Incendie de la Montagnette : la dangerosité de la voie SNCF était connue depuis l’an pèbre

Enquête
le 25 Juil 2022
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Des projections d'étincelles dues à un frein défectueux sur un train de fret sont à l'origine de l'incendie qui a détruit un tiers du massif de la Montagnette. Ce genre de départs de feu est observé depuis des décennies aux abords du massif de la région de Tarascon. Associations environnementales et syndicat forestier dénoncent l'absence d'aménagements pare-feu.

Dans la Montagnette à proximité de la voie ferrée d
Dans la Montagnette à proximité de la voie ferrée d'où est parti l'incendie le 14 juillet 2022. Photo : PID

Dans la Montagnette à proximité de la voie ferrée d'où est parti l'incendie le 14 juillet 2022. Photo : PID

Un faucon crécerelle s’envole d’un pin au tronc cramé. D’un battement d’ailes poussif, l’oiseau fatigué part chercher refuge dans un autre vestige d’arbre. Une semaine après l’incendie démarré le 14 juillet dans la Montagnette, c’est un panorama de désolation qui s’offre à voir depuis les hauteurs. 1600 hectares ont été ravagés sur les communes de Tarascon, Graveson et Barbentane, soit un tiers du massif. Principalement de la pinède, mais aussi des terres agricoles. Contrastant avec le vert des Alpilles voisines, le sol des vallons et des collines est noir à l’infini. Une centaine de pompiers veillent encore sur les éventuels reprises. Au plus fort de l’incendie, ils ont été jusqu’à 1100, venus de plusieurs départements.

Sa survenue n’a rien d’imprévisible. La récurrence des départs de feu en bord de voie ferrée au sud-est du massif, sur l’historique voie Paris-Lyon-Marseille (PLM), est connue depuis des décennies. Cette fois, neuf départs de feu ont été occasionnés par le passage d’un train de fret transportant des produits pétroliers depuis Fos, circulant vers Avignon. Un patin de frein anormalement serré a vraisemblablement provoqué un échauffement sur un essieu, occasionnant des projections incandescentes dans la végétation alentour. Le vent de sud a ensuite attisé les flammes jusqu’au cœur du massif.

Un wagon défaillant

Le phénomène n’est pas nouveau. Les trains de fret ne sont pas équipés d’un système automatique qui remonte l’information des défaillances en cabine.

Stéphane Coppey, FNE 13 et ancien cadre de la SNCF

L’expertise menée sur le convoi mis sous scellé par le procureur de Tarascon atteste “qu’un wagon du train était défaillant”. Laurent Gumbau a fait part à l’AFP d’une “confirmation visuelle d’une montée en température du système de roulage qui frotte contre le patin du frein”. Le dossier sera transmis à un juge d’instruction cette semaine. Le phénomène n’est pas nouveau. Les trains de fret ne sont pas équipés d’un système automatique qui remonte l’information des défaillances en cabine. Avec le poids important du convoi, le conducteur ne se rend compte de rien”, explique Stéphane Coppey, spécialiste ferroviaire à France nature environnement Bouches-du-Rhône (FNE13) et ancien cadre de la SNCF.

Selon nos informations, recueillies auprès de cheminots sous couvert d’anonymat, des procédures de contrôle de la surchauffe du roulage des trains existent sur la ligne. Par des contrôles visuels lors des passages en gare et par des “détecteurs de boite chaude” qui mesurent de façon automatisée la température des boîtes d’essieux. En cas de détection d’anomalie, le train concerné doit être arrêté.

L’État actionnaire de la SNCF n’a rien fait pour sécuriser la zone.

Philippe Chansigaud, président de l’ADER

Une négligence des contrôles a-t-elle eu lieu au passage du convoi tracté par une locomotive de Fret SNCF le 14 juillet ? Difficile de le savoir à ce stade. Le serrage non désiré du patin de frein a pu aussi se déclencher après le passage par le détecteur de boite chaude de Tarascon. Les enquêteurs cherchent également à savoir si le wagon a été correctement entretenu par son propriétaire, dont l’identité n’a pas encore été dévoilée.

Depuis au moins 1993, la voie SNCF jouxtant la Montagnette est identifiée comme principale zone à risque dans le plan intercommunal de débroussaillement et d’aménagement forestier (Pidaf) formalisé entre les quatre communes du massif. Fin 2015, dans le cadre d’une consultation menée par la préfecture pour la création d’une nouvelle piste de défense contre les incendies (DFCI), le conseil municipal de Tarascon observait que “de nombreux départs de feu sont constatés le long de la voie ferrée qui passe au sud du massif forestier”.

La SNCF déjà responsable d’un incendie en 2005

Philippe Chansigaud constate les dégâts dans son oliveraie. Photo : PID

“L’État actionnaire de la SNCF n’a rien fait pour sécuriser la zone”, ne décolère pas Philippe Chansigaud, agriculteur et président de l’association de défense de l’environnement rural (ADER). La mine dépitée, il nous amène au milieu de son oliveraie dévastée. Même remplis d’eau, les tuyaux d’arrosage ont fondu et une partie des arbres se sont effondrés sur eux même, “sous l’effet des fortes températures”, explique-t-il. Au moins la moitié de ses neuf hectares d’oliviers ont été sinistrés par les flammes, estime l’oléiculteur fournisseur de chefs étoilés. “Ça c’est fini, l’année prochaine, ce sera compliqué de faire de l’huile”, déplore-t-il.

Renforcer l’armement des pompiers c’est bien, mais si on n’enlève pas la cause des incendies, ça ne sert à rien !

Gérard Gautier, président de Fransylva 13

Philippe Chansigaud est d’autant plus amer qu’il se souvient d’un précédent datant du 28 juillet 2005. “Quinze départs de feu ont été enregistrés […] sur une quinzaine de kilomètres le long d’une ligne de chemin de fer, provoqués par le passage d’un train près de Graveson”, écrivait l’AFP il y a 17 ans. L’enquête judiciaire qui a suivi a reconnu la responsabilité de la SNCF, sans toutefois déboucher sur un procès. Seule plaignante, l’ADER a accepté de retirer sa plainte en échange d’une procédure à l’amiable.

En juin 2008, elle signait un accord avec l’opérateur ferroviaire pour la remise en état des 10 hectares qui avaient brulé trois ans plus tôt. La SNCF a versé 46 000 euros à l’association pour financer les plants et les travaux nécessaires au reboisement. Contactées par Marsactu, les différentes composantes de la SNCF (direction régionale, Fret, Réseau) n’ont pas souhaité s’exprimer, alors qu’une enquête judiciaire est en cours concernant le sinistre du 14 juillet 2022. “Le débroussaillage a été fait avant cet été en avril-mai, sur 7 mètres de long conformément à nos obligations soumises à arrêté préfectoral”, précise toutefois SNCF Réseau au Canard enchaîné.

Pas d’aménagements pour contenir les étincelles

Mais depuis 2015, aucun aménagement de bord de voie pour retenir les projections d’étincelles n’a été réalisé. L’ADER demande toujours aux pouvoirs publics et à la SNCF d’ériger des murs anti-feu dans les secteurs les plus sensibles. Président de Fransylva 13, la fédération des propriétaires forestiers des Bouches-du-Rhône, Gérard Gautier est aussi très en colère. “En déplacement en Gironde, Emmanuel Macron a annoncé plus de canadairs. Annoncer que l’on va combattre seulement le problème et pas la cause, c’est complétement scandaleux. Renforcer l’armement des pompiers c’est bien, mais si on n’enlève pas la cause des incendies, ça ne sert à rien”, tempête-t-il au téléphone.

L’état n’est plus capable d’assurer ses missions régaliennes.

Jean-Christophe Daudet, maire de Barbentane

Et pourquoi ce ne serait pas la SNCF qui devrait faire l’effort de trouver les moyens pour que les trains ne continuent pas à incendier nos forêts. “Pollueur payeur” ça existe , il faut faire à l’identique lorsqu’il s’agit de notre patrimoine naturel public et privé qui part en fumée”, écrivait-il déjà au préfet à la fin de l’été 2016 à l’occasion de la consultation pour la création d’une nouvelle piste DFCI dans la Montagnette.

Plaintes contre X

Les traits tirés par la fatigue, de retour d’une ronde sur le terrain à la salle des fêtes transformée en lieu de répit pour les pompiers, le maire de Barbentane fustige la responsabilité de l’État “qui n’est plus capable d’assurer ses missions régaliennes”. Jean-Christophe Daudet plaide pour l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur la sécurité civile. Il voudrait également que la gare de son village soit rouverte, comme un moyen pour la SNCF de “réparer sa faute”.

Train de fret circulant aux abords de la Montagnette le 21 juillet 2022. Photo : PID

Avec ses homologues de la Montagnette, Jean-Christophe Daudet prépare une plainte contre X pour les atteintes à l’environnement provoquées. Les associations environnementales et le syndicat forestier songent à en faire de même. “J’encourage et j’accompagnerai les habitants à également porter plainte”, assure le maire.

Alors que l’incendie de la Montagnette n’est toujours pas à l’abri de reprises, un nouveau départ de feu s’est produit un peu plus au nord sur la commune de Barbentane, ce vendredi 22 juillet. “Vers 14 heures, 3000 mètres carrés de broussailles et de caniers ont brûlé au lieu dit Massaudy, le long de la voie SNCF suite au passage d’un train de marchandises”, informe le service départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône (SDIS 13). Les pompiers ont demandé à la SNCF de faire ralentir leurs trains sur les tronçons les plus à risque. Sinon, ce flambant été promet d’être encore long.

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Commentaires

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  1. BRASILIA8 BRASILIA8

    la SNCF n’y est pour rien elle a nettoyé le long de la voie “Le débroussaillage a été fait avant cet été en avril-mai, sur 7 mètres de long conformément à nos obligations soumises à arrêté préfectoral” sur la partie droite non brulée je n’ai pas l’impression que le débroussaillage concerne une bande de 7,00m et il aurait mieux valu le faire sur X km de long et 7,00m de large !
    de toute façon c’est la faute du propriétaire non identifié du wagon
    comme d’habitude responsable mais pas coupable même l’Etat qui n’ai pas en mesure de mettre en œuvre les moyens nécessaires, d’après le ministre la France a suffisamment de Canadair le seul problème c’est le nombre d’avions en état de vol

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    • Zumbi Zumbi

      Bien vu, mais soit SNCF Réseau n’utilise pas les mêmes mètres, soit le prochain épisode ce sera “c’est pas nous c’est le sous-traitant”, de quoi fuir ses responsabilités et allonger les procédures judiciaires à venir. La sous-traitance généralisée ça sert essentiellement à ça.

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  2. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Alors que tout le monde, localement, sait que la zone, d’où est parti le feu, est à risque, il n’y a eu, avant l’incendie, et malgré le risque supplémentaire engendré par la sécheresse, personne pour vérifier alerter, et agir dans le cas où les travaux de débroussaillage, auraient été insuffisants, non seulement le long de la voie ferrée, mais aussi dans la colline. On a l’impression que tout le monde se renvoie la balle en espérant la placer dans les buts de l’État et de la SNCF, qui ont le dos d’autant plus large, que leurs moyens sont « contraints ».

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  3. Pierre Gallouin Pierre Gallouin

    La problématique est exactement la même avec les départs de feu des autoroutes. Ils sont encore plus nombreux malheureusement que celui des transports ferroviaires. Sur Septèmes, concentration d’autoroutes, A51, A7, nous en avons connu plusieurs sur les 3 dernières années, dont un qui a failli s’entendre sur la ville.
    La construction de murs anti-bruit serait indirectement une protection contre ce danger.
    Association Septémoise pour la réduction des nuisances de l’autoroute, membre FNE13, http://www.chutt.org

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