les seniors des 15 et 16e arrondissements, organise les croisières en son nom et finance les sorties de 2011 grâce aux fonds des deux premières structures. Les statuts de l’association organisatrice ont été rédigés par Berthe Quero, laissant peu de marge à son président, Claude Garcia, qui comparaît aux côtés de Henri Jibrayel.
La proximité entre ces trois associations est au cœur du dossier, et l’examen de leur comptabilité révèle un premier mensonge pourtant porté publiquement. “Dans l’article de La Provence de 2011, vous dites que les croisières ont été financées par votre réserve parlementaire”, rappelle la présidente. Or, l’enquête révèle que ce sont deux factures qui ont permis de régler les sorties, émises par les deux associations dirigées par Berthe Quero. Pourtant, aucune de ces deux associations ne s’étaient présentées comme organisatrices de la sortie. “Comme tout élu, j’ai voulu tirer cela vers moi, regrette Henri Jibrayel. Mais c’était faux, je n’ai pas utilisé ma réserve pour les sorties.”
“Le printemps, ça se prêtait à une sortie en mer”
Mais des échanges de mails laissent penser que c’est bien Henri Jibrayel qui en a été l’organisateur. “En lisant votre conversation avec Pierre Marcy, directeur des ventes de la SNCM, on a le sentiment que c’est vous qui avez décidé du projet et des dates”, avance le tribunal. Le prévenu réfute : “Ce n’est pas moi. Monsieur Garcia avait une volonté pour son association de seniors, j’ai simplement fait le relais, comme cela arrive souvent aux élus. Et je peux vous assurer que monsieur Garcia a une forte personnalité. Et qu’en tant que président d’association, il n’aurait pas accepté que je gère cela à sa place.”
Henri Jibrayel se reconnaît volontiers un tempérament “théâtral“, mais difficile d’en dire autant de son co-prévenu, Claude Garcia, qui se dirige mollement vers la barre. L’homme explique avoir travaillé au port jusqu’en 1993, d’où il est licencié dans le cadre d’un plan social. “On a un peu l’impression que tout est fait à votre nom mais que vous ne prenez pas de décision”, lui demande-t-on. L’homme assure : “J’ai pris des décisions matérielles, j’étais aux côtés des personnes âgées. Mais l’administratif, c’est madame Quero qui gérait.” Interrogé sur les dates des croisières, organisées pile un an avant les élections législatives, Claude Garcia se justifie : “Madame Quero disait que c’était le printemps, que ça se prêtait à une sortie en mer.”
« Quand les gens croisent l’élu, ils pensent que c’est lui qui fait tout »
Plusieurs témoignages versés au dossier accréditent la thèse d’une “gérance de fait” des différentes associations par Henri Jibrayel. “Les sorties de monsieur Garcia, dans la tête des gens, c’est Jibrayel qui offrait”, expliquait par exemple aux enquêteurs la présidente d’une association à la Cabucelle (15e). “Dans ces années, le conseiller général est l’élu de proximité par excellence, surtout dans ces quartiers. Quand les gens croisent l’élu, ils pensent que c’est lui qui fait tout puisque c’est le conseil général qui finance !”, se défend Henri Jibrayel.
Autre exemple, dans la déposition de la sœur de Berthe Quero : “De facto, tous les présidents des associations ont présenté cette croisière comme étant un cadeau de Jibrayel. (…) Il précisait d’ailleurs après chaque manifestation ’n’oubliez pas de voter pour moi’ ou quelque chose de ce genre.” Interrogé sur ces propos, le principal intéressé assure être “la victime d’une querelle familiale”, rappelant que les deux sœurs n’ont pas toujours été en bons termes.
« Il fallait tuer le soldat Jibrayel »
Le tribunal demande tout de même à Henri Jibrayel de se justifier sur un différend cité par plusieurs témoins de l’enquête. À l’époque, une association avait reçu la visite de Rebia Benarioua, conseiller général PS rival du canton voisin, qui proposait aux adhérents de leur offrir des crêpes. Dans l’après-midi, la présidente de la structure recevait un appel de Henri Jibrayel lui interdisant d’accepter l’offre, considérant que Rebia Benarioua “n’avait pas à entrer dans ses clubs du 3e âge”. Pour l’élu, “cette histoire de crêpes servait à m’embêter. Rebia Benarioua est venu chez moi car il fallait tuer le soldat Jibrayel”. La présidente l’interpelle : “Vous vous entendez parler ? Vous considérez que les associations de votre secteur, c’est chez vous ?” Henri Jibrayel se reprend alors : “C’est pas chez moi mais c’est mon territoire. C’est une culture, dans tous les cantons de Marseille, c’est pareil.”
Une supposée culture à laquelle a été confronté un autre protagoniste, dirigeant parisien d’une société spécialisée dans les gadgets destinés aux seniors : gants de cuisine, petites lampes torche… L’homme avait expliqué aux enquêteurs avoir reçu des commandes de la part d’un dénommé “Sébastien Garcia”, qui avaient été réglées par l’une ou l’autre association à tour de rôle. “J’ai été surpris par ces pratiques mais je me suis dit qu’il s’agissait de coutumes marseillaises”, avait-il supposé. À l’ouverture de l’enquête et après quelques recherches, l’entrepreneur explique reconnaître formellement son interlocuteur en la personne de Sébastien Jibrayel, fils de l’homme politique et nouvel adjoint aux sports de la Ville de Marseille. Ce dernier n’a pas été mis en cause au terme de l’enquête.
« Vous êtes l’agent d’une maladie qui vous dépasse »
Pour l’avocat du département, côté partie civile, Gilles Gauer, “l’association des seniors est une structure de saupoudrage” à d’autres fins. Il ajoute à l’adresse d’Henri Jibrayel : “Vous êtes l’agent d’une maladie qui vous dépasse et dont la problématique est de savoir si elle vous survivra.” Plus loin il assène : “Vous vous partagez les circonscriptions et les cantons comme certains se partagent la Sicile et les Pouilles !”
Aux yeux du ministère public, “Henri Jibrayel n’a pas touché d’argent sur ces manœuvres mais la question n’est pas là : sur les trois associations concernées, il y a une mainmise décisionnelle à des fins électoralistes incontestables.” Pour le procureur, il y a bien un mécanisme qui détourne l’objet d’associations à des fins politiques : “En 2011, il affirme dans la presse que c’est lui qui a offert les croisières. Par la suite, il se rétracte. Or, je pense que s’il a annoncé dans un premier temps être l’organisateur, c’était justement dans le but de s’en vanter auprès de son électorat.”
Il balaie les arguments avancés en défense par l’ancien député : “Au terme du procès, je n’ai pas le sentiment que le tribunal connaisse la version des faits de monsieur Jibrayel. Confronté aux témoignages, il se contente de dire que les autres mentent.” Concernant les réquisitions, qui comprennent six mois de prison ferme, le magistrat précise que par sa durée, la peine est aménageable et peut donc faire l’objet d’un placement sous bracelet électronique.
Quant à l’avocat d’Henri Jibrayel, Me Pierre Ceccaldi, il explique “savoir ce qu’est le clientélisme grâce à la lectures de certains livres”, mais rappelle qu’aux yeux du droit, “cela n’existe pas, ça n’est pas une infraction”. Il ajoute, en appui de sa demande de relaxe : “Même si les gens ont l’impression qu’Henri Jibrayel a commandité les croisières, cela n’a aucune existence juridique.” Le dossier a été mis en délibéré. Entre temps, le tribunal tranchera la semaine prochaine dans l’affaire Karim Zéribi, autre ancien élu marseillais mis en cause pour abus de confiance (lire le compte rendu de son procès). Pour sa part, Henri Jibrayel sera fixé le 14 septembre.
Commentaires
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“C’est pas chez moi mais c’est mon territoire.” Beurk ! Ces élus qui se croient propriétaires de leur mandat, de leurs électeurs et de leur fief n’ont rien compris : ils sont seulement mandataires provisoires de ceux qui les élisent, qu’ils sont censés représenter.
Il faut certainement 5 ans d’inéligibilité pour réapprendre cette évidence.
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oui mais si on ne les élisions pas, enfin 1 une fois et après stop parce que cela faisait longtemps qu’on entendait le mélange des genres (le canard etc..) mais il est dans la lignée des guérini andrieux Bernardini et pas qu’à Marseille les “balquani”. Donc aux électeurs d’être vigilants et nous aurons les élus que nous méritons quoique je ne sais pas lesquels (elles) nous méritent
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Au moins 5 ans d’exil. Mais pas sûr que ça suffise…
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Attention aux fotes d’orthographe !
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La main sur le coeur !évidemment qu il est honnête, arrêtez d importuner ce brave monsieur au service de ses administrés !!!😭😭😭
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dédé jibrayel me manque déjà, heureusement qu’il y a la relève filiale et spirituelle toujours en poste
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oui mais si on ne les élisions pas, enfin 1 une fois et après stop parce que cela faisait longtemps qu’on entendait le mélange des genres (le canard etc..) mais il est dans la lignée des guérini andrieux Bernardini et pas qu’à Marseille les “balquani”. Donc aux électeurs d’être vigilants et nous aurons les élus que nous méritons quoique je ne sais pas lesquels (elles) nous méritent
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M jibrayel aspire simplement à rester élu pour assurer son train de vie (et après lui son fils) … Comment fonctionner autrement dans un secteur abandonné de la mairie centrale tenue par JC. Gaudin et avant ça par Deferre?
Pour vivre dans SON secteur depuis des années, je ne suis pas fan du personnage qui a peu d’envergure mais lui reconnais à la même époque de s’être rapidement écarté de Guérini et ne pas s’être enrichi, …
Je ne
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Finalement une “boutique politique” cela se transmet comme n’importe quel commerce : de père en fils. L’avantage c’est que le chiffre d’affaire n’est jamais impacté par la crise . L’heureux propriétaire de ces échoppes se paie allègrement sur la bête tant qu’il peut encore l’abêtir. Le plus gênant tout de même c’est l’inélégance de ces boutiquiers à l’égard de nos petits vieux par leur insistance à vouloir leur soutirer sans cesse une procuration par ci, un vote par là mais toujours avec le sourire et en n’oubliant pas de prendre avec eux la photo souvenir qui viendra enrichir leur twitter ou facebook de campagne.
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A Henri !
Et dire que les citoyen-ne-s te payent.
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